Charlie partout. Sur la façade de l’hôtel de ville, sur les panneaux électoraux dans toute la ville, dans le musée de la BD, dans les librairies, sur les stands des éditeurs... chacun portant son badge "Je suis Charlie".
Charlie dans les têtes surtout. Comme source de tristesse, de nostalgie. Comme modèle de courage et de ténacité. À ce 42e festival, nous étions allés avec appréhension : comment allait-il se passer ? Les cinglés à l’origine des attentats du 7, 8 et 9 janvier allaient-ils nous prendre pour cible ?
Le chœur des récupérateurs
Cela n’a pas été le cas, heureusement. "Même pas mort ! " pouvait écrire Chimulus sur Urtikan.net en rentrant du festival. En attendant, Charlie a été récupéré plus sûrement que des déchets ménagers par une usine de recyclage.
Par le monde de la bande dessinée d’abord. La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image s’est beaucoup souvenue de l’image ces derniers jours. Quant au FIBD, il s’est employé à faire croire que le dessin de presse, la caricature, c’était de la BD. Alors qu’il n’y a pas longtemps, à l’occasion de l’élection de Wolinski et de Willem, certains se pinçaient le nez devant ce qui n’était pas selon eux de la "bande dessinée".
Propos d’ignorants, certes, mais je n’ai cependant pas le souvenir que Cabu, Wolinski, Charb, Tignous ou Honoré aient jamais été retenus dans les sélections officielles du FIBD de ces dernières décennies. Un bon dessinateur de BD est un caricaturiste mort ?
On a vu les maisons d’édition se donner la main pour éditer, diffuser et distribuer en moins de quinze jours un album au profit des familles des victimes, ce qui est la moindre des choses. Des magazines -et notamment un beau numéro spécial de Casemate- publier des centaines de dessins en hommage.
Albert Uderzo offrant une planche (sublime) qui sera mise aux enchères en avril prochain chez Christie’s au profit des victimes de Charlie.
Dans quelle mesure ces expressions sincères échappent-elles à un pousse-toi-de-là général, chacun faisant son petit Sarkozy ?
Le FIBD qui a fait de Charlie Hebdo un axe de communication majeur de cette édition n’est pas en reste qui a créé deux prix pour la circonstance : un "Prix Spécial" pour les auteurs assassinés, celui où Menu a pu pousser sa gueulante, et un "Prix Charlie Hebdo pour la liberté de la presse" donné... aux mêmes !, remis par la Ministre de la Culture, souffletée par Blutch. L’un et l’autre de ces deux auteurs fustigèrent vertement les récupérateurs.
Récupérations manipulatrices
Le plus déplaisant est la récupération manipulatrice. D’un journaliste des Inrocks qui, dans un billet d’humeur règle des comptes avec Geluck et Plantu, mais surtout avec Geluck (sa lettre s’intitule "Cher Geluck" et non "chers Geluck et Plantu") sans que l’on sache pourquoi, le dessinateur belge parlant de son côté de "fatwa des Inrocks".
Il y a aussi cette récupération cynique par un "collectif contre le sponsoring du FIBD par Sodastream" qui écrit : "Nous voulons exprimer notre chagrin et notre indignation face à l’assassinat de cinq caricaturistes, Wolinski, Cabu, Charb, Tignous, Honoré, parmi beaucoup d’autres, dans les bureaux de Charlie Hebdo. Ces horribles actes de violence nous incitent à agir encore plus urgemment pour un monde où la dignité, la liberté et l’égalité de toutes les personnes sont respectés et promus. Nous réaffirmons que le mouvement de boycott palestinien est une étape importante de cette vision, et nous espérons que vous continuerez à nos côtés dans ce mouvement." Alors que les auteurs cités n’auraient probablement pas signé ce manifeste (ils ne l’avaient pas fait l’année dernière).
Il y a enfin ce documentaire étonnant de Denis Robert (nous en reparlerons) où Charb, Cabu, Riss et l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka notamment en prennent pour leur grade, se trouvant accusés d’avoir détourné avec Philippe Val la marque "Charlie Hebdo" pour faire leur magazine. Denis Robert, opposé à Richard Malka -par ailleurs avocat de la société Clearsream qui a eu maille à partir avec le journaliste- était-il le mieux placé pour réaliser un documentaire objectif sur Charlie Hebdo, alors que son film, tiré de L’Affaire des affaires qui raconte ses mésaventures avec Clearstream, sort dans quelques jours et qu’il est un partisan déclaré de Siné ?
Il semble bien que le "Trésor de Charlie Hebdo" constitué des dons, des abonnements et de la vente du numéro exceptionnel des "survivants" qui établit le record de tirage d’un journal publié en francophonie suscite, sinon des appétits, au moins des jalousies. On peut lire dans la presse qu’il se monterait à 15 millions d’euros.
Le festival, cependant, avait du niveau cette année, même si "l’effet Charlie Hebdo" a eu un impact.
[A Suivre demain]
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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