Un mot sur la sélection des « essentiels » d’Angoulême. On nous avait expliqué l’année dernière qu’il fallait les resserrer la liste des prix, trop longue, pour les rendre lisibles. Soit. Cela nous avait donné un palmarès qui favorisait l’édition « non commerciale ».
Cette impression est reconduite cette année. Quand on analyse la sélection 2008, on ne peut faire que ce constat : la sélection du jury s’est faite en faveur des romans graphiques ou Graphic Novel pour utiliser la terminologie du Time (voir notre article Angoulême 2008 : Une programmation volontariste), que l’hebdomadaire américain désignait comme l’une des dernières valeurs d’exportation culturelle de la France depuis Proust et Truffaut… Il s’agit donc bien d’un seul genre de bande dessinée, et pas son ensemble qui est promu : contrairement à ce que martèle la direction du festival, cette sélection ne s’adresse pas « au plus grand nombre ». Des opérateurs qui pèsent dans le marché francophone comme Glénat, Le Lombard, ou Soleil sont notablement sous-représentés et des labels aussi « notoires » que Cambourakis sont, au contraire, mis en avant.
En préface de la liste des 50 sélectionnés, Benoit Mouchart en appelle à l’exigence artistique et insiste sur le rôle prescripteur d’une sélection officielle. Il rappelle le mot d’ordre de René Goscinny qui considérait que le rôle de l’éditeur était de précéder le goût du public, pas de le suivre. Propos très juste, sauf qu’en substance, le directeur artistique du festival détourne les propos du scénariste d’Astérix qui, s’il n’en faisait pas moins appel au « courage éditorial », faisait alors allusion aux référendums qui dictaient alors la politique éditoriale du Journal Tintin). Goscinny était néanmoins concerné par une large audience de ses créations : Astérix, Lucky Luke, Iznogoud… sont des œuvres novatrices mais pas expérimentales. Ses propos n’invitaient pas à l’enfermement de la bande dessinée dans une seule catégorie de livres, mais au contraire à ouvrir le genre. La reconnaissance du métier de la bande dessinée doit autant à la notoriété qu’à l’intelligence et à la qualité d’Astérix. Rappelons que Goscinny considérait le Festival d’Angoulême d’un œil méfiant, et qu’il n’y a été honoré que de manière posthume, en 2000, au travers d’un prix remis à Albert Uderzo qui lui a toujours ouvertement préféré le Prix Raymond Poïvet.
Le jury de présélection, composé d’un libraire, d’une journaliste et de gens proches de l’organisation du festival, ont fait ici un choix à la fois éclectique et cryptique, favorisant une fois de plus des auteurs à la notoriété réduite, répartis sur un grand nombre de très petits labels éditoriaux, les titres sélectionnés chez les grands éditeurs (par exemple le dernier album d’Adèle blanc-sec ou Les Cités obscures chez Casterman, Le Chat du rabbin T5 de Sfar ou La véritable histoire de Futuropolis de Cestac ou même le « XIII » de Giraud et Van Hamme chez Dargaud...) donnant l’impression d’avoir été mis plutôt là comme repoussoirs. Outre le caractère limité de ces choix (on regrette par exemple que les chefs-d’œuvre de Paul Pope publiés cette année ne soient pas au nombre des nominés), elle rejette les séries commerciales qui sont au cœur de notre industrie de la bande dessinée, donnant l’impression de les renier, tandis que des créations funs et innovantes dirigées vers la nouvelle génération, comme Mutafukaz publié chez Ankama, sont également ignorées.
Il se développe, semble-t-il, comme une sourde idéologie qui considère que l’ancien standard franco-belge dominant, celui de la série en recueils de 48 à 60 pages couleurs n’a désormais plus voix au chapitre. On voudrait opposer une bande dessinée « intello » à une bande dessinée populaire. Or, cette dernière, de Tezuka à Hergé, de Kirby à Franquin, a toujours constitué un terreau créatif producteur de chefs-d’œuvre.
La preuve que l’équation proposée par le Festival n’est pas résolue, c’est que les nouveaux entrants du sponsoring, la FNAC et la SNCF, « partenaires de sens », ont préféré se désolidariser du prix du jury en créant « leur » prix, l’essentiel Fnac/Sncf qui sera issu d’un vote du public. Et que croyez vous qu’il fera ? Il se dirigera inévitablement vers des personnages et des séries qu’il connaît.
Le palmarès de l’année dernière était illisible. Il y a de fortes chances que la médiatisation de la sélection 2008 par l’intermédiaire de la FNAC et de la SNCF ne fasse qu’augmenter l’incompréhension et le malentendu. Des petits éditeurs vont être confrontés à des obligations de mise en place qui ne correspondront pas à la réalité de leurs ventes. Cette sélection –trop éclectique, trop longue- est une usine à retours.
Outre qu’elle semble céder à une mode, elle est inadaptée aux réalités du marché. Est-ce une bonne chose ? On peut se poser la question. Pour sortir de l’ornière, ne vaudrait-il pas mieux confier cette liste à un vote de la profession, à l’image des Oscars ou des Molières. Est-ce si difficile à mettre en place à l’heure de l’Internet ? Le débat est ouvert.
LA SELECTION D’ANGOULÊME 2008
Pour les essentiels (par ordre alphabétique de titre) :
ACME NOVELTY LIBRARY - Chris Ware -Delcourt
ADÈLE BLANC-SEC - Jacques Tardi -Casterman
AMER BÉTON - INTÉGRALE - Taiyo Matsumoto - Tonkam
AMERICAN BORN CHINESE - Gene Luen Yang - Dargaud
L’AUTRE FIN DU MONDE - Ibn Al Rabin - Atrabile
BAUDELAIRE - Casanave & Tuot - Les Rêveurs
CANCER AND THE CITY - Marisa Acocella Marchetto - L’Iconoclaste
CAPRICORNE - Andréas - Le Lombard
CHAQUE CHOSE - Julien Néel - Gallimard / Bayou
LE CHAT DU RABBIN - Joann Sfar - Poisson Pilote / Dargaud
CHÂTEAU L’ATTENTE - Linda Medley - Çà et là
CHRONIQUES BIRMANES - Guy Delisle - Shampooing / Delcourt
LES CITÉS OBSCURES : LA THÉORIE DU GRAIN DE SABLE -François Schuiten & Benoît Peeters - Casterman
CONSTRUIRE UN FEU - Christophe Chabouté - Vents d’Ouest
DEATH NOTE - Takeshi Obata & Tsugumi Ohba - Kana
LE DERNIER MOUSQUETAIRE - Jason - Carabas
DJINN DJINN - Ralf König - Glénat
DONJON PARADE - Manu Larcenet, Joann Sfar & Lewis Trondheim - Delcourt
L’ÉLÉPHANT - Isabelle Pralong - Vertige Graphic
EN ROUTE POUR LE NEW JERSEY - Peter Bagge - Rackham
ÉPUISÉ - Joe Matt - Le Seuil
EXIT WOUNDS - Rutu Modan - Actes Sud BD
FAIRE SEMBLANT C’EST MENTIR - Dominique Goblet - L’Association
LE FEUL - Jean-Charles Gaudin & Frédéric Peynet- Soleil
FIDO FACE À SON DESTIN - Sébastien Lumineau - Shampooing / Delcourt
LE GRAND AUTRE - Ludovic Debeurme - Cornélius
LE GROS LOT - Nikola Witko - Carabas
GUS - Christophe Blain - Dargaud
HELTER SKELTER - Kyôko Okazaki - Sakka / Casterman
L’ÎLE BOURBON 1730 - Appollo & Lewis Trondheim - Shampooing / Delcourt
JÉRÔME K. JÉRÔME BLOCHE - Alain Dodier - Dupuis Repérages
JOURNAL D’UN FANTÔME - Nicolas De Crécy - Futuropolis
JOURNAL D’UNE DISPARITION - Hideo Azuma - Kana
KIKI DE MONTPARNASSE - Catel & Bocquet - Écritures / Casterman
LÀ OÙ VONT NOS PÈRES Shaun Tan - Dargaud
MA MAMAN EST EN AMÉRIQUE, ELLE A RENCONTRÉ BUFFALO BILL - Jean Regnaud & Emile Bravo - Gallimard
LA MARIE EN PLASTIQUE - Pascal Rabate & David Prudhomme - Futuropolis
MOI JE ET CAETERA - Aude Picault - Warum
MOURIR PARTIR REVENIR - LE JEU DES HIRONDELLES - Zeina Abirached - Cambourakis
PAR LES CHEMINS NOIRS - David B - Futuropolis
PASCAL BRUTAL - Riad Sattouf - Fluide Glacial
PETITE HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES - Otto T. & Grégory Jarry - Flblb
R.G.- Peeters & Dragon - Bayou / Gallimard
LE ROMAN DE RENART - Bruno Heitz - Fétiche / Gallimard
LA TOPOGRAPHIE INTERNE DU M - Jean-Christophe Menu - Les Requins Marteaux
TROIS OMBRES - Cyril Pedrosa - Shampooing / Delcourt
LA VÉRITABLE HISTOIRE DE FUTUROPOLIS - Florence Cestac - Dargaud
LA VIE SECRÈTE DES JEUNES - Riad Sattouf - L’Association
VILEBREQUIN - Obion & Arnaud Le Gouëfflec- Kstr / Casterman
XIII - Jean Giraud & Jean Van Hamme - Dargaud
Prix du patrimoine
L’ÂME DU KYUDO - Hiroshi Hirata - Akata / Delcourt
L’ART ATTENTAT - Francis Masse - Le Seuil
JE NE SUIS PAS N’IMPORTE QUI - Jules Feiffer - Futuropolis
MES PROBLÈMES AVEC LES FEMMES - Robert Crumb - Cornélius
MOOMIN - Tove Jansson - Le Petit Lézard
ORFI AUX ENFERS - Dino Buzzati - Actes Sud BD
SPIROU ET FANTASIO, L’INTÉGRALE - André Franquin - Dupuis
UN GENTIL GARÇON - Shinichi Abe - Cornélius
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(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême
Du 24 au 27 janvier 2008
Réservation et renseignement sur le site du Festival
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