Lorsque La Bête est morte ! est imaginé par ses créateurs pendant l’Occupation, le projet est dantesque et dangereux : raconter la Seconde Guerre mondiale à chaud, de façon réaliste en dépit d’un habillage fabulaire. Ce sont en effet des animaux qui font vivre le récit : lapins, écureuils, lionceaux, cigognes, et grand méchant loup (pour incarner un certain dictateur moustachu) se croisent et s’affrontent, moyen pour les auteurs d’exposer les atrocités des hommes sous un prisme plus tolérable, du moins plus regardable pour les lecteurs. Et soixante-quinze ans plus tard, l’œuvre n’a rien perdu de sa puissance.
À l’intérieur, on retrouve des influences et des hommages au patrimoine français des Fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré, et au travail de Walt Disney et de Félix Lorioux. Le contraste entre les références visuelles et le sujet de l’œuvre ne fait toutefois que renforcer l’impact et la pertinence du travail des auteurs. C’est ce savant mélange qui contribuera au succès de l’œuvre.
Le mystère entourant la genèse de La Bête est morte ! ajoute considérablement à son aura. Le premier volume est publié fin 1944 et l’œuvre s’achève en Juin 1945, « ...avec l’espoir que la bête est bien morte. »
On ne sait presque rien de la naissance du projet, et même ses auteurs restent très mystérieux. Calvo et Dancette étaient relativement connus, grâce à son travail d’illustrateur et d’auteur de bande dessinée pour enfants pour Calvo. De Dancette, on sait juste qu’il contribua à un journal pro-Vichy pendant l’Occupation. Quant à l’écrivain Jacques Zimmermann, il semble que c’était un responsable éditorial de G.P. Son nom disparaît dans les éditions ultérieures. Et si le témoignage d’Anny Calvo, la fille du dessinateur, nous donne quelques détails sur le contexte de création de la BD : on sait grâce à elle qu’il transportait en secret ses planches dans le métro parisien pendant l’Occupation, on a très vite fait le tour des informations disponibles sur les circonstances de sa gestation.
Cette œuvre est également connue pour être la première à mentionner la Shoah en bande dessinée. [1] En deux célèbres vignettes, les auteurs illustrent le sort réservé aux Juifs pendant la guerre et l’Occupation, en identifiant clairement le caractère génocidaire du crime. Raison supplémentaire, s’il en fallait, de conserver cette bande dessinée dans les mémoires.
Dans l’exposition coproduite par le Festival International de la Bande Dessinée et la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, il était indispensable de revenir sur cette œuvre majeure, mais pas seulement : Les Aventures de Rosalie, Patamousse, Coquin le cocker, Cricri, souris d’appartement, Moustache et Trottinette et 1001 illustrations de ce maître de la bande dessinée animalière, influence majeure d’Albert Uderzo, partagent la cimaise. L’expo a commencé le 11 décembre, et se poursuivra pendant le Festival d’Angoulême et jusqu’au 31 mai.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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Exposition Calvo, un maître de la fable
Jusqu’au 31 mai 2020
horaires du musée de la bande dessinée
informations générales 0545386565 / musée 0517173100
Cité internationale de la bande dessinée et de l’image
Musée de la bande dessinée, quai de la Charente, Angoulême.
[1] Lire les articles de Joël Kotek et Didier Pasamonik et celui de Tal Bruttman dans Shoah et bande dessinée. L’image au service de la mémoire, Mémorial de la Shoah et Denoël Graphic, janvier 2017.