C’est bizarre Angoulême en temps de Covid. Le Chat noir fermé, le Mercure fermé. Les rues désertes. Les seuls pavoisements sont ceux de Noël qui traînent depuis décembre.
Nous arrivons au théâtre. La salle est prévue pour recevoir une vingtaine de journalistes, un rang sur deux, deux sièges entre chaque personne. Tout le monde est masqué. Avec un masque labellisé « FIBD ». Sur la scène, un canapé, et une cage où tous les "Fauves" sont enfermés. Et le présentateur TV et humoriste Thomas VDB. « L’année dernière, on était au Festival d’Angoulême, cette année, on est… heu… simplement à Angoulême… », fait-il remarquer.
S’ensuit la longue longue liste des auteurs de BD disparus en 2020. La séquence est proche de dix minutes avec une musique d’ascenseur : les journalistes dans la salle ne voient pas l’écran du direct que l’on peut visionner sur France Inter. Bizarre.
Puis arrive le Prix Goscinny. Aymar du Châtenet, administrateur de l’Institut Goscinny, parle de ces « auteurs de l’ombre » que sont souvent les scénaristes. Après avoir rappelé le rôle déterminant de René Goscinny dans la reconnaissance des scénaristes, il déclara que le Prix Goscinny est attribué cette année à Loo Hui Phang. Celle-ci avait enregistré un message où elle a rappelé cette année encore, un leitmotiv qui reviendra toute la soirée : le problème du statut (ou plutôt le "non-statut") des auteurs...
Sans plus attendre, voici le palmarès.
Fauve d’Or – Prix du meilleur album
L’Accident de chasse – Par David L. Carlson & Landis Blair, trad. Julie Sibony – Ed. Sonatine
Ainsi en est-il du Fauve d’Or. Un auteur inconnu en France, publié chez un label dévolu à la littérature policière (du groupe Editis) peu présent en librairies spécialisées de bande dessinée. Beaucoup de nos lecteurs feront l’œil rond. Nous avons lu l’album et nous l’avons trouvé excellent (cliquez sur le lien ci-dessus) : « Une émotion rare qui rappelle le Maus de Spiegelman », osions-nous même écrire.
Fauve d’Angoulême - Prix spécial du jury
Dragman – Par Steven Appleby, trad. Lili Sztajn – Ed. Denoël Graphic
Le Prix Spécial du Jury récompense un éditeur valeureux, Denoël Graphic, qui une fois de plus nous livre un ouvrage singulier. Là encore, une première bande dessinée d’origine anglophone. Notre chroniqueur Florian Uzan, tout en reconnaissant l’originalité de la démarche, n’avait pas accroché (lisez sa critique en cliquant sur le lien ci-dessus). Cela n’a pas été l’avis du jury d’Angoulême qui lui décerne un « Prix Spécial ».
Fauve d’Angoulême – Prix du public France Télévisions
Anaïs Nin, sur la mer des mensonges - Par Léonie Bischoff – Ed. Casterman
Le « Prix du public » n’est pas décerné par le Grand Jury d’Angoulême et est édité par un éditeur de bande dessinée traditionnel. « C’est certainement la surprise de cette rentrée, un roman qui dépeint avec nuance et émotion les pensées les plus intimes d’Anaïs Nin. Des confidences passionnantes et révélatrices qui sont portées par un magnifique trait aux couleurs changeantes, au diapason des passions de cette femme remarquable », écrivait Charles-Louis Detournay dans nos pages (cliquez ci-dessus)
Fauve d’Angoulême - Prix de la série
Paul à la maison - Par Michel Rabagliati – Ed. La Pastèque
Le Prix de la série, en revanche, est bien désigné par le Grand Jury. Il est allé chercher l’album qui s’apparente le plus à un roman graphique : la série Paul du déjà très célébré Michel Rabagliati, a été leur choix. Marianne St-Jacques, notre journaliste installée au Canada, évoquait ainsi la tonalité assez sombre de cet ouvrage : « Ce neuvième tome des aventures de Paul, le sympathique alter ego de Michel Rabagliati, a des allures de récit crépusculaire. D’ordinaire guilleret, le personnage éponyme n’est plus que l’ombre de lui-même, comme en témoigne la couverture de l’album. »
Fauve Polar SNCF
GoSt111 - Par Marion Mousse, Mark Eacersall et Henri Scala – Glénat
Le Prix Polar SNCF a un jury indépendant du Grand Jury. Glénat peut être content : Gost 111, qui est ici primé, est un excellent polar navigant dans le monde des indics. Co-écrit par un scénariste de télévision, Mark Eacersall, et un commissaire de police œuvrant sous pseudonyme, Henri Scala, GoSt111 est merveilleusement servi par le trait de Marion Mousse. Une jolie révélation.
Fauve d’Angoulême - Prix du patrimoine
L’Éclaireur : Récits Gravés de Lynd Ward - Par Lynd Ward - Ed. Monsieur Toussaint Louverture
Le Grand Jury n’a pas lésiné sur la dépense ! Le magnifique coffret, recueil des six romans graphiques de Lind Ward dont nous disions le plus grand bien (voir la chronique en cliquant sur le lien ci-dessus) vaut 65 € à l’achat. Et pourtant, il est partout épuisé, mais en réimpression. Patience…
"C’est plus qu’un titre, dit Benoît Peeters, président du jury. C’est toute une œuvre. Une partie de l’Histoire de la bande dessinée. Et puis le formidable travail de Monsieur Toussaint Louverture qui a été de bout en bout une perfection !"
Fauve d’Angoulême - Prix Révélation
Tanz ! - Par Maurane Mazars – Ed. Le Lombard
Alors là, oui, Tanz ! mérite ce satisfecit. C’est le premier prix à Angoulême du Lombard, depuis longtemps. « Maurane Mazars : un nom dont il faudra se souvenir, tant son album "Tanz !" fait office de révélation. Rarement, un lauréat du Prix Raymond Leblanc aura livré un ouvrage aussi accompli... » notait Charles-Louis Detournay dans nos pages (lien ci-dessus)
Fauve d’Angoulême - Prix de l’audace
La Mécanique du sage - Par Gabrielle Piquet – Ed. Atrabile
Notre rédacteur en chef pour la bande dessinée alternative, Frédéric Hojlo, peut être content : le Grand Jury rejoint son choix, lui qui considérait que cet album était « un modèle de grâce » : « Elle [l’autrice Gabrielle Piquet] tisse, en refusant la facilité du spectaculaire et en transformant l’anecdotique en universel, un voile léger propice à révéler davantage qu’à obscurcir. Elle questionne, aussi, la recherche du bonheur. »
Fauve d’Angoulême – Prix de la bande dessinée alternative
Le prix de la BD alternative concerne "un public qui aime fouiller dans les cartons", nous dit Thomas VDB. Il est gratifié d’un chèque de 1000€.
KUTI, The Thick book of KUTI (Finlande)
La revue finlandaise Kuti aurait pu remporter ce Fauve depuis plusieurs années déjà. Le collectif fondé en 2005 en est en effet au 58e numéro de son trimestriel. Permettant à de jeunes autrices et auteurs de Finlande et du monde entier de s’exprimer et d’expérimenter, Kuti est fondé sur un modèle propre à permettre une large diffusion : des publicités en début et en fin de revue, un papier journal peu onéreux et un soutien institutionnel permettent de vendre l’abonnement annuel à 22 euros seulement pour toute l’Europe ! Parrainé par Tommi Musturi, figure incontournable de la bande dessinée alternative européenne, Kuti propose des récits courts, en noir et blanc ou en couleurs, accompagnés de traduction en anglais. C’est ici une anthologie qui a été honorée, mais récompense un travail de plusieurs années.
Les Prix Jeunesse récompensent, comme il se doit, les œuvres destinées à la jeunesse. Ils ont choisi un titre "heureux et bienveillant".
Fauve d’Angoulême - Prix Jeunesse 8-12 ans
Le Club des amis, T. 1 - Par Sophie Guerrive – Ed. 2024
Album longtemps attendu par les fans de Sophie Guerrive, voici ce qu’en écrivait Frédéric Hojlo dans nos pages : « Le dessin de l’autrice se fait pour l’occasion encore plus sobre voire épuré. Le trait tout en rondeur, le découpage en courts chapitres et les compositions simples mais plus variées que dans la série originelle permettent une lecture dynamique. Les dialogues sont d’un grand naturel. Le passage à une écriture jeunesse est largement réussi : cela valait la peine d’attendre un peu. »
Destiné à des ados, voici le Prix 12-16 ans, "Pas un âge facile" dit Thomas VDB." On a trouvé que ce prix récompensait un bon scénario qui raconte l’emprise d’un père maltraitant", nous dit un membre du jury.
Fauve d’Angoulême - Prix Jeunesse 12-16 ans
Middlewest, T. 1 : Anger - Par Jorge Corona et Skottie Young – Ed. Urban Comics
Fauve d’Angoulême – Prix des lycéens
Créé par le festival avec le Ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports, en partenariat avec Cultura, ce prix récompense un album qui aura marqué l’année 2020.
Peau d’homme - Par Zanzim et Hubert – Ed. Glénat
Et de sept pour Peau d’hommes d’Hubert et Zanzim qui remporte ainsi son Grand Chelem et devient l’album le plus primé de 2020 alors que son scénariste, tragiquement disparu en février, était nommé « Personnalité BD de l’année » par ActuaBD. Un excellent choix et un deuxième album pour Glénat, l’éditeur BD qui est le seul à remporter deux palmes dans ce palmarès.
Les autres prix
Citons donc encore Loo Hui Phang qui reçoit le 21e Prix Goscinny-, comme explicité au début de l’article, une récompense qui célèbre chaque année un ou une scénariste de bande dessinée pour l’ensemble de son œuvre. Nous lui consacrerons un article plus spécifique dans les prochaines heures.
Enfin, le Prix Konishi qui récompense une traduction du japonais vers le français, est décerné à Miyako Slocombe pour la traduction de Tokyo Tarareba Girls de Akiko Higashimura publié chez le Lézard Noir.
Restez sur ActuaBD, nous allons continuer à vous faire vivre ce festival d’Angoulême qui sort bien entendu de l’ordinaire !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Frédéric HOJLO)
(par François RISSEL)
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