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"Alix Senator", un "reboot" réussi

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 août 2012                      Lien  
En effectuant dans un spin-of de la série Alix, un "reboot" plutôt réussi de l'univers de Jacques Martin, Valérie Mangin et Thierry Démarez redonnent une perspective à cette grande série classique qui vivotait depuis quelques années dans une relative médiocrité. Sans conteste un des moments-phare de la rentrée BD 2012.

"Enfin !" a-t-on envie d’écrire, enfin une reprise sérieuse et enthousiasmante d’Alix, le Gaulois inventé par Jacques Martin.

Nous n’idéalisons pas outre mesure les aventures de ce personnage créé en 1948 dans le journal Tintin. Décalque à ses débuts de Quo Vadis ?, le roman de l’écrivain polonais Henryk Sienkiewicz, cette série est devenue, à l’ombre de la Ligne Claire d’Hergé et sous l’influence d’Edgar P. Jacobs, l’une des références canoniques de l’École de Bruxelles (un vocable, si l’on en croit l’auteur de Tintin, forgé par Jacques Martin lui-même).

Elle avait tout pour être classique : d’abord par son registre, l’antiquité, que tous les jeunes collégiens découvraient en sixième dans leur manuel de latin, Le De viris illustribus urbis Romæ a Romulo ad Augustum de l’abbé Lhomond, cet auteur du XVIIIe Siècle dont l’ouvrage était encore en usage dans les classes au milieu du 20e Siècle ; ensuite par sa qualité historique impulsée par la censure de l’époque, la fameuse Loi de 1949, qui incitait les éditeurs à sur-déterminer la valeur "pédagogique" des bandes dessinées qu’ils publiaient ; enfin par les qualités intrinsèques de la série que Jacques Martin avait réussi à porter à des sommets, en particulier dans la période qui allait de L’Île maudite au Dernier Spartiate, grâce à un dessin d’un élégant vérisme qui rendait très bien la noblesse fascinante de l’antiquité romaine, dont Astérix par ailleurs constituait, en miroir déformant, une forme de méta-commentaire grotesque.

Mais hélas, à la fin de la vie de l’artiste et après sa disparition, la série tomba dans un maniérisme affligeant qui n’était rien d’autre qu’une décadence dont Rome, on le sait, s’est fait une spécialité. La série régulière continue, d’ailleurs, et on espère qu’elle retrouvera des moments inspirés.

"Alix Senator", un "reboot" réussi
Alix Senator T1 : Les Aigles de sang par Valérie Mangin & Thierry Démarez
(c) Éditions Casterman

Cela dit, pour corriger ce bilan sévère, avec le spin-off Alix Senator de Valérie Mangin & Thierry Démarez, nous sommes dans la plus totale surprise : on retrouve l’état de grâce originel de la série de Martin.

Certes, Valérie Mangin ne débarque pas dans un domaine qu’elle ne connaît pas : n’a-t-elle pas remporté en 1990 un prix en version latine au Concours Général ? Certes aussi, elle est historienne, diplômée de l’École des Chartes, le Saint-Graal de la référence historique. Mais sa profonde connaissance de la bande dessinée lui a permis d’opérer un Reboot qui nous enchante.

En vieillissant le personnage principal, à l’instar d’un Batman dessiné par Paul Pope, devenu sénateur romain, elle l’inscrit dans une perspective historique qui donne davantage de poids à la série régulière. Mieux : en lui donnant une progéniture, Alix ayant un fils, Titus, en même temps qu’Enak qui a un rejeton du même âge, Kephren, elle permet de renouer avec le jeune public de façon presque plus crédible que l’original.

Alix Senator T1 : Les Aigles de sang par Valérie Mangin & Thierry Démarez
(c) Éditions Casterman

Et tout concourt à cette magie : le dessin de Thierry Démarez, tout à la gouache, délicieusement péplumisant à la limite du kitsch, a l’emphase nécessaire pour donner à cette fable antique tout le souffle nécessaire.

Bref, l’exercice est réussi et nous attendons d’autant plus impatiemment la suite qu’Enak a disparu, peut-être même est-il mort, bien que l’on sait que chez les Égyptiens, comme dans les bandes dessinées, l’on revient parfois du royaume d’Anubis...

Alix Senator T1 : Les Aigles de sang par Valérie Mangin & Thierry Démarez
(c) Éditions Casterman

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782203045668

Lire aussi : L’interview de Valérie Mangin sur ActuaBD : "J’aimerais que l’on retrouve dans Alix Senator le plaisir que j’ai eu à découvrir Alix quand j’avais 12 ans"

Alix Senator T1 : Les Aigles de sang par Valérie Mangin & Thierry Démarez - Éditions Casterman

Parution prévue pour le 12 septembre 2012

Alix Casterman ✍ Valérie Mangin ✏️ Thierry Démarez à partir de 13 ans France
 
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19 Messages :
  • "Sans contexte" ?! Sans conteste plutôt. On devrait pas vous signaler les fautes, ce serait plus marrant

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 août 2012 à  11:11 :

      Il est normal de faire des fautes. La preuve : contre votre propre logique, vous n’avez pas pu empêcher de la ramener ;)))

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      • Répondu par Alain Perfide le 8 août 2012 à  12:57 :

        Ce "reboot" est enthousiasmant. Les planches qu’on a pu lire dans Casemate étaient vraiment prometteuses. Le travail graphique, plein d’emphase, rappelle les meilleures heures de J. Martin, sans être un décalque servile. Le sujet est dans la lignée, adulte, que proposait Martin - en contournant habilement des règles édictées par des censeurs austères et en détournant des canons bien trop connus...

        Enfin Alix redevient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

        Graphiquement, la série mère a connu des hauts et des bas, depuis Le Cheval de Troie. Le handicap visuel puis le décès de l’auteur d’origine ont été évidemment pour beaucoup dans cette rapide décadence.

        L’auteur le plus émérite, parmi les repreneurs, a bien été Christophe Simon dont, graphiquement, les albums sont les plus fidèles à l’esprit de J. Martin, tout en se démarquant considérablement de cette ligne, pas si claire, que l’article évoque.

        Le travail de reprise de M. Jailloux, dans son Orion, Les Oracles, et dans les quelques planches qu’on peut voir sur le Net, de sa reprise à venir d’Alix, laisse augurer le meilleur.

        Pourtant, c’est un album dessiné par M. Venanzi, dont on peut lire également les planches dans la revue susmentionnée, qui accompagnera, piteusement, le fort bel Alix Senator, à l’automne.

        On se demande bien pourquoi l’éditeur continue à laisser se dégrader graphiquement cette série-mère : les planches visibles de cette nouvelle aventure canonique du gallo-romain sont... catastrophiques.

        Pourtant, le précédent album dessiné par le même auteur, Le testament de César, était plutôt digne de la série. Loin de l’album réalisé par Ferry, qui faisait tache, et qui descendait encore d’un cran le niveau graphique... car tellement éloigné, par son trait rugueux et brut, des pleins et des déliés de Martin...

        Bref, à vous lire, et à la lecture des planches prépubliées dans lepoint.fr, dans le journal susmentionné et ailleurs sur le Net, les amateurs d’Alix pourront lire, à l’automne, un "reboot" prometteur, une série-mère à relancer, de toute urgence... à moins que cette dernière ne meure d’elle-même, ne laissant qu’Alix, vieilli, dans les étals et les rayons des nouveautés ?

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    • Répondu le 9 août 2012 à  12:26 :

      Il y a ceux qui écrivent, qui créent quelque-chose, et les pinailleurs, à l’affût du moindre petit défaut, toujours prêts à démolir, c’est la vie, ça ;-)

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      • Répondu par Cramed le 11 août 2012 à  08:48 :

        MARTIN écrivait, créait ET était un "pinailleur" ou plus exactement quelqu’un d’exigeant et de perfectionniste à l’instar de HERGE et de JACOBS (pourvu que MANGIN et DEMARREZ fassent pareil !). Chercher à bien faire n’est tout de même pas condamnable ?! Si l’art est difficile et la critique aisée, elle ne reste pas moins nécessaire. D’où l’existence des sites avec de critiques de BD comme celui-ci :D

        Il ne s’agit pas de démolir mais de corriger ;-)

        Et vu le nombre de lecteurs qui aiment ALIX de et par MARTIN les auteurs doivent surement s’attendre à des réactions assez fortes dans l’adhésion comme dans le rejet.

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  • "Alix Senator", un "reboot" réussi
    8 août 2012 11:49, par Piet Lastar

    Ne manque-t-il pas un mot ?
    "en lui donnant une progéniture, Alix ayant un fils, Titus, en même TEMPS qu’Enak qui a un rejeton du même âge"

    Savez-vous combien de tomes sont prévus ?

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 août 2012 à  14:27 :

      Ne manque-t-il pas un mot ? "en lui donnant une progéniture, Alix ayant un fils, Titus, en même TEMPS qu’Enak qui a un rejeton du même âge"

      Effectivement, c’est corrigé. Merci.

      Savez-vous combien de tomes sont prévus ?

      C’est une série parallèle, cela dépendra probablement de l’accueil du public.

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  • LIKE ! Merci pour toutes ces précieuses infos ! Dorith

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    • Répondu par klafou le 8 août 2012 à  18:42 :

      Suis-je le seul à voir l’influence du dessin de Murena dans ce projet ?

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      • Répondu le 8 août 2012 à  20:24 :

        c’est surtout au niveau de la mise en couleurs que l’influence est gênante...

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        • Répondu par alex le 9 août 2012 à  14:16 :

          c’est surtout les trolls chicaneurs qui n’ont rien à dire mais le disent quand même qui sont gênant

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          • Répondu par klafou le 9 août 2012 à  20:46 :

            Merci monsieur le bien-pensant !

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          • Répondu par Alex le 10 août 2012 à  23:59 :

            Juste pour préciser -puisque je suis intervenu assez souvent ces 4 ou 5 dernières années- que "alex" n’est pas "Alex". Merci d’avance à l’intervenant de choisir un autre nom de plume.

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  • "Reboot" me semble un terme impropre : le "reboot" recommence la série à l’origine d’un héros, voire avant le moment où démarrait la série initiale (sous forme de "prequel"). Ici, c’est bien un "spin-off" en forme de "sequel".

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    • Répondu par Henry le 11 août 2012 à  19:08 :

      Et plutot que d’utiliser ce terme anglais de spin-off que je n’aime pas car utilise dans le jargon des series televisees americaines et au risque de passer pour un quebecois, pourquoi ne pas utiliser le terme "serie derivee" ? Cela convient tres bien et on continue a ecrire en francais.

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  • "Alix Senator", un "reboot" réussi
    9 août 2012 16:41, par jony

    Hé, ça a l’air bien chouette tout ça.

    Je suis en partie d’accord, peut être, sur la remarque niveau couleur , comme ça, à première vue, mais au fond, je lis le truc, et boom, c’est parti pour le voyage...

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    • Répondu le 9 août 2012 à  19:36 :

      C’est étrange ces remarques sur les couleurs, à une époque où 98% des couleurs photoshopées se ressemble sans que personne ne semble s’en soucier...

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      • Répondu le 10 août 2012 à  06:48 :

        Bah justement, de voir un artiste faire ces couleurs à la main, ça peut choquer ;-)

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        • Répondu par Zombi le 20 septembre 2012 à  14:29 :

          - Je ne vois pas bien le rapport entre le romantisme chrétien de Sienkiewicz et Jacques Martin qui, de mon point de vue, fait plutôt l’éloge de l’empire romain. C’est d’ailleurs frappant que l’école belge, censée être influencée par les milieux catholiques, n’a presque pas produit de BD dont le thème soit chrétien, tandis que c’était le but de Sienkiewicz de faire de la propagande chrétienne. Le "Jésus" de Jijé est une exception, et c’est de la paraphrase.
          - Pour Hergé c’est caractéristique, il est bouddhiste du premier au dernier album ; d’où la question que je me pose : est-ce que le mouvement boy-scout ne rend pas nécessairement bouddhiste, en inculquant le respect de la nature ?

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