Bon, la fréquentation est en baisse, selon les premières estimations, de 25%, ce qui est normal pour un festival décalé qui a écopé la défection de grands éditeurs comme Glénat ou Urban par exemple. L’avantage est que cela a permis d’avoir des allées moins encombrées lors des visites. Si l’on sent que la Manga City en était réduit aux acquêts en raison de l’absence d’invités japonais, des efforts avaient été faits par les éditeurs « mainstream » du Monde des Bulles.
Le Grand Prix, accordé, on le sait, à Julie Doucet, a eu sa cérémonie au théâtre, scène nationale, au lieu de l’Alpha où l’événement a lieu d’habitude. Cela a été l’occasion d’un concert de dessins organisé en ouverture avec la participation d’une douzaine d’artistes de dix nationalités différentes et du pianiste franco-ukrainien virtuose, Dimitri Naïditch. Est-ce pour cela que les environs étaient exagérément blindés de policiers ? Il semble que la préfète d’Angoulême a cru que son théâtre subirait le même sort que celui de Marioupol…
La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, qui avait snobé quelques mois plus tôt le Festival BD Boum, alors qu’elle était présente à ce moment-là à Blois, est venue faire son tour au pas de charge, négligeant Manga City, alors que le manga représente 55% du marché de la BD en France et qu’il a fat le succès de son Passe Culture. On pardonnera à une vieille lectrice du Journal de Mickey et de Pilote qui aurait, si on en croit La Charente Libre, 1600 BD dans sa bibliothèque et qui assimile le Président du Sénat, Gérard Larcher, à Obélix…
Les créatrices et le Canada à l’honneur
Nos amis canadiens ont pu faire le brâme du Caribou (leur « cocorico » local) avec leur premier Grand Prix de la Ville d’Angoulême accordé à Julie Doucet pour l’ensemble de sa carrière, avec Mégantic, un train dans la nuit de Anne-Marie Saint-Cerny & Christian Quesnel (Ed. Ecosociété) pour l’Eco-Fauve Raja, et le Fauve de l’Audace pour Un Visage Familier de Michael DeForge (Ed. Atrabile), tandis que le timonier du Festival de BD du Québec, Thomas Louis Côté, a reçu des mains de la ministre de la Culture l’insigne de Chevalier des Arts et des lettres.
Ce qui frappe, c’est une meilleure présence des femmes dans le palmarès. Outre le Grand Prix déjà évoqué (rappelons que les trois finalistes étaient des femmes, événement unique dans l’histoire du festival), la présence des autrices progressent dans les résultats : 7 sur 18 auteurs récompensés. Dans le Off du Off, le Prix « Couilles au cul » du courage artistique a été remis à une autrice marocaine, Zainab Fasiki, dont on entendra encore parler. Les héroïnes (rappelons-nous le fameux « critère de Bechdel ») ne sont pas en reste non plus. C’est une satisfaction.
Des prix et des sponsors
Nous avons apprécié, vraiment, les cérémonies courtes, bien ponctuées, sauf quand il s’est agi de faire parler les sponsors, pardon les « partenaires ». Mais où vont-ils chercher leurs représentants, ceux-là ? Entre la SNCF qui félicite son équipe de comm en direct (rien à secouer, franchement), Michel Field de France TV qui faisait l’animateur à la place des animateurs sur le mode Jacques Martin (de la TV) avec ses jury-téléspectateurs, pour nous dire qu’il y avait un match de rugby à la TV à 21h et qu’on ferait mieux de se casser, non sans faire preuve d’érudition en mentionnant la BD Les Rugbymen, une série à succès dont il avait oublié le nom de l’éditeur (Bamboo), et madame Raja, la patronne du leader français de l’emballage carton qui nous tient un laïus lancinant d’un quart d’heure pour ne pas nous dire la seule chose qui nous intéressait : bon sang, mais qui a remplacé le jury démissionnaire du Prix Éco-Fauve et quel a été le critère de choix pour les quatre titres restants sur les six initiaux ?
Reste ce palmarès. Oh, ne critiquons pas les titres retenus outre mesure : la plupart d’entre eux sont des bons choix qui ont été mêmes pour quelques-uns, nos coups de cœur, mais… pas de comics, pas de mangas (sauf un malheureux prix des traducteurs), pas de grands éditeurs cette année, à l’exception du Fauve des Lycéens à Dargaud, du Prix de la série à Dupuis, un patrimoine à Casterman, et d’un Prix Jeunesse à Glénat sur 83 nominations… des récompenses qui tiennent du colifichet. Delcourt absent, lui qui a longtemps occupé le palmarès, et Futuropolis, et Gallimard, et Rue de Sèvres qui repartent bredouilles... L’option Indé est depuis longtemps celle du Festival, mais là, cela semble s’être radicalisé. Le Figaro parle d’un « palmarès élitiste » (Le Figaro !).
La bande dessinée, la fameuse « BD » de jadis et de naguère est morte, pourrait-on en conclure : vivent LES bandes dessinées !
Du coup, Le Festival du Livre, l’événement du Syndicat National de l’Edition qui remplace Livre-Paris après la rupture entre SNE et son opérateur Reed, qui doit avoir lieu au Palais Éphémère du Grand Palais du 22 au 24 avril 2022, ne laisse pas de place de son côté aux labels alternatifs. Un autre genre d’entre-soi….
À Japan Expo, au contraire, on annonce des mutations pour s’adapter aux nouvelles configurations de la BD d’aujourd’hui. Toujours en pointe, ceux-là...
Positivons !
Enfin, il semble bien que cette édition ait fait repartir une vague de Covid dans le monde de la BD : bon nombre d’auteurs sont revenus positifs de l’équipée angoumoisine, mais aussi des journalistes, y compris dans la rédaction d’ActuaBD.com (nous étions dix sur le festival).
Rien de grave jusqu’ici, des symptômes proches du gros rhume. Mais voilà bien un premier effet concret du danger de l’entre-soi…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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