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André Geerts ou la nostalgie de l’enfance

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 juillet 2010                      Lien  
André Geerts nous a quittés la nuit dernière, des suites d’une longue maladie, à l’âge de 54 ans. Il avait réussi à conserver une voie singulière en dépit d’une évolution qui avait quelque peu fait bouger les canons de la bande dessinée belge classique.
André Geerts ou la nostalgie de l'enfance
Un cliché de Geerts à ses débuts dans Zazou. Un garçon timide...
Photo : Didier Pasamonik (L’Agence BD)

J’avoue que la nouvelle m’a secoué, même si nous savions depuis plusieurs jours que l’issue n’était plus très loin. André Geerts part discrètement, en plein mois de juillet, à un moment où les vacances nous portent à l’insouciance.

Cela me touche beaucoup, car l’image d’André accompagne mon parcours professionnel. La première fois que je l’ai rencontré, c’était à un petit festival de science-fiction en Belgique au milieu des années 1970. Il faisait partie de l’équipe d’un petit fanzine où l’on retrouve Bosse, Darasse, Yslaire et Watch : Zazou. J’ai conservé la photo de cet instant. Ce grand garçon d’un an mon aîné était déjà extrêmement timide et avait cette façon quasi enfantine de se tortiller les cheveux en parlant.

Jojo aux éditions Dupuis. 17 albums parus.

La dernière fois que je l’ai rencontré, c’était à Roland Garros il y a deux ans. Il avait l’air en pleine forme et conservait cette douceur qui le caractérisait. Ce passionné de tennis était ravi de pouvoir évoluer dans l’arène mythique des héros de son enfance. Comme j’avais fait état de cet enthousiasme dans une brève d’ActuaBD, il était intervenu dans le forum : « Eh oui, j’étais aux anges, mon cher Didier ! Imagine toi, entrer dans le stade de Roland Garros pendant les internationaux de France, c’est comme si, à treize ans, j’avais pu entrer dans la rédaction de Spirou et rencontrer là, en chair et en os, des vrais dessinateurs de BD ! Et, eh bien, oui !... Ca aussi, j’ai eu la chance de le faire, il y a quarante ans ! Et ça me fait du bien, ce rendez-vous avec le talent, loin des problèmes, des procès Uderzo, des polémiques Hergé, des cocaïne et vieux tableaux de Roland Garros... Juste le talent, l’amour, le rêve, le ressenti, la qualité et la route qui y amène : l’enthousiasme !  »

Une page de Jojo, la principale série de André Geerts
Éditions Dupuis

Peut-être se savait-il déjà malade, mais cette phrase résume tout entier son legs qui est également illustré par le brillant entretien qu’il a accordé dans nos pages à Nicolas Anspach et qui sonne aujourd’hui comme un message d’adieu où il parlait de la nécessité de « retisser un lien avec l’enfance » : « D’un point de vue philosophique, on peut dire qu’un artiste reproduit à sa manière la création du monde. Il est le créateur de sa vision du monde. J’ai été frappé par une interview de Pablo Picasso dans laquelle le journaliste lui demandait ce qu’il recherchait à travers son art. Picasso a répondu qu’il cherchait à dessiner comme un enfant ! C’est l’artiste d’avant-garde du 20e Siècle par excellence. Il était toujours à la pointe de la nouveauté, avec parfois un brin de provocation. Le siècle dernier a été celui où l’on a cru le plus à la modernité, à la science, au progrès. Lui qui symbolisait l’avant-garde dans ce siècle moderne, il ne recherchait qu’une chose : dessiner à nouveau comme un enfant ! S’il y a de la nostalgie dans mon travail, c’est celle-là que je veux mettre en scène. Je n’ai pas le regret d’une époque. Je suis heureux comme je suis. La vie est un chemin que l’on traverse, et il n’y a pas à être nostalgique. »

Mademoiselle Louise, une série créée avec Sergio Salma
Éditions Dupuis

Geerts avait fait ses débuts dans Spirou en 1976, si l’on en croit BDoubliées.com, dans une rubrique rédactionnelle qu’il co-signe avec Jadoul et Bernard Hislaire. Ses premières Chroniques vénusiennes, il les signe avec Jean-Marie Brouyère. Il fait partie de cette génération que l’on a pu appeler « la bande à Hislaire » recrutée par Thierry Martens et qui allait émerger sous la direction d’Alain de Kuyssche.

Ses débuts sont difficiles car ce grand timide a du mal à se vendre. Il parvient cependant à percer avec la série Jojo en 1983 alors que le rédacteur-en-chef de l’époque, Philippe Vandooren qui lui avait ouvertement dit qu’il n’était pas fait pour la bande dessinée, avait un peu baissé sa garde. Il le pousse d’ailleurs à imiter le style de Sempé auquel d’aucuns le rattachent un peu rapidement. Il n’avait pas de raison de le faire. Son dessin, comme il disait à Nicolas Anspach, « parlait doucement » et sa façon de dessiner les personnages est vieille comme le monde en fait, si l’on pense à l’un de ses prédécesseurs d’avant-guerre comme Marcel Capy. La série Jojo totalise 17 albums qu’il scénarise seul, à l’exception d’un seul écrit par Sergio Salma. Elle avait fait l’objet d’une série de dessins animés qui est une des plus belles réussites de Dupuis Audiovisuel. Un dernier titre était en cours de finition. Il restait deux planches à finir qui le seront par Alain Mauricet sans doute.

Avec Salma, il avait aussi dessiné quatre albums de la série Mademoiselle Louise, un personnage créé pour le Mensuel Schtroumpf au début des années 1990 et qui fut publié successivement par Casterman puis par Dupuis.

Récemment, les éditions Dupuis avaient repris ses dessins d’humour réalisés pour Spirou , il avait pour titre une sentence à contre-pied : « Bonjour, monde cruel ! ». Partir en disant bonjour, c’est tout André, ça…

Son héros, Jojo, m’évoque cette chanson de Jacques Brel où le chanteur pleure lui aussi un ami terrassé par le cancer :

Six pieds sous terre
Jojo
Tu n’es pas mort
Six pieds sous terre
Jojo
Je t’aime encore

Mademoiselle Louise, avec Sergio Salma
Éditions Dupuis

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

André Geerts a reçu une vingtaine de prix dont
- 1994 : Prix œcuménique de la BD à Angoulême pour le tome 1 de “Mademoiselle Louise” ;
- 1997 : Grand prix de la ville de Durbuy pour “Monde Cruel” ;
- 1998 : Crayon d’or de la ville de Bruxelles attribué par la Chambre Belge des Experts en Bandes Dessinées ;
- 2003 : Grand prix de la ville de Bruxelles attribué lors du festival de Ganshoren ;
- 2007 : Prix des lecteurs jeunesse au festival de Vaison-La-Romaine pour “Jojo vétérinaire”, le 17e album de la série.

Le 18e album de Jojo “Mamy Blues” sortira le 1° octobre.

Le site de Jojo

Lisez l’interview d’André Geerts par Nicolas Anspach

 
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21 Messages :
  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 11:59, par Marc Bourgne

    Quelle horrible nouvelle. J’ai croisé plusieurs fois André dans des festivals et lui avais dit mon admiration. Jojo est une merveille d’humour et de tendresse. Très gentiment, il avait dessiné une superbe dédicace dans le tome 9 de Jojo, "Le retour de Papa", pour mon fils.

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 12:47, par LC

    Je m’étais levé de bonne humeur, et maintenant je pleure, il y a des larmes plein mon clavier. C’est vraiment trop triste.

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    • Répondu par Michel Dartay le 27 juillet 2010 à  19:36 :

      Bien d’accord avec vous, car l’oeuvre de Geerts reste attachante pour tous ceux ont gardé en eux un petit morceau d’âme d’enfant. Si la nouvelle est cruelle et inattendue, l’oeuvre de Geerts restera dans nos mémoires. Et merci à Didier pour son précieux témoignage !

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    • Répondu par jacqueline Brouyère le 28 juillet 2010 à  20:04 :

      Quelle tristesse ! J’ai connu André tout timide, quand il travaillait avec mon frère Jean-Marie Brouyère (évoqué dans l’article plus haut). La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, c’était à la mort de Jean-Marie... et aujourd’hui ! C’est trop triste. Aujourd’hui, nous sommes tous des petits Jojo. Toute ma sympathie à ses proches

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 13:01, par jeje13

    Quelle tristesse.... Merci pour ce bel article plein d’amour et de respect pour un sacré bonhomme.
    Salut l’artiste :(

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    • Répondu par Loïc Clément le 27 juillet 2010 à  13:47 :

      Je suis sincèrement touché par la mort de ce magicien exquis. Je ne trouve pas les mots pour évoquer la sensibilité qui émanait de son travail.
      Un souvenir d’une rencontre :

      http://www.buta-connection.net/bonus/images/bd_occidentale_totoro_fev04_2.jpg

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      • Répondu par Frenchoïd le 28 juillet 2010 à  13:58 :

        http://www.buta-connection.net/bonu...

        Accès interdit !
        Vous n’avez pas le droit d’accéder à l’objet demandé. Soit celui-ci est protégé, soit il ne peut être lu par le serveur.
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        • Répondu le 30 juillet 2010 à  10:45 :

          Etrange en effet que le lien direct soit refusé.
          Si tu veux vraiment voir le Jojo-Totoro, rdv sur Buta-connection.net section Bonus, hommages bd ;)

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 13:59, par Frenchoïd

    Tous ceux qui l’ont vu s’entortiller une mèche de cheveux entre les doigts tout en tenant des propos d’une parfaite modestie ont conscience de ce qu’ils perdent.
    Adieu, André.

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 14:31, par Baptiste Gilleron

    Quelle bien mauvaise nouvelle... Je n’ai jamais vraiment eu l’occasion d’approcher ce grand monsieur et j’en suis d’autant plus triste que je n’en aurai jamais plus.

    Aurevoir André, et merci pour les jolis souvenirs que vous nous laissez à travers vos albums.

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 14:43, par Erik Kempinaire

    salut l’ami ! merci pour les innombrables moments de joie, de tendresse, de poésie ressentis à la lecture de ton oeuvre. Merci de ta présence à chaque fois que j’ai pu te solliciter.Pour moi tu es , comme le dit la chanson, "juste quelqu’un de bien". Comme tu vas me manquer...
    condoléances à tes proches

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 16:44, par Benoit Houbart

    Merci d’avoir ouvert ta porte et pour ta confiance.
    Pour les projets qu’on aurait pu avoir encore et encore, ce sera pour une prochaine fois,
    Salut l’ami !

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 17:38, par Norbert

    Surpris et ému par cette triste nouvelle...

    J’avais acheté "Bonjour, monde cruel" lors de sa 1ère parution en 1985 (et je l’ai toujours) car j’avais apprécié son dessin sensible et délicat. Ensuite, j’ai acquis tous les Jojo, qui ont fait la joie de mes enfants (et la mienne) aux Noëls successifs...

    Merci pour tous ces bonheurs monsieur Geerts !

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 18:49, par la plume occulte

    André Geerts c’était l’auteur qu’on a envie d’aimer.

    D’aimer pour toutes ces choses indicibles qu’il savait faire ressurgir en nous.Des sensations de passé de présent de futur tout à la fois et en même temps tout autre choses...Il savait nous emmener dans sa bulle.

    Ce n’était pas un virtuose de l’écriture du dessin de la couleur:il était virtuose de lui même ce qui est bien mieux...

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 20:52, par Jean-Frederic Minery

    J’étais à deux doigts de l’appeler pour avoir des nouvelles.
    Je suis atterré. Je perds un ami et le monde de la BD, de la poésie et de l’enfance perd un immense auteur. Sale nouvelle.
    souvenir

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    27 juillet 2010 22:23, par Olivier Bonnet

    Il y a des informations qui font mal. Celle de ton départ en est une. J’aurai tellement souhaité aboutir le projet de mettre en mouvement ton personnage. Nous avions fait un très beau pilote que la bêtise humaine a cru bon de mettre sur la touche. Le dossier est encore chez moi. Je prend toujours autant de plaisir à le feuilleter et me remémorer les doux moments passés en ta compagnie. Cher André, cher André... Je ne puis rien ajouter d’autre. Merci de m’avoir offert l’honneur de te connaître. Reposes toi bien.

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    28 juillet 2010 06:20, par Alice A

    Noooonnnnnnn ! c’est pas possibllleeee..... Lui qui me donnait le sourrire et du plaisir lors de mes lectures et re-lectures des tomes de Jojo, Mademoiselle Louise, et le Commissaire, depuis DES ANNEES !....Moi qui attendait avec impatience l’Album de l’année pour agrandir ma collection et découvrir de nouvelles aventures !...je reste sans voix, je ne m’y attendais pas du tout....Merci André pour ta simplicité, ton humour, ta générosité et ta gentillesse que tu nous as fait partager au travers de personnages !...

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    28 juillet 2010 20:20, par Jocelyn Jalette, Québec

    Cet homme affable, lors de ces débuts au journal de Spirou, eut le privilège de croiser le maître André Franquin. Rencontré lors d’un salon du livre, il me confirma l’amabilité de Franquin, et sa grande réserve. Chacun à leur façon, ils défendaient, à l’intérieur de leurs histoires, des valeurs humaines.

    Ainsi, les deux André partageaient la gentillesse et aujourd’hui un coin de paradis. SNIF !

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    30 juillet 2010 12:36, par Bêteman Antihéros

    Cette nuit , je ne dors pas . Je me relis les albums des aventures du p ’ tit JOJO , en pensant , avec beaucoup d ’ émotion , à Geerts . Seul soulagement , c ’ est de me dire que maintenant , André doit faire la fête , là-haut , avec Tibet , Yvan Delporte et tous les autres Fous de la Bédé , qu ’ on aimait tant , et qui sont partis trop vite ! . . .

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  • André Geerts ou la nostalgie de l’enfance
    12 août 2010 10:52, par Henri Armagnat

    Il y a bien des années de cela, je lisais les Chroniques vénusiennes dans Spirou, et cela me fascinait.

    Il y avait une telle vie dans ces petits dessins apparemment tout simples.

    Ensuite, j’ai perdu Spirou de vue, je ne savais plus trop ce qui s’y passait, et puis je suis tombé sur une histoire de Jojo, et j’ai adoré.

    C’était comme si Sempé et Franquin travaillaient ensemble.

    Curieusement, je n’ai pas fait le rapprochement avec les Chroniques vénusiennes, je ne l’ai fait que plus tard.

    Alors, on peut dire que Geerts m’aura conquis deux fois.

    La seule chose qui me console, c’est de n’avoir pas tout lu , j’aurais encore le loisir de le découvrir.

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  • Il m’a fallu recevoir aujourd’hui le Spirou pour apprendre qu’André Geerts vient de rejoindre la crême de la BD au nirvana des auteurs.
    Je me joins au concert des lamentations. C’est triste.

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