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Angoulême 2008 : Un palmarès pertinent, malgré tout

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 janvier 2008                      Lien  
Face à une sélection pléthorique et déséquilibrée, le jury du Festival d’Angoulême a eu bien du mérite à distinguer des œuvres aux qualités essentielles. En dépit de cette difficulté, il ne s’en est pas trop mal tiré.

Le vote du jury du Festival est issu d’un choix opéré par un jury de présélection qui a mis en avant une « sélection officielle » de cinquante titres. On connaît nos griefs : une sélection trop longue qui représente peu l’ensemble des courants de la production de la bande dessinée publiée dans l’espace francophone aujourd’hui, des choix incompréhensibles, voire contestables, une sélection jeunesse écartée de la sélection officielle, un « prix des sponsors » appuyé sur un vote du public qui défigure le palmarès, etc. Par exemple ? Un courant important de création représenté par des auteurs comme Xavier Dorison, Christophe Bec, Richard Marazano, Frank Giroud, Fabien Nury ou Didier Convard n’existe pas dans la sélection officielle. L’humour est singulièrement sous-représenté. En particulier cette année, les comic-books sont inexplicablement absents, ce qui fait qu’un auteur aussi important que Paul Pope dont deux titres ont été publiés cette année est oublié.

En revanche, le récit intimiste à prétention, disons, « littéraire » se taille la part du lion, favorisant le roman graphique au détriment des séries qui ont fait le succès de la bande dessinée franco-belge ces dernières années. Or, nous considérons qu’un tel palmarès doit être la vitrine des auteurs de notre époque. Hergé, Franquin, Goscinny, Jack Kirby, Osamu Tezuka ou Zep sont des auteurs à part entière dont le succès rayonne – et fait rayonner la bande dessinée - bien au-delà du cercle des passionnés.

Le clivage entre « bande dessinée commerciale » et « bande dessinée d’auteur » qui est une fabrication commerciale opérée par certains éditeurs pour se distinguer des puissantes machines industrielles (et on comprend parfaitement leur démarche) doit être effacé le temps d’une sélection pour mettre en avant ce qui se fait de mieux dans tous les genres et ce qui caractérise l’originalité et la vitalité de la production actuelle. En clair, le Festival devrait revoir complètement son système de présélection et notre sentiment est qu’il est impossible d’accoucher d’une logique équilibrée sans un système clair de catégorisation.

Le palmarès issu de la sélection porte bien évidemment les stigmates de ce choix originel. Le mérite du jury est d’avoir réussi à reconstituer une cohérence en dépit de ce handicap.

La prime cette année est donnée à un nouvel acteur sur le marché de la bande dessinée : Gallimard qui, avec deux titres dans le palmarès, plus un autre dans la filiale Futuropolis (en joint-venture avec Soleil) prend nettement l’ascendant sur des acteurs majeurs comme Dargaud, Casterman ou Glénat. Ce sont dans la plupart des cas des très bons livres. Le jury organisé autour de José Munoz a eu l’intelligence de donner une cohérence et une pertinence à un palmarès choisi dans une présélection aux intentions illisibles.

Le palmarès du Festival 2008 est le suivant :

Fauve d’Or du meilleur album :

Angoulême 2008 : Un palmarès pertinent, malgré tout Là où vont nos pères de Shaun Tan – Éditions Dargaud

Thomas Ragon, l’éditeur de "Là où vont nos pères" venu chercher le prix de Shaun Tan
Photo : D. Pasamonik

Les Essentiels  :

-  Exit Wounds de Rutu Modan – Actes Sud

Rutu Modan, l’auteure de "Exit Wounds". L’artiste israélienne avait déjà reçu le Prix France Info pour cet album
Photo : D. Pasamonik

-  La Marie en plastique de Pascal Rabaté et David Prudhomme – Futuropolis

David Prudhomme et Pascal Rabaté, distingués pour "La Marie en plastique" (Futuropolis)
Photo : D. Pasamonik

-  Ma Maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill de Jean Regnaud et Emile Bravo – Gallimard

Emile Bravo et Jean Regnaud, les auteurs de "Ma Maman est en Amérique"
Photo : D. Pasamonik

-  R.G. de Pierre Dragon et Frédéric Peeters - Gallimard

Pierre Dragon, le scénariste de R.G.
Photo : D. Pasamonik

-  Trois ombres de Cyril Pedrosa – Delcourt

Cyril Pedrosa, l’auteur de "Trois ombres". Ce très bel album avait déjà été primé à Saint-Malo.
Photo : D. Pasamonik

L’essentiel jeunesse

- Sillage de Jean-David Morvan et Philippe Buchet

L’essentiel révélation

-  L’éléphant d’Isabelle Pralong – Vertige Graphic

L’essentiel patrimoine

-  Moomin de Tove Jansson – Le petit lézard

Les éditeurs de "Moomin" de la dessinatrice finlandaise Tove Jansson (1914-2001) viennent chercher leur prix.
Photo : D. Pasamonik

Le Prix de la bande dessinée alternative

- Turkey Comics

À cela s’ajoutent :

Le prix des sponsors FNAC – SNCF issu d’un vote du public sollicité par ces deux entreprises :

-  Kiki de Montparnasse de José-Louis Bocquet et Catel

José-Louis Bocquet et Catel, les auteurs de "Kiki de Montparnasse". Après le prix RTL, ils raflent le prix du public FNAC/SNCF
Photo : D. Pasamonik

Et les prix associés au Festival :

Le Prix de l’École supérieure de l’Image

-  Kiriko Nananan

Le Prix René Goscinny  :

-  Jul pour Le Guide du Moutard – Vent des Savanes

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

En médaillon : Le président du jury 2008, José Munoz.

 
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10 Messages :
  • Angoulême 2008 : Un palmarès pertinent, malgré tout
    27 janvier 2008 20:21, par Jean-Paul Jennequin

    Il n’est pas exact de dire que les comic books sont absents de la sélection officielle. Quatre des traductions de l’américain sélectionnées ont d’abord été publiées sous forme de comic books avant d’être reprises sous forme de livre : Acme Novelty Library de Chris Ware, Château L’Attente de Linda Medley, Epuisé de Joe Matt et En route pour le New Jersey de Peter Bagge. Evidemment, en France, nous ne voyons arriver que cette reprise en livre, ce qui peut donner l’impression que toute la partie américaine de la sélection n’est constituée que d’œuvres parues directement en volume.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 janvier 2008 à  01:18 :

      Acme Novelty Library de Chris Ware, Château L’Attente de Linda Medley, Epuisé de Joe Matt et En route pour le New Jersey de Peter Bagge. Evidemment, en France, nous ne voyons arriver que cette reprise en livre, ce qui peut donner l’impression que toute la partie américaine de la sélection n’est constituée que d’œuvres parues directement en volume.

      Cher Jean-Paul,
      J’accepte avec plaisir ta mauvaise foi, étant capable moi-même d’en mettre une couche au besoin. En vérité, tu as bien compris -surtout toi- ce dont je parle : du comic-book mainstream. Chris Ware, du comic-book... C’est cela, oui.

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      • Répondu par Sébastien le 28 janvier 2008 à  13:24 :

        Pour quelqu’un qui dénonce dans l’article du dessus le fait que "le clivage entre « bande dessinée commerciale » et « bande dessinée d’auteur » est une fabrication commerciale", c’est un peu l’hopital qui se fout de la charité. ACME Novelty Library est un comic-book au même titre que Spider-Man Family ou Horny Biker Sluts. On devrait l’appeler "la" comic-book pour bien marquer la différence, c’est ça ? Allons bon...

        M. Jennequin, peut-on espérer avoir le plaisir de lire prochainement le 2e volume de votre histoire du Comic-Book ?

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 janvier 2008 à  13:37 :

          Pour quelqu’un qui dénonce dans l’article du dessus le fait que "le clivage entre « bande dessinée commerciale » et « bande dessinée d’auteur » est une fabrication commerciale", c’est un peu l’hopital qui se fout de la charité. ACME Novelty Library est un comic-book au même titre que Spider-Man Family ou Horny Biker Sluts.

          C’est précisément ce tour d’esprit qui est malhonnête : comparer ce qui n’est pas comparable et exciper d’une qualité de l’un pour mieux écarter l’autre.

          Prétendre qu’ACME Novelty Library est un produit maintsream, c’est se foutre des gens qui vous lisent.

          Par ailleurs, vous oubliez ma revendication : le retour aux catégorisations.

          Vouloir mettre dans le même sac ACME Novelty Library et Spider-Man est absurde. C’est précisément là que se situe la mauvaise foi dans ce débat.

          Je n’y vois pas autre chose qu’une manœuvre pour débarquer un certain type de bande dessinée du palmarès au prétexte d’un clivage entre BD commerciale et BD d’auteur qui n’a pas lieu d’être et qui est, je le répète, une fabrication.

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          • Répondu par Alex le 29 janvier 2008 à  00:29 :

            Je suis également d’avis que le comic-book est sous représenté à Angoulême. Tout comme sur votre site par ailleurs. Cette critique s’accompagnant néanmoins d’un bémol, puisque vous vous attachez à recenser les oeuvres traduites en langue française.

            Je vous rejoint sur l’aspect sinon fictif, du moins construit, de la bd commerciale vs. la bd d’auteur. Néanmoins vous-même appliquez ces termes aux comic-books. L’exemple Chris Ware est par ailleurs particulièrement mal venu : l’auteur -grand formaliste devant l’éternel- jouant de fait dans ses publications comics de la forme même du support (fausses publicités, etc...) Finalement qq chose de pas si nouveau, les artistes "Underground" employaient les mêmes moyens pour redéfinir le support. Il y a donc bien un genre comics, avec sa propre dynamique. Vouloir le diviser en sous-catégories (mainstream et "autres") me paraît s’attacher plus aux canaux de distribution qu’à la spécificité du genre. Est-ce là le genre de catégorisations que vous souhaitez (ré)établir ?

            De plus, ailleurs dans cet espace, vous débattiez également de l’appellation manga comme représentative générique d’une forme de bd. J’ai du mal à vous suivre...

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            • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 janvier 2008 à  01:13 :

              Soyez gentil de ne pas tout mélanger.

              Il y a d’abord une catégorisation commerciale qui consiste à placer un produit par famille. Cette catégorisation empirique correspond aux usages. Dans une Fnac ou dans un librairie spécialisée, on classe souvent les ouvrages par famille de livres. Les mangas (comprenez : les BD asiatiques), les comics (comprenez : les BD américaines), la BD franco-belge sont souvent classés ainsi. La jeunesse répond aussi à une de ces catégorisations. Ces dernières années, les "indépendants" voire les "graphic-novels" ont leur rayon.
              Si l’on applique ces usages empiriques (comme on le fait ici sur ActuaBD), cela permet de repérer rapidement où l’on a des chances de trouver ses auteurs favoris. A l’intérieur, on peut repérer les genres : policier, héroic fantasy, humour...

              La nomenclature est plus rigide quand on est dans une approche historique (comme M. Jennequin) car les mots apparaissent un certain moment pour désigner un type de produit : comic-strip, comic-book, graphic-novel...

              Cela dit, ces catégorisations ont tendance à exploser ces dernières années : comment qualifier une BD dessinée par un Coréen pour Soleil ? Une BD franco-belge ? Ou une BD de John Cassaday sur un scénario de Nury ? Un comic-book ? Comment caractériser la collection Bayou ? Ce sont des "graphic-novel" ? Le chat du Rabbin est ici un 48cc, mais un graphic-novel aux États-Unis ou en Norvège. Des BD franco-belges paraissent dans le format mangas...

              C’est pourquoi je me rabats souvent sur les normes d’usage. Ainsi, même si Chris Ware et Dan Clowes paraissent en fascicules avant d’être compilés en recueil (c’était le cas pour Maus de Spiegelman et personne ne conteste que c’est un Graphic-Novel), je ne considère pas ces ouvrages sur le même plan que le comics mainstream dont la caractéristique est quand même la continuity.

              En résumé, ces catégorisations commerciales sont juste des usages, pas des dogmes.

              En revanche, la catégorisation des prix : scénario, couleurs, série, dessin,etc. que l’on peut décliner dans un palmarès, repose sur une base cognitive qui permet de distinguer la qualité de chaque production. De la même façon qu’au cinéma, on distingue le meilleur scénario, la meilleure musique, le meilleur montage...

              Je ne me retrouve pas dans la bouillie que constitue actuellement le palmarès angoumoisin. Or, ces critères sont nécessaires pour apprécier la pertinence des choix. Ce système doit être amélioré. Si j’ai des propositions à faire ? Certainement. Mais les organisateurs du Festival, ou je me trompe, sont payés pour faire ce travail. Je me vois mal le faire à leur place.

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              • Répondu par Jean-Paul Jennequin le 29 janvier 2008 à  13:33 :

                Alors bon (ceci est la suite de mon autre réponse), la « continuity » comme critère permettant de distinguer un « vrai » comic book de la prépublication d’un graphic novel. [Notons quand même que le terme « comic book » désignant un mode de publication en fascicule, il ne présume pas de l’usage postérieur qui sera ou non fait du matériel publié. Il n’y a pas de « vrai » et de « faux » comic book.] Nombre de comic books mainstream publient des chapitres de récits plus amples destinés à être repris ensuite en volume. C’est le cas par exemple des « Ultimates » chez Marvel. Le produit de librairie est clairement pensé en même temps, voire avant la publication en fascicule. A l’inverse, et pour en revenir à la sélection de cette année, les compilations de bandes parues dans « Hate » de Peter Bagge et « Castle Waiting » de Linda Medley ne sont devenues des « graphic novels » que par la grâce de leur réunion récente en volumes. [Par contre, « Heavy Liquid » de Paul Pope a été conçu d’emblée comme une série limitée en cinq volumes. D’après le critère de « continuity », ce n’est pas un comic book mais un graphic novel.] En particulier, les lecteurs de « Hate » n’achetaient pas la prépublication d’un futur graphic novel intitulé « En route pour le New Jersey » mais bien des numéros d’un comic book. La publication était périodique, les récits auto-conclusifs, les tirages et les ventes conséquents (assez pour que « Hate » paraisse en couleurs). Je ne vois vraiment pas comment on pourrait dire qu’il ne s’agissait pas d’un comic book.

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      • Répondu par Jean-Paul Jennequin le 29 janvier 2008 à  13:13 :

        Non, non, je suis une personne à l’esprit très lourd et très premier degré, qui ne comprend que ce qui est exprimé et non sous-entendu. S’il y avait écrit « mainstream », j’aurais compris « mainstream ». Une notion à manier avec des pincettes, d’ailleurs, au vu de l’évolution du marché américain depuis le début des années 1990. Auparavant, était « mainstream » ce qui était publié par les gros éditeurs traditionnels (Marvel, DC, Archie…) et diffusé comme de la presse. L’irruption d’Image Comics a changé la donne. Des éditeurs qualifiés d’« independents » publient ou ont publié du « mainstream » (Image, Dark Horse, feu CrossGen…) Qu’est-ce qui est « mainstream » aujourd’hui ? Ce qui est édité par Marvel et DC ? DC édite aussi des graphic novels…

        Bref, c’est un débat qui n’en finit pas.

        D’ailleurs, on va continuer un peu plus bas…

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        • Répondu par Didier Pasamonik le 29 janvier 2008 à  18:11 :

          Cher Jean-Paul, Je ne vais pas me battre pour des définitions qui sont de plus en plus battues en brèche par l’évolution du marché. Évidemment que la frontière est de plus en plus floue. Mais quand je vais à la librairie Album Comics, il me semble évident que les comic-books mainstream ne sont pas vendus au même endroit que Peter Bagge ou Chris Ware. Quand Paul Pope fait du Batman, il fait du comic-book, quand il crée Heavy Liquid, il est davantage dans le domaine du graphic novel.

          Le distingo de la continuity est du même ordre que celui qui oppose ici les séries commerciales (Blueberry, Lucky Luke, Ric Hochet...) et les one shot. C’est une commodité, pas un dogme.

          Le chercheur essayera de trouver une catégorisation spécifique. Le libraire, comme le public, demande juste dans quelle famille de produits se classent ses personnages et séries favoris.

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  • je fais un tour dans ma bibliotheque : bilal, christin, juillard, montelier, bess, derib etc...des tas de bd avec des univers, des ambiances de folies ! des persos incarnés, distants de l’égo de leur propre createur...je vois toutes ces bonnes bd, margerin aussi, et tant d’autres...et là je vois le palmares officiel d’angouleme...gout etrange.

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