Ça y est : les trois finalistes en lice pour le Grand Prix 2019 sont désormais connus ! Il s’agit donc d’Emmanuel Guibert - déjà dans le trio de tête l’année dernière -, Rumiko Takahashi et Chris Ware. Deux hommes et une femme. Un Européen, un Américain et une Japonaise.
Une fois encore, après Corben, ce sont des auteurs plutôt connus des dessinateurs que du grand public qui se retrouvent dans le peloton de tête. Ce sont des choix irréprochables, mais le sparadrap "élitiste" n’est pas près de se détacher du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. C’est aussi le signe d’une profession qui, en élisant un Américain et une Japonaise aux côtés d’un auteur français, montre son ouverture sur le monde.
Emmanuel Guibert
Emmanuel Guibert est un fédérateur de la bande dessinée francophone. On peut le considérer comme le tenant d’une ligne graphique exigeante avec la Guerre d’Alan ou de la bande dessinée de reportage avec Le Photographe. Le grand succès public d’Ariol dessiné par Marc Boutavant, l’impose également en tant que scénariste au talent flagrant et acteur important de la bande dessinée jeunesse.
« C’est le contraire d’un dessinateur qui fait « carrière » mais qui trace néanmoins son chemin avec singularité, écrivait Didier Pasamonik dans nos pages. De La Guerre d’Alan au Capitaine écarlate (scénario de David B, Dupuis), de La Fille du professeur aux Olives noires (Sc. Joann Sfar, Dupuis. Alphart coup de cœur) jusqu’à la trilogie du Photographe qu’il signe avec Frédéric Lemercier et Didier Lefèvre, et qui lui vaut une bardée de récompenses de la BD : Prix des libraires, Prix France Info, un Essentiel à Angoulême et un Eisner Award à San Diego, aucune de ses œuvres ne laisse indifférent. »
Grand-Boum Ville de Blois en 2009, Grand Prix de la Critique de l’ACBD en 2013, Lauréat du Prix René Goscinny en 2017, Guibert était déjà en lice l’an dernier pour remporter le fameux Grand Prix. Cette année sera peut-être la sienne ?
Le choix de ce graphiste subtil et intelligent posera un problème : une grande rétrospective lui avait été consacrée l’année dernière en raison de son Prix Goscinny 2017. Or, un Grand Prix a droit à son exposition l’année suivante. Bis Repetita Placent ?
Rumiko Takahashi
Dessinatrice de BD la plus lue au monde avec plus de 200 millions d’exemplaires de ses œuvres diffusées dans le monde en 2017, Rumiko Takahashi est tout bonnement une évidence trop longtemps ignorée. Et les raisons sont multiples à cela : auteure de manga (pouah !), œuvrant dans un genre populaire minoré, le shonen, version comédie romantique (re-pouah), et… femme ? (certainement !). Pourtant, il suffit de citer Maison Ikkoku (Juliette je t’aime pour les nostalgiques du Club Dorothée) ou encore Ranma ½, qui bénéficie actuellement d’un nouvelle édition prestige de Glénat, pour mesurer l’importance mondiale de la mangaka.
Rumiko Takahashi débute sa carrière à la fin des années 1970. Ses premières œuvres témoignent déjà de ses centres d’intérêt et du ton qu’elle saura déployer : science-fiction, humour, action loufoque, légèreté et étrangeté. Elle connaît un premier succès avec Urusei Yatsura, connu en France sous le nom de Lamu, qui paraît dans l’hebdomadaire jeunesse de Shogakukan, le Weekly Shonen Sunday. La série, dont l’animé sera diffusé en France dans les années 1980, comptera au final 34 tomes, parus entre 1978 et 1987. Rumiko Takahashi débute son deuxième succès mondial, Maison Ikkoku, alors même que Urusei Yatsura est en cours, dès 1980. Pendant sept ans, elle mène les deux séries de front, Maison Ikkoku, qui paraît dans le Big Comics Spirits, magazine alors bimensuel ciblant un public plus âgé.
C’est alors que la mangaka amorce sa troisième immense série, Ranma ½, dont les 38 tomes l’emmèneront jusqu’en 1996. Mêlant comédie romantique légère, humour débridé et combats d’arts martiaux aussi délirants qu’intenses, les aventures rocambolesques de Ranma et de ses proches installent définitivement Rumiko Takahashi au panthéon des auteurs japonais. Sa popularité devient alors mondiale, notamment grâce à la diffusion des animés de ses différentes séries.
La suite de sa carrière est marquée par de nouveaux succès au Japon : Inu-Yasha d’abord, Rinne ensuite, qui ne rencontrent pas vraiment leur public chez nous, débordés par la vague des nouveaux shonen, issus du Jump, qui marqueront les années 2000 et le boom du manga en France. Mais Rumiko Takahashi, pionnière dans sa démarche visant à investir le terrain très populaire du shonen, étiqueté masculin aussi bien du côté des lecteurs que des auteurs, a ouvert la voie aux auteures femmes de manga, aujourd’hui très présentes dans les productions shonen et seinen. Il suffit de songer à Hiromu Arakawa (Full Metal Alchemist), Katsura Hoshino (D.Gray-Man), Shiori Teshirogi (Saint Seiya – The Lost Canvas) ou encore Chica Umino (March Comes in like a Lion) pour s’en convaincre. Elle a également imposé des thématiques modernes et progressistes (la question du genre) et mis en avant des types de personnages nouveaux, marginaux touchants et authentiques, communautés de laissés-pour-compte attachants et profondément humains.
Son impact, aussi bien auprès de millions de lecteurs dans le monde entier que dans le milieu du manga, fait ainsi d’elle une référence qui s’impose naturellement, ce que concrétise cette nomination parmi les finalistes du Grand Prix 2019. D’ailleurs, la mangaka vient d’intégrer le fameux « Hall of Fame » des Eisner Award en 2018. Une consécration outre-Atlantique qui en appelle une autre sur les rives de la Charente ?
Chris Ware
Meilleur album de l’année 2002 pour Jimmy Corrigan (Delcourt), Chris Ware avait fait ses débuts dans la revue Raw d’Art Spiegelman et Françoise Mouly, y développant une Ligne claire héritée de Joost Swarte et de George McManus au climat étrange, contemplatif et quotidien.
« C’est quelqu’un qui a, à la fois, une capacité à raconter –c’est d’abord un conteur- mais il ne va jamais rien sacrifier sur le plan pictural, que ce soit le dessin, la mise en page, la maquette, nous disait Jacques Samson qui a écrit un essai sur l’artiste américain voici quelques années. C’est quelqu’un qui adore les livres, qui adore l’imprimé et qui intervient à tous les niveaux dans la conception de l’ouvrage. Tout est fait encore à la main, c’est un véritable artiste et en même temps un conteur. Il révolutionne à ce titre la bande dessinée dans la mesure où il raconte des choses qui sont radicalement différentes des comics que l’on rencontre aux États-Unis et, par rapport à la bande dessinée en général, par rapport à la bande dessinée dite de genre : l’aventure, le fantastique, le biographique, etc. Lui, il est en dehors de tout cela. Il est sincèrement préoccupé par le temps, par la manière dont on le fabrique, dont il nous fabrique. Quand on entre dans l’univers de Ware, on entre dans une terre inconnue, dans un univers totalement nouveau. »
(par Aurélien Pigeat)
(par Laurent Melikian)
(par Vincent SAVI)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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