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Angoulême 2011 : Riyoko Ikeda, la voix du shôjo manga

Par Florian Rubis le 15 février 2011                      Lien  
Figure du shôjo manga, Riyoko Ikeda, a honoré de sa présence la dernière édition du Festival d’Angoulême. L’auteure aux convictions féministes de {La Rose de Versailles} s’est également muée en cantatrice soprano, donnant un récital au château de Versailles, avant de refaire une apparition publique à la Maison de la Culture du Japon à Paris : retour sur un séjour en France bien rempli pour l’artiste japonaise…

Riyoko Ikeda est connue en priorité en Occident pour La Rose de Versailles (1972 / republication actuellement par Kana). Ce titre-phare de sa bibliographie fut édité initialement, dès ses 24 ans, dans le magazine pour adolescentes Margaret de Shûeisha.

Le samedi 29 janvier 2011, à 11 h 30, dans le cadre des Rencontres internationales du Festival d’Angoulême, programmées à la salle Nemo, ses admirateurs, venus nombreux, ont eu le plaisir de l’entendre s’exprimer, produisant un discours fort intéressant, en compagnie de Pascal Ory.

Ensuite, elle s’est prêtée de très bonne grâce à une conférence de presse, qui a pris place à la mairie d’Angoulême.

Un garçon, quitte à la contrefaçon, et au risque de la censure…

Angoulême 2011 : Riyoko Ikeda, la voix du shôjo manga
Couverture de « La Rose de Versailles » T1
© 2011 Riyoko Ikeda & Kana

Son fameux manga est fondateur de sa veine principale. Celle-ci ayant consisté à conjuguer ses intérêts pour les thèmes historiques des révolutions, particulièrement française de 1789 et russe de 1917, à des intrigues sentimentales compliquées par l’évocation du travestissement, dont le jalon initial dans le shôjo fut posé par Osamu Tezuka dans Princesse Saphir (1953).

Son traitement mature de cette forme d’ambiguïté sexuelle vaudrait à Riyoko Ikeda, encore de nos jours, des problèmes de censure, sujets abordés à Angoulême, notamment concernant la représentation du sexe dans son œuvre.

Ainsi, dans La Rose de Versailles, plus familière au grand public sous l’appellation de Lady Oscar, celle d’un film live de Jacques Demy (1978) ou, surtout, d’une série d’anime (1979), elle s’est s’attachée à faire revivre l’archiduchesse, puis reine Marie-Antoinette. Son intérêt pour l’épouse autrichienne de Louis XVI lui vint d’après l’inspiration fondamentale procurée par la lecture d’une biographie par Stefan Zweig.

Mais elle y dépeint surtout les aventures du protagoniste de fiction Oscar de Jarjayes, fille élevée et habillée comme un garçon, officier noble de l’armée royale. Outre des cas similaires dans l’Histoire du Japon, son inspiration est à rechercher du côté du Chevalier d’Éon (Charles de Beaumont, 1728-1810). Espion de Louis XV en Russie et à Londres, il fut rendu célèbre par le doute entretenu quant à son habitude, inverse, de se travestir parfois en femme, popularisé par la parution de ses Mémoires. Cet aspect de La Rose de Versailles a aussi contribué à son adaptation en 1974 par la troupe nippone exclusivement féminine du théâtre de Takarazuka, dans la région d’Osaka où vécut Osamu Tezuka, dont l’esthétique influença profondément le créateur de Princesse Saphir.

Riyoko Ikeda et Pascal Ory, lors de la rencontre avec le public à Angoulême.
© 2011 Florian Rubis

De la lutte des classes à Bonaparte

Parmi les intéressantes précisions qui ont parsemé le dialogue de Riyoko Ikeda avec Pascal Ory, il y a, par exemple, l’importance revêtue pour elle comme modèle par Kamui-den de Shirato Sanpei. Kana, vient de traduire récemment ce chef-d’œuvre datant des années 1960. Nous reviendrons prochainement sur cette fresque épique mettant en scène un réprouvé devenu ninja à l’époque d’Edo (au XVIIe siècle) préoccupé par l’exclusion des classes sociales inférieures au Japon. Figure de proue du gekiga, Sanpei a contribué de manière décisive à l’émergence d’une forme plus adulte du manga.

Couverture de « Kamui-den » T1
© 2011 Shirato Sanpei & Kana

Dès lors, l’on comprend mieux le relief conféré dans La Rose de Versailles à la prise de conscience progressive par Oscar, aristocrate appartenant aux nantis de l’Ancien Régime, de la mauvaise gouvernance de la France d’alors, ainsi que du sort peu enviable réservé aux pauvres qui va entraîner son ralliement aux révolutionnaires. L’importance de la différence de classe séparant Oscar de son soupirant de toujours, André, s’éclaire ainsi sous un jour nouveau.

Révolutions et travestissement ont d’ailleurs continué à former des thématiques explorées par Riyoko Ikeda dans ses principales séries traitant entre autres de la reine Christine de Suède ou de Catherine II de Russie (Jotei Caterina, 1982).

Napoléon Ier (Eroica, 1986) est un autre sujet qui fascine la mangaka : celle-ci concède ne pas manquer de venir rendre hommage à son tombeau aux Invalides lors de ses visites à Paris. Pourtant, elle demeure féministe et n’en oublie pas pour autant certains de ses aspects les plus rebutants, comme sa phallocratie. Elle eut à affronter au Japon, dit-elle, ce type de préjugé lors de ses débuts dans sa profession et lorsque, en compagnie de ses collègues du groupe de l’an 24 de l’ère Shôwa, toutes nées autour de 1949 (année 24 du règne de l’empereur Hirohito), elles reprirent en main vers 1970 les destinées d’un shôjo manga auparavant par ailleurs plutôt dominé par des concepteurs masculins. (Pour plus de détails, voir un verbatim des propos échangés devant le public à Angoulême.)

Quelques questions posées à Riyoko Ikeda

Pendant sa conférence de presse à la mairie d’Angoulême, Riyoko Ikeda a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions portant sur son œuvre et sa méthode de travail. À propos de son état d’esprit dominant lors de la conception de La Rose de Versailles, elle déclare avoir eu, dès le début : « conscience de créer un manga révolutionnaire dépassant le cadre du shôjo traditionnel ». Son second degré lui permettait en effet d’offrir une double lecture à une audience plus adulte.

Pour ce qui concerne les explorations de la forme, voire les innovations qu’elle a pu introduire dans l’élaboration de ce genre de manga notamment Très cher frère (1975/Asuka, 2009), Riyoko Ikeda temporise : « en fait, ce titre est venu s’intercaler entre La Rose de Versailles et La Fenêtre d’Orphée, que je considère comme l’œuvre de ma vie. Tandis que Très cher frère fut plutôt écrit pour s’amuser ».

Voilà qui fait encore plus regretter l’absence de traduction en français de cet Orpheus no Mado (1976), reprenant la thématique de la révolution, mélangée au mythe grec d’Orphée.

Riyoko Ikeda et son traducteur, Alexander Clarke, durant la conférence de presse à la mairie d’Angoulême.
© 2011 Florian Rubis

Sur sa manière d’exploiter la documentation historique, la mangaka explique : « Pour La Rose de Versailles, j’ai dû consulter de nombreux livres. Aujourd’hui, Internet existe, bien sûr. Mais j’appartiens à la génération qui lit encore des livres, qui prend le temps de retourner à la page précédente si nécessaire. Donc, si j’ai le temps, Internet n’est pas idéal. Je préfère les livres et je me fais aider pour l’utilisation d’Internet… »

Récital au château de Versailles

Pour ceux qui n’ont pu assister à la venue de Riyoko Ikeda au Festival d’Angoulême 2011, une seconde intervention de cette dernière, toujours en compagnie de Pascal Ory, sensiblement comparable dans son contenu, s’est déroulée à la Maison de la Culture du Japon à Paris, le mercredi 2 février 2011, à 18 h 30.

On notait dans l’assistance une forte représentation de l’équipe organisatrice de la manifestation angoumoisine, dont Erwan Le Verger et Nicolas Finet, coordinateurs de ses événements autour du manga et d’autres bandes dessinées asiatiques. Cette délégation était menée par Benoît Mouchart, son directeur artistique. Celui-ci a bien voulu nous faire le récit de ce qui a constitué très certainement pour Riyoko Ikeda le sommet de ce séjour en France. Car, ayant entamé à l’âge de 47 ans des études d’art lyrique pour devenir cantatrice soprano, elle a donné un récital au Petit-Théâtre de Marie-Antoinette, au Petit-Trianon du château de Versailles.

Benoît Mouchart : « C’était un moment assez émouvant ! D’abord, parce que nous avons pu visiter, dès le matin, les appartements privés de Marie-Antoinette au Petit-Trianon, voire différentes pièces et chambres du château de Versailles qui ne sont pas accessibles au public. Le président Jean-Jacques Aillagon et son équipe, dont Laurent Brunner, nous ont fait la visite à Madame Ikeda, accompagnée d’une quarantaine de journalistes japonais. Le soir, vers 17 h 30, Madame Ikeda a chanté, pendant près de trois-quarts d’heure, dans ce Petit-Théâtre qui est absolument magnifique, un endroit qui, lui, n’est jamais ouvert au public. Oui, c’était vraiment émouvant ! Car Madame Ikeda a incarné un peu, ce soir-là, Marie-Antoinette. Elle était même habillée d’une robe d’époque. Je sais que, pour elle, ce fut un grand moment ! Le château de Versailles avait aussi tout à fait conscience de l’importance de Madame Ikeda dans sa renommée au Japon. C’est pourquoi ils ont accepté d’ouvrir cette salle. Où, probablement, aucun récital n’avait été donné depuis Marie-Antoinette… »

Riyoko Ikeda montre sa décoration de chevalier de la Légion d’honneur, pendant la conférence de presse.
© 2011 Florian Rubis

En effet, ce fut sans doute un second moment fort dans sa relation avec la France pour cette artiste nippone, « monument national » au Japon, qui avait déjà reçu, le 11 mars 2009, les insignes de chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur des mains de l’ambassadeur français à Tôkyô.

Une décoration que Riyoko Ikeda, même si celle-ci ne s’avoue pas exagérément sensible à de telles distinctions, a montré avec plaisir à plusieurs reprises durant son passage en France. Elle se souvient en effet que cette dernière fut instituée par Napoléon, personnage historique qui monopolisa son attention au travers d’un long manga de pas moins de 11 volumes...

(par Florian Rubis)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon : portrait de Riyoko Ikeda © 2011 Florian Rubis

« La Rose de Versailles » T1 : - Par Riyoko Ikeda – Kana – 960 pages, 19 euros

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