Amandine Meyer s’est construit peu à peu un monde - des mondes plutôt, tant ils sont divers et insaisissables - si singulier qu’il permet de reconnaître ses dessins d’un coup d’œil. Pour autant, les thématiques qu’elle affectionne, comme l’enfance ou la nature, mais aussi ses couleurs et ses formes confèrent à ses œuvres une grande cohérence. Elle dessine, grave et sculpte pour construire imperturbablement ses mondes mystérieux qui, s’ils empruntent aux contes de fées, aux religions ou à la littérature, ne sont jamais transparents.
Amandine Meyer s’auto-édite depuis 2004 et se distingue comme lauréate du Prix de l’EESI (École européenne supérieure de l’image basée à Angoulême et Poitiers). Un livre publié par ION éditions (la maison de Benoît Preteseille) en 2014 permet de découvrir les contours de son travail. À la fois muet et foisonnant, naïf et sensuel, beau et monstrueux, Le Naufrage enchanté de Tête d’Œuf et des enfants chewing-gum révèle une fantasmagorie presque dérangeante, qu’un regard distrait pourrait croire lisse mais qui est au contraire complexe, référencé mais personnel.
Misma éditions a permis à Amandine Meyer de développer ses mondes dignes des œuvres de Lewis Carroll. Ses dessins sont en effet publiés d’abord dans la revue Dopututto, puis dans deux ouvrages qui sont autant d’écrins. Le premier, Histoire décolorée (2016), met en scène des enfants jouant au milieu des animaux et des végétaux. Mais leurs jeux ne sont pas inoffensifs, les plantes se révèlent oppressantes et l’ambiance, sans être franchement hostile, est inquiétante.
Figurines sans figure, les personnages d’Amandine Meyer se tordent et se transforment, tombent et pleurent, fraternisent et chahutent. Souvent les yeux bandés, ils jouent avec sérieux mais ne se font jamais sérieusement mal, car ils savent que leur vie est imaginaire. Sommes-nous dans Sa Majesté des mouches (William Golding, 1954) ou dans Libres enfants de Summerhill (Alexander S. Neill, 1960) ? Impossible de le savoir.
Eaux fortes (2018) prolonge les visions et les sensations évoquées précédemment. Plus de séquences narratives cependant, mais des pleines pages classées en trois chapitres - « Eaux fortes », « Déclinaisons » et « Pot pourri », complétés d’un tout petit format intitulé Petit livre de naissance et collé sur la troisième de couverture - qui peuvent chacune renvoyer à une histoire que le lecteur s’inventera ou qui se laissent simplement observer pendant plusieurs minutes, le temps d’en découvrir les innombrables détails, d’en admirer les couleurs et de s’imprégner des ambiances.
Le trait d’Amandine Meyer se fait ici plus fin. Elle dessine de vastes compositions qui nous sont rendues grâce au procédé de l’eau-forte, puis aquarellées avec une douceur apaisante, contrastant avec la densité des motifs. Fontaines, fleurs, putti, garçons et filles prennent vie dans un éden incongru et pourtant familier. D’étranges scènes s’y déroulent, dans une opulence inexpliquée. Le lecteur est invité à s’y perdre, pour une errance rêveuse, presque mystique, dans les nimbes du dessin et de la couleur.
(par Frédéric HOJLO)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Eaux fortes - Par Amandine Meyer - Misma éditions - 16 x 21,5 cm - 64 pages couleurs - couverture cartonnée, dos toilé - parution le 9 novembre 2018 - lire quelques pages de l’ouvrage.
Histoire décolorée - Par Amandine Meyer - Misma éditions - 16 x 21,5 cm - 112 pages couleurs - couverture cartonnée - parution en février 2016 - lire quelques pages de l’ouvrage.
Le Naufrage enchanté de Tête d’Œuf et des enfants chewing-gum - Par Amandine Meyer - ION édition - 19 x 27 cm - 40 pages couleurs - couverture souple - parution le 11 février 2014.
Consulter le site de l’autrice.