À l’analyse, il s’avère loin d’être un auteur opposant la bande dessinée contemporaine aux classiques franco-belges. Dans un long mais humble entretien au mensuel Chronic’art (N°61, décembre 2009), il livre quelques-unes des clés de sa personnalité complexe.
Parlant du prix d’Angoulême, il en modère la portée : « À l’école, je craignais le rendu des notes, c’était la peur. Aujourd’hui, je trouve cela grotesque et affligeant le fait de perpétuer l’esclavage. » Comme on lui fait remarquer qu’il aurait pu le refuser, le prix, il ajoute : « Évidemment, j’y ai réfléchi. Cela aurait donné de l’importance à quelque chose qui en a relativement peu et j’aurais dû me justifier de ce refus pendant des années. On aurait pris cela pour de l’arrogance, on aurait dit que je crache dans la soupe… »
Après un intéressant développement sur sa manière de travailler « à la remorque de grands maîtres » (il cite Chardin, Courbet, Balthus, Fellini…), il souligne combien c’est désespérant cette course au renouvèlement des styles, de devoir redécouvrir chaque année « le fil à couper le beurre ». Et de citer Pauvre Lampil de Lambil & Cauvin découvert comme lecteur à l’âge de 13 ans : « J’étais vraiment intrigué par cette vie de dessinateur et de scénariste. »
« Notre génération s’est égarée »
Parlant du Spirou de Bravo, il déclare avoir « plus d’affinité avec Fantasio, Lucky Luke, Tif & Tondu, ou encore Picsou » mais préfère « chevaucher [ses] propres créations plutôt que celles des autres ». Il regrette une certaine dimension commerciale prise par la bande dessinée (et par sa critique) : « Je regrette que Copi [1] ait disparu, que la BD ne connaisse pas la pérennité, que seule la vente prime. »
Il considère aussi que les nouvelles générations se sont un peu « égarées au jardin d’Eden » : « J’exagère, mais rien ne m’apparaît aussi complet et plein que les Schtroumpfs, par exemple. C’est la forme d’expression pure. Notre génération s’est probablement égarée, ou a été rejetée du jardin d’Eden. Nous sommes perdus entre le reportage, le témoignage, le document humain, le feuilleton télévisé, le cinéma au rabais, le roman français… J’essaie toujours de remonter plus loin, vers les pionniers. Je cherche et j’ausculte pour comprendre, sortir de cette vision française qui m’étouffe complètement. »
Jacques Brel disait : « Le talent, c’est l’envie de faire quelque que chose... » Blutch n’en manque pas, assurément.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Blutch par Didier Pasamonik (L’Agence BD)
[1] Auteur argentin révélé par Charlie Mensuel.
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