C’est quoi le Festival d’Angoulême ? Un événement culturel d’abord, avec des expositions, des conférences et une remise de prix annuelle. Un événement commercial ensuite, avec des centaines d’éditeurs présents et les auteurs qu’ils publient. C’est aussi une fenêtre de tir exceptionnelle pour les médias qui, depuis 43 ans maintenant, positionnent en fin janvier leurs dossiers sur la BD.
Pilotée par une association de Loi 1901 de près de 70 membres passionnés de BD, des amateurs dans tous les sens du terme, l’Association du Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême, a un peu paniqué en confiant il y a sept ans à 9e Art +, une société dirigée par M. Franck Bondoux, les clés de la manifestation pour une période de dix ans, tacitement reconductible, sauf dénonciation préalable, chose qui est en train de se mettre en place ces jours-ci.
S’il est incontestable que M. Franck Bondoux a considérablement professionnalisé la manifestation, une dérive autoritaire de sa direction s’est faite très rapidement jour, qui s’est traduite par des conflits répétés avec la mairie d’abord, avec la Cité de la Bande Dessinée ensuite, mais aussi avec la presse, éléments qui n’ont pas montré, c’est le moins qu’on puisse dire, 9e Art + sous son meilleur jour.
Le dernier épisode des dépôts de marque par 9e Art + des vocables « Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême » et « Festival d’Angoulême », sans l’avis de la mairie ni de l’association et qui avait soulevé un tollé général, signalait pour le moins une relation problématique avec ses partenaires, sinon dans ce cas une confusion de patrimoine un peu gênante.
C’est donc dans cette atmosphère que s’ouvrait la conférence de presse du 43e Festival d’Angoulême dont la prochaine édition aura lieu du 29 janvier au 1er février 2015.
Le programme des expositions
Les organisateurs du FIBD ont dévoilé le programme des expositions. Rien de plus que ce que nous vous avions annoncé voici quelques jours
Une exposition Calvin & Hobbes de Bill Watterson
Une exposition rétrospective Jirô Taniguchi.
Une exposition rétrospective Jack Kirby
Une exposition rétrospective sur la bande dessinée finlandaise Les Moomins de Tove Jansson qui auront 70 ans en 2015.
Une exposition rétrospective Alex Barbier
un hommage rendu à Anouk Ricard et ses personnages d’Anna et Froga
une exposition Nix et ses personnages de Kinky & Cosy
une rétrospective de la maison de bande dessinée alternative bruxelloise L’Employé du moi
Une exposition du scénariste Fabien Nury (Il était une fois en France, Tyler Cross, W.E.S.T, L’Or et le Sang, Silas Corey…)
Ainsi qu’une centaine de rencontres, des concerts consacrés au blues et les habituelles activités dédiées aux sponsors. Une programmation dans la droite ligne des précédentes.
Les détails du programme sont ICI.
La marche annoncée des auteurs
Un peu avant la conférence de presse du Festival, le SnacBD, syndicat d’auteurs de BD, communiquait : "Il y a six mois, à l’initiative du SNAC BD, 1200 auteurs de bande dessinée, dont près d’une vingtaine de Grands Prix du festival, inquiétés par la réforme brutale et soudaine de leur régime de retraite complémentaire obligatoire (RAAP) signaient une lettre ouverte à leur Ministre de tutelle afin que des concertations puissent s’ouvrir. Alors que de nombreux motifs d’inquiétude existent déjà sur l’avenir immédiat de leur profession (baisses des rémunérations, augmentation de la TVA sur les droits d’auteurs, projet nébuleux de réforme de leur régime de sécurité sociale, remise en cause du droit d’auteur à l’échelle européenne...), les auteurs, déjà dans un état de paupérisation croissante, se retrouveraient du jour au lendemain soumis à une cotisation équivalente à un mois de leurs revenus."
Et d’appeler ses membres et sympathisants à une Marche des auteurs qui aura lieu le samedi 31 janvier 2015, c’est-à-dire au plus fort moment d’affluence du Festival.
On se souvient qu’une action avait amené au débrayage de 400 auteurs lors du dernier Festival de Saint-Malo. En outre, des "États généraux de la BD" auront lieu le vendredi 30 janvier au théâtre d’Angoulême. Des " États généraux" comme ceux concédés par Louis XVI avant la Révolution Française ? Bigre !
La sélection 2015 du FIBD
Le moment le plus attendu par la profession est évidemment la liste des nominés aux Prix d’Angoulême. Sans plus attendre, les voici :
La sélection officielle
Yekini, le roi des arènes, par Lisa Lugrin et Clément Xavier - Ed. Flblb
Vous êtes tous jaloux de mon jetpack, par Tom Gauld - Ed. 2024
Voir des baleines, par Javier de Isusi - Ed. Rackham
Sukkwan Island, par Ugo Bienvenu et David Vann - Ed. Denoël Graphic
Saga, par Brian Vaughan et Finao Staples - Ed. Urban Indies
Que la bête fleurisse, par Donatien Mary - Ed. Cornélius
Mes cent démons, par Linda Barry - Ed. Ca & Là
Locke and key, par Joe Hill et Gabriel Rodriguez - Ed. Milady Graphics
Little Tulip par Boucq et Charyn - Ed. Le Lombard
Last Man, par Balak, Sanlaville et Vivès - Ed. Casterman
K.O. à Tel Aviv, par Asaf Anuka - Ed. Steinkis
Julio, par Gilbert Hernandez - Ed. Atrabile
Hommes à la mer, par Riff Reb’s - Ed. Soleil
L’Enfer en bouteille, par Suehiro Maruo - Ed. Casterman
Le Chef de Nobunaga, par Nishimura et Kajikawa - Ed. Komikku
L’Arabe du Futur par Riad Sattouf - Ed. Allary
Building stories, par Chris Ware - Ed. Delcourt
Calavera, par Charles Burns - Ed. Cornélius
Cet Été-là, par Jilian et Mariko Tamaki - Ed. Rue de Sèvres
Love in vain, par Mezzo et JM Dupont - Ed. Glénat
Lune l’envers, par Blutch - Ed. Dargaud
Magasin général (T.10) par Loisel et Tripp - Ed. Casterman
Max Winson (1. La Tyrannie), par Jérémie Moreau - Ed. Delcourt
Sunny, par Tayou Matsumoto - Ed. Kana
Ulysse, les chants du retour, par Jean Harambat - Actes Sud
Vermines, par Guerse et Pichelin - Ed. Les Requins Marteaux
Les Vieux Fourneaux, par Lupano et Cauuet - Ed. Dargaud
Autel California, par Nine Antico - L’Association
Barthélémy, l’enfant sans âge, par Simon Roussin - Ed. Cornélius
Beta... civilisations volume 1, par Jens Harder - Actes Sud / L’An 2
Blast, par Manu Larcenet - Ed. Dargaud
L’Or et le sang, par Fabien Nury, Maurin Defrance, Merwan Chabane, Fabien Bedouel - Ed. Glénat
Un Océan d’Amour de d Wilfrid Lupano & Grégory Panaccione - Ed Delcourt
Sélection Jeunesse
Au Pays des lignes, par Victor Hussenot – Ed. La Joie de lire
Boule à zéro T3 – Docteur Zita, par Serge Ernst et Zidrou – Ed. Bamboo
Caterina T1 – Le Gang des chevelus, par Alessandro Tota - Ed.Dargaud
Emile et Margot T4 – Merci les monstres !, par Olivier Deloye, Anne Didier et Olivier Muller – Ed. BD Kids
Hilda et le Chien noir, par Luke Pearson – Ed. Casterman
Karton T1 : Taméus Trognebarde, par Uwe Heidschötter et Patrick Wirbeleit – Ed. BD Kids
Légendes de la garde T3 – La Hache noire, par David Petersen – Ed. Gallimard
Passe-passe, par Dawid et David Cuveele – Ed. La Gouttière
Quatre sœurs T2 – Hortense, par Cati Baur et Malika Ferdjoukh – Ed. Rue de Sèvres
Les Royaumes du Nord T1, par Clément Oubrerie et Stéphane Melchior-Durand – Gallimard
Seven Deadly Sins T5, par Nakaba Suzuki – Ed. Pika
Le Temps des mitaines, par Anne Montel et Loïc Clément – Ed. Didier Jeunesse
Sélection Patrimoine
Capitaine Albator Intégrale, par Leiji Matsumoto – Ed. Kana
Daredevil T1, par Frank Miller et Klaus Janson – Ed. Panini
Gilles la Jungle, par Claude Cloutier – Ed. La Pastèque
Green Lantern & Green Arrow, par Dennis O’Neil et Neal Adams – Ed. Urban Comics
Histoire de la Sainte-Russie, par Gustave Doré – Ed. 2024.
La Malédiction de Rascar Capac T1, par Hergé – Ed. Casterman
Pogo T1, par Walt Kelly – Ed. Akileos
San Mao, le petit vagabond, par Zhang Leping – Ed. Fei
Sandman T4, par Neil Gaiman et collectif – Urban Comics
Sex & Fury, par Bonten Tarô – Le Lézard noir
Sélection Polar
Fatale, par Max Cabane et Jean Patrick Manchette – Dupuis/Aire libre
Gotham Central T1, par Michael Lark, Ed Brubaker et Greg Rucka – Urban Comics
Moi, assassin, par Keko et Antonio Altarriba – Ed. Denoël Graphic
Petites coupures à Shioguni, par Florent Chavouet – Ed. Picquier
Wet Moon T1, par Atsushi Kaneko – Casterman/Sakka
Le jury sera conduit par le scénariste Gwenn de Bonneval président du jury. "Il est fédérateur" nous dit Stéphane Beaujean, l’un des trois responsables artistiques de la manifestation, lors de la conférence de presse.
Quant aux membres du Comité de sélection, en voici la liste :
Nicolas Albert (La NRCO)
Charles Ferreira (Joseph Gibert)
Thomas Mourier (FIBD)
Jean-Pierre Nakache (Bulles en tête)
Frédéric Potet (Le Monde)
Juliette Salin (Fleurus Presse)
Ezilda Tribot (FIBD)
Que dire de cette sélection, sinon qu’elle est dans la droite ligne des années précédentes, faisant la part belle aux petits labels au sein desquels les choix sont sans surprise.
Le Grand Prix 2015
Il sera désigné selon la même modalité que l’année dernière. Trois noms sont choisis par l’Académie sur une liste d’une vingtaine de noms. "Il y aura un Américain, un Japonais et un Anglais" sur les trois noms, annonce Stéphane Beaujean.
La conférence de presse improvisée
Une fois la présentation faite, l’équipe du FIBD s’apprêtait à plier les gaules. Mais c’était compter sans Fabrice Piault, journaliste à Livres Hebdo et président de l’Association des Critiques et des Journalistes BD (ACBD) qui, bille en tête, interroge Franck Bondoux sur le dépôt des marques du festival par 9e Art +, chose qui avait fait scandale. Il demande aussi la réaction de Patrick Auzou, le président de l’association "dont on croyait jusqu’à présent qu’elle était propriétaire du Festival". Et si Bondoux en est désormais le propriétaire, quel est son projet à long terme, sa stratégie, et ses rapports avec les autres partenaires, notamment la Cité de la BD.
Le "Bondoux Bashing" : la presse régionale en accusation
Franck Bondoux revient sur "un certain nombre de choses qui sont écœurantes, depuis des années", parlant d’un "bashing de 9e Art + par la presse régionale. C’est évidemment La Charente Libre qui est visée contre qui 9e Art + s’est fait débouter d’une plainte en diffamation.
Pour se justifier 9e Art + publie un communiqué (lire ci-dessous) où il confirme les relations étonnantes entre la société 9e Art + et Partnership Consulting, une société qui fait 1,2 millions d’euros de CA, également dirigée par M. Bondoux, "qui, pour une large part, assure sans que rien ne l’y oblige le portage de la trésorerie du Festival".
Concernant l’opacité des comptes dénoncée par certains, M. Bondoux signale que "Les comptes de 9eArt+ sont, depuis la création de la société en 2007, validés par un expert comptable, puis certifiés par un Commissaire aux comptes. Ils sont également remis intégralement et annuellement à chacune des institutions qui subventionnent le Festival ainsi qu’à l’Association du FIBD. Ces institutions ont la possibilité de poser toute question à tout moment sur ces comptes transparents."
Aucune réponse n’est faite cependant par l’association sur son absence d’appels d’offre pour les différentes missions du Festival, principale critique faite à cette séquence où des millions d’euros d’argent public sont en jeu.
Et Bondoux de promettre un audit qui viendra "dans les semaines et les mois qui viennent", sans doute après la prochaine édition du Festival. Un cabinet spécialisé devrait être désigné. "Rien ne sera caché parce que nous n’avons rien à cacher" martèle Bondoux.
Il signale que les partenaires sont autour de la table mais qu’aucune convention n’est encore signée. L’enjeu, selon Franck Bondoux, est d’intégrer 9e Art dans le projet de remise à plat du Pôle Images d’Angoulême dans une perspective de 3, 5 et 10 ans. "9e Art + n’est pas un exécutant, dit-il, mais une structure particulière qui n’a qu’une seule vocation, c’est d’organiser le festival d’Angoulême... Elle ne fait que cela et ne se développe pas par ailleurs... Ses collaborateurs détiennent l’ADN du Festival..." Des collaborateurs qui étaient, pour les plus anciens d’entre eux, employés par l’association.
Un projet aurait été établi entre 9e Art + et l’association et proposé cet été : "Nous n’avons même pas eu le temps de le défendre, de l’expliquer, parce qu’il a été immédiatement balancé dans la presse régionale qui fait du "9e Art bashing" et du "Bondoux Bashing" depuis sept ans."
L’affaire des dépôts de marque
"Nous avons engagé un dialogue avec l’association et certains de ses membres ont préféré une autre voie" dit-il. En clair, le dialogue entre 9e Art + et son commanditaire, l’association, est au point mort. Franck Bondoux s’est alors rapproché du maire d’Angoulême pour essayer de résoudre cette incommunicabilité.
Il prétend qu’il a déposé les marques "pour provoquer un choc". "Aujourd’hui, au moment où nous parlons, le transfert de ces marques à l’association est en cours. Les papiers sont signés" affirme-t-il. Et d’ajouter : "Ce n’est pas plus mal d’avoir protégé ces marques qui se promenaient un peu dans la nature."
M. Bondoux annonce qu’il a déposé par ailleurs d’autres marques "que nous remettrons également à l’association". [1]
Les revendications de Frank Bondoux
Le patron de 9e Art + explique que, depuis qu’il a signé avec l’association il y a sept ans, la configuration a changé. Il laisse entendre que l’association n’est plus adaptée à la situation actuelle : "Les événements se créent souvent [...] grâce à une poignée de passionnés, de bénévoles. Cela a été le cas ici. [...] Cet événement est sur le fil du rasoir. Il doit conjuguer, et c’est pourquoi il a été je crois l’objet de critiques permanentes, les intérêts des grands éditeurs, des éditeurs alternatifs, l’éthique de cet événement qui ne peut pas accepter qu’il y ait de l’entrisme dans sa ligne éditoriale, qui doit conjuguer avec les intérêts d’un territoire, avec ses collectivités qui ne sont pas forcément toujours au diapason, notamment politique, l’implication qui viennent chercher dans cet événement, heureusement pour nous, une image de marque..."
Et d’interpeler les collectivités sur leurs engagements, notamment au nouveau des infrastructures : "On ne fait pas les Jeux Olympiques sans un Stade de France", dit-il. Il est vrai que le FIBD campe sous tente depuis plus de 40 ans...
Il met en cause une association faite de gens qui "allaient chercher Franquin à la gare en deux-chevaux et qui faisaient dessiner Gaston Lagaffe sur une nappe de restaurant [...] Je ne me moque pas d’eux en disant cela mais les temps ont changé."
En ce qui concerne les relations avec la Cité, il prétend qu’elles sont désormais apaisées. Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique du Musée de la BD, présent sur la scène, confirme travailler en bonne intelligence avec le FIBD sur des projets pluriannuels. "À titre personnel, dit-il, je me réjouis de retrouver une situation que j’ai connue par le passé." Une pierre dans le jardin de Gilles Ciment...
Retour en arrière sur l’Académie des Grands Prix
Et l’Académie des Grands Prix réduite en instance-croupion lors du dernier Festival ? "Elle fait partie du patrimoine du festival, affirme Franck Bondoux. Elle a un rôle à jouer [...] Le Festival ne veut pas perdre ses Grands Prix". Mais aucun projet n’y est pour le moment attaché. Parlant de la réforme des Grands Prix, il ajoute : "Nous avons essayé peut-être de passer en force. Ce n’est pas pour cela que nous sommes fâchés avec les Grands Prix du festival. Là aussi, il faut inventer l’avenir."
Bref, à la conclusion de cette présentation, bien des questions sont laissées en suspens, sans que l’on remarque beaucoup de changements dans l’évolution d’un festival qui reste dans la droite ligne impulsée par 9e Art + ces dernières années.
(par Thierry Lemaire)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
[1] La marque "concert de dessins", déposée en commun avec Badaboum SA, une société suisse appartenant au dessinateur Zep, appartient déjà à l’association. Elle a été déposée à l’époque de Jean-Marc Thévenet en 2006.
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