Cette fois, c’est Ferry qui se colle au pont-aux-ânes des éditions Casterman : la perpétuation, parfois jusqu’à l’absurde, d’un classique de la BD franco-belge. Née en 1948, principalement animée par l’auteur jusque dans les années 1970, la série Alix est confiée depuis à une série d’assistants sous l’œil sourcilleux du maître, puis de sa famille, avec une fortune contestable.
Il faut croire que le personnage a encore une véritable audience puisque, malgré la multitude de produits annexes et les autres séries qu’anime Jacques Martin en parallèle, Casterman en maintient la publication en dépit d’une production loin d’être admirable.
L’honnête Ferry (Ian Kalédine, Les Chroniques de Panchrysia) opère aujourd’hui au dessin. Son trait est à mille lieues du naturalisme martinien. Tout au plus assagit-il son dessin pour correspondre aux canons de la série. Mais le travail est hélas dénué de tout charme.
D’entrée, on retrouve une couverture peu réussie que Martin lui-même n’aurait jamais exécutée de cette façon : le regard part en zigzag, semant la confusion ; déjà le faciès d’Alix interpelle : les visages sont caractéristiques du dessinateur flamand, sombres, voire souvent torturés. Si ceux-ci conviennent finalement assez bien à l’ambiance oppressante de cette épopée gallo-romaine, on peut se demander si cela sera également le cas dans des pays méditerranéens, lors de scènes de liesse ou plus sentimentales.
Malgré des postures assez figées, Ferry a réalisé un beau travail d’ensemble, mais cela s’apparente plus à un hommage à Martin, qu’à un réel album d’Alix. Le public semble résigné à s’adapter à bien des retournements graphiques.
Le scénario de Weber a le mérite de la cohérence. On sent la patte de l’historien dans l’idée de confronter la civilisation romaine aux Celtes. Ce rappel à l’identité gauloise est bienvenu, même si l’intrigue est poussive et convenue.
On a l’impression qu’un choix éditorial vient d’être fait : celui de s’abstraire de la dogmatique Ligne Claire pour livrer une simple histoire réaliste d’aventure avec Alix comme fil conducteur d’une lecture de l’histoire. Ce n’est pas un mal. Peut-être que si l’on avait demandé naguère la contribution d’un Franz ou d’un Hermann, la série ne serait pas aujourd’hui artistiquement agonisante. Qu’importe le dessin finalement : si Weber revient aux fondamentaux de la série, peut-être même jusque dans ses ambiguïtés, pour mieux la recentrer sur ses personnages plutôt que sur des constructions historiques parfois laborieuses, il finira par remplir les objectifs que les éditeurs s’étaient jusque là assignés.
Notons également la sortie attendue du troisième et dernier Voyages d’Alix consacré à l’Égypte ! Annoncé, il y a 17 ans, lors de la parution du premier tome de la série, ce projet avait du plomb dans l’aile, surtout après que Rafaël Moralès se soit fait débarquer d’Alix. Difficile de faire la part entre son travail d’esthète dans la reproduction des décors antiques et celui de Palmisano Léonardo, également crédité dans l’album, et qui auparavant avait essentiellement travaillé comme encreur.
Détaillant les sanctuaires du nord de l’Égypte, l’album est d’un fort bon niveau graphique, même si le trait est souvent moins fin, tandis que les zones d’ombres noircissent le tableau au propre comme au figuré. Le pire est malheureusement atteint à la dernière page, où on retrouve un croquis sobrement mis en couleur, dénotant de la qualité globale du recueil. C’est sans doute le résultat du dessin à quatre mains qui abaisse légèrement le niveau, tout en le maintenant parmi les meilleurs Voyages d’Alix.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Charles-Louis Detournay)
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