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"Aller au ciel pour voir" par El Irra, un roman noir sous le soleil andalou

Par Frédéric HOJLO le 17 août 2018                      Lien  
Un homme au passé mystérieux revient dans le quartier de sa jeunesse, renouant avec ses amis et ses amours. Mais, dans un contexte de misère et de violence, le drame couve... El Irra raconte dans "Aller au ciel pour voir", paru chez Presque Lune éditions, une histoire aussi sombre que le soleil d'Andalousie est éclatant.

Jesús Salas de la Rosa a grandi dans la commune populaire de San Juan de Aznalfarache, à côté de Séville, avant de la quitter brusquement. C’est également sans explication qu’il y revient, semble-t-il après avoir tenté de faire le gangster. Mais, comme dans toute tragédie, il lui est impossible d’échapper à son passé, et son retour parmi les siens scelle son destin.

Malgré ses efforts, notamment pour trouver du travail, la vie de Jesús est chaotique. Le bar de son père périclite, la femme qu’il aime doit se prostituer pour vivre, la violence et la délinquance font le quotidien de son quartier et les fantômes de sa jeunesse ne le laissent pas dormir en paix. Une famille de gitans lui mène en outre la vie dure : alors que l’un des frères est son ami, l’autre est son ennemi juré.

Aller au ciel pour voir - des paroles extraites d’une chanson de Triana ("Abre la puerta", El Patio, 1975) - est une bande dessinée volontairement étouffante. L’ambiance, la violence, la chaleur et les couleurs contribuent à faire vivre une histoire dramatique, digne d’un roman noir. Le dessinateur El Irra y décrit un quartier qu’il connaît bien, mais n’oublie pas de donner corps à des personnages paradoxaux, tiraillés entre leurs désirs et les nécessités de la survie, finalement beaucoup moins manichéens que nous ne pourrions le croire au départ.

Serrurier de formation, dessinateur autodidacte avant d’avoir étudié dans une école de graphisme publicitaire, El Irra a lui-même grandi dans une banlieue andalouse. Influencé par les comics de Frank Miller comme par la culture du Sud de l’Espagne, où la musique et la religion notamment sont omniprésentes, il allie découpage dynamique et moments de calme pour rythmer son récit. Les couleurs chaudes souvent privilégiés rappellent la chaleur ibérique comme le sang maintes fois versées dans cette histoire. Son trait vif et anguleux, enfin, s’il n’a rien de particulièrement distinctif, sied bien à des personnages survoltés et révoltés.

"Aller au ciel pour voir" par El Irra, un roman noir sous le soleil andalou
Aller au ciel pour voir © El Irra / Presque Lune éditions 2018

L’intérêt de l’ouvrage réside à la fois dans son aspect presque documentaire et dans la tension qu’il met en exergue. Le quartier en déshérence est dépeint avec beaucoup de réalisme, parfois même avec minutie. L’urbanisme triste et chaotique, le chômage et la relégation, la frontière floue entre débrouille et délinquance sont continuellement présents dans le récit, lui donnant une tonalité contemporaine marquée.

Mais Aller au ciel pour voir demeure avant tout un roman noir. Les coups et les injures font échos aux rivalités et aux rancœurs. Les non-dits, les lâchetés et les faiblesses tissent une toile dont les personnages ne peuvent se sortir indemnes. La tragédie est inéluctable, d’autant que la violence reste le principal mode de résolution des conflits.

Cette synthèse entre roman noir et description réaliste d’une société peuvent faire penser aux écrits de Didier Daeninckx voire de Jean-Patrick Manchette. El Irra n’a certes pas encore l’expérience ni le densité d’écriture pour leur être comparé, mais il fait preuve dans son livre d’un indéniable talent pour maintenir son lecteur en haleine et pour restituer une atmosphère. Il esquisse ainsi un style et un univers qu’il a lui-même qualifiés d’un terme éloquent : IBERPUNK !

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782917897331

Aller au ciel pour voir - Par El Irra (Israel Gómez Ferrera) - Presque Lune éditions - édition originale : Palos de Ciego, Astiberri Ediciones, 2016 - traduit de l’espagnol par Vanessa Capieu - introduction de Vanessa Capieu & prologue de David Rubín - 20 x 28 cm - 136 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 25 mai 2018 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.

Consulter le site de l’auteur & lire les premières pages de l’ouvrage.

 
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