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Alfred : « Avec "Daho, l’homme qui chante", nous voulions évoquer le parcours d’un disque dans sa globalité : de l’écriture à la tournée »

Par Charles-Louis Detournay le 29 octobre 2015                      Lien  
À mi-chemin entre la biographie et l'album documentaire, cet ouvrage réalisé par l'éditeur-scénariste David Chauvel et le fauve d'or d'Angoulême 2013 livre un intéressant (voire intime) portrait de la vie d'un disque. Qui plus est, par une des icônes de la chanson française !

Comment vous vous êtes retrouvé avec David Chauvel à imaginer réaliser un livre sur Étienne Daho ?

Alfred : « Avec "Daho, l'homme qui chante", nous voulions évoquer le parcours d'un disque dans sa globalité : de l'écriture à la tournée »Étienne Daho est un artiste que David et moi apprécions beaucoup et depuis très longtemps. Nous nous sommes souvent retrouvés à parler de lui, à évoquer ses chansons et ses albums. Nous avions donc imaginé réaliser un album qui le concernait : c’était une idée que David évoquait. Puis, nous avons été très impressionnés par Condamné à mort, un disque qu’il a réalisé avec Jeanne Moreau sur un long texte de Jean Genêt. On s’est demandé comment un artiste comme Étienne Daho reviendrait à un album plus personnel après ce projet ambitieux. Plus tard, David a lu qu’Étienne était en train de démarrer un nouveau disque ! « Et si on essayait ? », m’a-t-il dit. Il a alors écrit à son manager, qui était intrigué. Ce dernier en a parlé à Étienne Daho et c’est ainsi qu’on s’est retrouvés David et moi à sonner à sa porte londonienne fin 2012.

Comment se sont déroulés vos premiers contacts ?

Étienne a accepté de nous rencontrer car il est curieux de nature. Décrire les coulisses en bande dessinée était un travail qu’il ne connaissait pas et il a eu envie d’expérimenter. Mais Étienne est également un artiste assez secret : il se méfie des caméras et des appareils photos. Avec nos crayons et nos carnets, il se sentait sans doute moins "agressé", moins scruté. Et puis, il y avait beaucoup de bienveillance de notre part...

A-t-il compris vos attentes ? Quelles étaient les siennes ?

Nous lui avons expliqué que nous voulions réaliser un carnet de voyage, un making-of affectif sans chercher à violer la créativité de l’acte artistique. Dans cette perspective, nous avons eu la chance incroyable qu’Étienne nous accorde sa confiance. Nous nous étions à peine rencontrés, mais le feeling est directement passé entre nous. Il fonctionne beaucoup à l’ instinct et c’est sans doute pour cela qu’il a nous laissés beaucoup de liberté, tout en nous présentant les personnes que nous avions besoin de rencontrer pour ce projet...

David Chauvel écrit dans sa postface que vous ne vouliez pas percer l’intimité du chanteur ? Vouliez-vous dès lors réaliser un livre sur le parcours d’un album de musique, sans miser sur ce que Daho pouvait vous livrer ?

On a démarré le projet sans savoir comment cela avancerait. La seule chose dont on était sûrs, c’était de vouloir aller le plus loin possible dans la vie du disque. On a donc rapidement évacué le fait de faire coïncider les sorties du livre et du disque car nous aurions loupé trop de choses. Nous voulions évoquer ce parcours dans sa globalité, avec la tournée, et terminer avec un bilan post-tournée. Même si Étienne est, évidemment, l’élément central, le fil rouge du livre, c’était bien de l’acte de création de ce disque, que nous voulions rendre compte.

On sent tout de même que le chanteur s’est livré, sur ses attentes, les doutes lors de sa longue hospitalisation et de sa trop courte convalescence pour soutenir le disque. Ainsi que la drogue…

La rencontre avec Étienne Daho a été bien au-delà de ce qu’on espérait. Parce qu’il est très généreux, on a pu toucher l’homme qui est derrière l’artiste. Et cela s’est réalisé sans calcul de notre part : à mesure qu’on avançait, on a pu aller plus loin qu’on ne l’imaginait. Il s’est finalement senti en sécurité : il se protège beaucoup, mais sait se montrer généreux lorsqu’il est entouré de personnes bienveillantes. Nous avons donc vécu pleins de moments très riches, alors qu’on buvait parfois juste un verre ensemble. Nous avons gardé une partie de ces éléments, mais pas tout, car il aurait alors fallu rajouter cent pages au livre ! Ces confidences se sont faites naturellement, car on s’est trouvés ! Bien entendu, nous lui avons fait relire le livre avant sa sortie afin qu’il reste cohérent. Et Étienne a juste précisé quelques éléments…

Comment avez-vous fonctionné avec David Chauvel ?

En étant deux, on pourrait voir plus de choses, et capter des éléments différents. En studio, il se passe souvent trois choses en même temps à différents endroits. Être à deux nous permettait de se compléter. J’étais souvent proche des personnes et des objets afin de pouvoir les dessiner. Alors que David prenait une vue plus large, du recul. Nous avons donc fonctionné de manières complémentaires.

Il a fallu interpréter la musique, celle qui convient pour l’enregistrement, et celle qu’il faut retravailler. Comment vous êtes-vous débrouillés pour dégager du visuel avec du son ?

C’était un de mes défis ! En réalité, rien ne m’embête plus qu’une bande dessinée qui évoque des chansons avec des notes de musiques. Je suis musicien et mais je ne la lis pas les notes. Voir des notes dessinées ne me raconte rien. Le dessin permet de tout raconter, tout exprimer. Je voulais utiliser les codes de la bande dessinée, pour représenter ce que je ressentais de la musique, les ondes qu’elle dégageait.

Avec quel outil avez-vous travaillé ? Cela ressemble à des pastels ?!

Ce sont des crayons gras de couleur que j’embarque toujours avec moi lorsque je pars en voyage, afin de crayonner sur mes carnets. Comme à chaque, je les ai machinalement embarqués lorsque je suis parti rencontrer Étienne à Londres la première fois, et je ne me suis pas du tout imaginé que je les emploierais en définitive ! Mais au bout d’un an à avoir rempli des pages et des pages, je me suis rendu compte que ce livre représentait un vrai voyage qu’on réalisait ensemble, un voyage dont je tenais le carnet de bord. Cette manière de dessiner le livre s’est donc imposé naturellement.

Vous avez mélangé l’anglais et le français dans certaines pages du livre. N’aviez-vous pas peur que cela restreigne votre public ?

Nous nous sommes posés cette question, mais comme il ne s’agissait que de quelques pages, nous ne voulions pas casser ce rythme en les traduisant. Le lecteur peut ne les saisir qu’en partie, car je pense qu’on comprend que les artistes évoquent leur création dans leur langage technique spécifique. Ceux qui ne comprennent pas l’anglais se focaliseront sur l’étape de création. Puis nous voulions aussi rendre le fait qu’Étienne travaille en permanence en deux langues : Il écrit en français, mais travaille en anglais. Il doit donc traduire aussi sa musique et ses intentions dans cette langue.

Vous évoquez trois-quatre chansons, ainsi que les personnages historiques qui ont touché le chanteur pour Onze mille vierges. Une façon d’ouvrir la porte sur l’inspiration ?

Il était important, en racontant la création de ce disque, de parler des sources d’inspiration d’Étienne pour le composer. La ville de Londres a une influence très importante sur son travail, tout comme certaines personnalités tels que Francis Bacon ou Joe Meek... Parler de ce disque avec Étienne, c’est aussi parler de tous les courants qui le traversent.

Vous avez voulu interviewer tous les acteurs d’un album : ont-ils tous compris votre démarche ?

Dès le départ, l’idée directrice était d’aborder le plus d’aspects possibles de la création et de la vie de ce disque. Autour d’Étienne, plusieurs personnes interviennent pour l’aider à concrétiser ce projet. Il était important de leur donner la parole, de les entendre raconter leur apport au disque et leur relation à l’univers d’Étienne. tout le monde a joué le jeu et a été très disponible.

En 2013, vous m’aviez expliqué que Come Prima correspondait à une période de votre carrière où vous cherchiez de nouvelles pistes, une période de doute. Nous étions dès lors étonné d’apprendre que vous aviez commencé à travailler sur le livre de Daho dès l’automne 2012, bien avant la fin de Come Prima.

Oui, à cette époque, je cherchais alors à me resituer en matière artistique. Come prima est dès lors directement associé à ma rencontre avec Étienne Daho. J’étais encore en train de le réaliser lorsque j’ai fait sa rencontre. Même si cela n’était pas le sujet de nos échanges, nos discussions avec Étienne m’ont ouvert beaucoup de pistes concernant la création. Étienne dégage quelque chose de tellement positif, que je repartais boosté de chacune de nos rencontres, plein d’envies. De le voir être exigeant et se poser des questions avaient un écho sur ce que j’étais en train de faire et ont eu une influence sur toute une partie de Come prima.

Après avoir travaillé sur ces deux grands projets d’affilée, savez-vous déjà dans quelle direction vous voulez vous diriger ?

Come Prima et ce livre avec Étienne font partie d’un grand tout, qui a rempli cinq ans de ma vie. J’ai besoin de prendre un peu de temps pour définir ce vers quoi je compte aller, maintenant. En attendant, je participe actuellement à quelques récits courts de moins longue haleine, et je prends du temps pour affiner la forme définitive de mes prochains projets.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Toutes les illustrations sont tirées de Daho, L’Homme qui chante, réalisé par Alfred & David Chauvel (Delcourt)

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Lire notre chronique de Come Prima et la remise du fauve d’or au Festival d’Angoulême.

Photo en médaillon : CL Detournay

 
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