"Enfin !" a-t-on envie d’écrire, enfin une reprise sérieuse et enthousiasmante d’Alix, le Gaulois inventé par Jacques Martin.
Nous n’idéalisons pas outre mesure les aventures de ce personnage créé en 1948 dans le journal Tintin. Décalque à ses débuts de Quo Vadis ?, le roman de l’écrivain polonais Henryk Sienkiewicz, cette série est devenue, à l’ombre de la Ligne Claire d’Hergé et sous l’influence d’Edgar P. Jacobs, l’une des références canoniques de l’École de Bruxelles (un vocable, si l’on en croit l’auteur de Tintin, forgé par Jacques Martin lui-même).
Elle avait tout pour être classique : d’abord par son registre, l’antiquité, que tous les jeunes collégiens découvraient en sixième dans leur manuel de latin, Le De viris illustribus urbis Romæ a Romulo ad Augustum de l’abbé Lhomond, cet auteur du XVIIIe Siècle dont l’ouvrage était encore en usage dans les classes au milieu du 20e Siècle ; ensuite par sa qualité historique impulsée par la censure de l’époque, la fameuse Loi de 1949, qui incitait les éditeurs à sur-déterminer la valeur "pédagogique" des bandes dessinées qu’ils publiaient ; enfin par les qualités intrinsèques de la série que Jacques Martin avait réussi à porter à des sommets, en particulier dans la période qui allait de L’Île maudite au Dernier Spartiate, grâce à un dessin d’un élégant vérisme qui rendait très bien la noblesse fascinante de l’antiquité romaine, dont Astérix par ailleurs constituait, en miroir déformant, une forme de méta-commentaire grotesque.
Mais hélas, à la fin de la vie de l’artiste et après sa disparition, la série tomba dans un maniérisme affligeant qui n’était rien d’autre qu’une décadence dont Rome, on le sait, s’est fait une spécialité. La série régulière continue, d’ailleurs, et on espère qu’elle retrouvera des moments inspirés.
Cela dit, pour corriger ce bilan sévère, avec le spin-off Alix Senator de Valérie Mangin & Thierry Démarez, nous sommes dans la plus totale surprise : on retrouve l’état de grâce originel de la série de Martin.
Certes, Valérie Mangin ne débarque pas dans un domaine qu’elle ne connaît pas : n’a-t-elle pas remporté en 1990 un prix en version latine au Concours Général ? Certes aussi, elle est historienne, diplômée de l’École des Chartes, le Saint-Graal de la référence historique. Mais sa profonde connaissance de la bande dessinée lui a permis d’opérer un Reboot qui nous enchante.
En vieillissant le personnage principal, à l’instar d’un Batman dessiné par Paul Pope, devenu sénateur romain, elle l’inscrit dans une perspective historique qui donne davantage de poids à la série régulière. Mieux : en lui donnant une progéniture, Alix ayant un fils, Titus, en même temps qu’Enak qui a un rejeton du même âge, Kephren, elle permet de renouer avec le jeune public de façon presque plus crédible que l’original.
Et tout concourt à cette magie : le dessin de Thierry Démarez, tout à la gouache, délicieusement péplumisant à la limite du kitsch, a l’emphase nécessaire pour donner à cette fable antique tout le souffle nécessaire.
Bref, l’exercice est réussi et nous attendons d’autant plus impatiemment la suite qu’Enak a disparu, peut-être même est-il mort, bien que l’on sait que chez les Égyptiens, comme dans les bandes dessinées, l’on revient parfois du royaume d’Anubis...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Alix Senator T1 : Les Aigles de sang par Valérie Mangin & Thierry Démarez - Éditions Casterman
Parution prévue pour le 12 septembre 2012
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