Un article paru dans Charente libre titrait récemment à propos du palmarès 2010 d’Angoulême : « Polémique autour du Prix “Public” », considérant comme un « mystère » le fait que l’album lauréat, Paul à Québec, n’était pas disponible en France au moment du festival. L’article qui fait également référence à un blog où « l’on parle carrément d’un “prix des électeurs fantômes” », souligne qu’il y a effectivement eu confusion entre le FIBD et l’éditeur La Pastèque quant à la disponibilité de l’album en question, mais termine en précisant que les 10 lecteurs du Jury l’ont bel et bien eu en main pour le lire avant de voter, citant Christian Marmonnier, l’animateur du vote du jury de ce prix. Rejoint par nos soins au FIBD, Benoit Mouchart, directeur artistique de l’événement, commente : « ... le mot “polémique” me semble un peu excessif... »
Vérification faite, s’il est vrai que Paul à Québec n’était pas physiquement disponible en librairie a moment du festival, il faut se rappeler le processus, tel que décrit dans le dossier de presse du FIBD, pages 3 et 4 : « Une application ... permettra aux internautes de consulter de façon dynamique et interactive les albums de la Sélection Officielle sur iPhone ou sur ordinateur. Chaque internaute pourra ainsi consulter les ouvrages en compétition en naviguant à l’intérieur des pages puis voter pour son titre préféré ». [1] En principe, donc, plus besoin d’avoir le livre en main, ou en librairie, pour voter.
"Électeurs fantômes" ?
Les frontières étant ténues sur l’Internet, et Angoulême se voulant un festival international, ces votes pouvaient venir de partout dans le monde. Les « électeurs fantômes » ne sont donc pas des constructions éthérées faites d’électrons recyclés, mais des individus en chair et en os qui se branchent sur la grande toile depuis leur bistro parisien, leur siège de TGV ou de leur cabane au Canada. À l’aube d’une mutation profonde de la BD portée par les Nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC), ce processus semblait donc opportun, était techniquement réalisable, mais que faire si vous n’avez pas d’iPhone ou simplement d’ordinateur ? À cela s’ajoute la faiblesse de l’échantillon -moins de 10.000 suffrages comparés aux 200.000 visiteurs déclarés par le FIBD. Il est donc facile pour un petit groupe de gens déterminés, l’année dernière la bloggeuse Gally, cette année les fans canadiens de Michel Rabagliati d’emporter le "Prix du public FNAC/SNCF" d’Angoulême.
Internet a changé la face des plébiscites classiques. Dès 2008, Didier Pasamonik s’étendait longuement sur la crédibilité des prix d’Angoulême opposant le succès commercial de certains auteurs, élus par une forme de « suffrage universel de la culture », et la nature de ces « prix du public », qu’il qualifie au passage « d’opérations de narcissisme » destinés à flatter les sponsors contre monnaie sonnante et trébuchante.
Comment, dès lors, rendre ce prix crédible ? Pourquoi ne pas tout simplement faire voter celui qui paye son droit d’entrée au FIBD en faisant voter sur leur site ou sur un échantillon d’amateurs de BD suffisamment étendu comme, par exemple, mais pas seulement, les 140.000 visiteurs réguliers d’ActuaBD ?
La victoire de l’Internet
Michel Rabagliati est un habitué des mises en nomination : l’un ou l’autre de ses albums des aventures de Paul l’a été pour les Prix Bédélys (en 2004, 2005 et 2006) et pour le Grand Prix du livre de la Ville de Montréal (2009). Au-delà des frontières du Québec et chez nos voisins étatsuniens, il l’a été pour un Ignatz Award en 2004 (Outstanding Story) et 2008 (Outstanding artist et Outstanding Graphic Novel), de même que pour un Eisner Award en 2001 (Best single issue) et 2008 (Best Graphic Album), et ce, pour l’adaptation en langue anglaise de ses albums.
Mais il est aussi habitué à recevoir des prix, dont celui des Libraires du Québec en 2007, des Prix Bédélys (2000, 2002, 2006) et Bedeis Causa (2000, 2003, 2005, 2007) et encore une fois outre-frontière québécoise, un Harvey Award en 2001 (Best New Talent), le Doug Wright Award en 2006 (Best Book) et le Joe Shuster Award en 2007.
Plusieurs membres de la rédaction d’ActuaBD en prescrivaient la lecture bien avant son élection. Il est donc parfaitement légitime.
Interrogé par nos soins, l’auteur demeure serein face à la chose, mais tout de même surpris d’avoir vaincu l’apathie du public français. « Deux événements favorables pour moi ont fait que j’ai pu remporter le prix », nous dit-il. « Premièrement grâce au vote du public par Internet et deuxièmement, grâce au jury qui a été charmé par Paul qui s’est retrouvé sur la short list avec quatre autres albums ? Je suis très touché par le nombre de votes que l’album a reçus, mais aussi très heureux que l’album ait été lu et retenu à l’unanimité par un jury. Une partie du public français fut très étonné que Paul à Québec ait reçu le prix du public pendant qu’il était en transit et non disponible en France au moment du vote et je les comprends, mais le vote Internet est imprévisible et peut venir de partout incluant le Québec qui est très loin d’Angoulême, mais visiblement épris de la série Paul ! Malheureusement, La Pastèque a dû changer de distributeur durant l’année et cela a entraîné un arrêt de la distribution en France durant un moment, et dans ce cas-ci, à un très mauvais moment ! Le titre sera sur les rayons le 25 mars et moi je serai à Paris le 26 pour le début d’une tournée des librairies de 12 jours. »
Ce sera l’occasion pour ceux qui ne l’auront pas lu de valider la qualité réelle de ce "prix surprise".
(par Le Bédénaute)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Voir l’entrevue de Michel Rabagliati avec Marianne St-Jacques (Janvier 2010)
Les Prix du public d’Angoulême depuis 1989, sur Wikipedia
[1] On peut encore "feuilleter" les 58 albums en nomination sur le site de la Fnac
http://prixdupublicfnacsncf.bdangouleme.com/selection-officiel#/selection/
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