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Angoulême 2023 : Ryoichi Ikegami, parcours de maître

Par Jaime Bonkowski de Passos le 30 janvier 2023                      Lien  
Ryoichi Ikegami est de ces auteurs dont le parcours exceptionnel a marqué l'histoire du manga. Invité par Glénat Manga au FIBD en compagnie de Riichiro Inagaki, son scénariste sur le récent "Trillion Game", il s'est livré à un jeu de questions-réponses avec la presse dans un ton d'une légèreté rare. Drôle, sage, piquant et sans filtre, le maître se confie entre anecdotes et leçons de vie. Prenez bonne note !
Angoulême 2023 : Ryoichi Ikegami, parcours de maître
© Kelian Nguyen

La conférence de presse organisée par Glénat en l’honneur de l’un de leurs dessinateurs-phare Ryoichi Ikegami s’est tenue jeudi dans une salle confidentielle du Musée d’Angoulême, devant un parterre de la plus fine fleur des journalistes (dont, évidemment, votre serviteur). Le dialogue est modéré et traduit par le YouTuber, Streamer et Japonophone Benzaie, les plus de vingt ans ne doivent pas connaître...

Place au récit !

Dans sa prime jeunesse Ryoichi Ikegami, aujourd’hui d’un âge vénérable de 78 ans (qu’il ne fait vraiment pas), était l’assistant et le disciple du légendaire Shigeru Mizuki. La question est simple et la réponse surprend : quel est le plus grand enseignement que son maître lui a laissé ?

Le plus grand enseignement que j’ai retenu de Mizuki-sensei est très simple. "La vie n’est rien qu’un pet" (rires dans la salle). Ça peut paraître futile, mais c’est vrai car au regard du cosmos, même si nous vivions 1 000 ou 10 000 ans, ça ne serait rien d’autre qu’un instant éphémère. (Suivi d’un silence songeur, et un peu interloqué)

Sans transition (bravo à l’orateur pour être parvenu à rebondir sur ça), nous passons aux questions sur Sanctuary, titre emblématique de sa bibliographie en ce moment réédité par Glénat. Est-il plus difficile de dessiner une œuvre qui dépeint une vision critique de la société contemporaine ?

De nombreux scandales ont agité la vie politique du japon, mais ils sont restés
peu connus, on en parlait très peu. Il fallait un certain courage pour les aborder, encore plus pour consacrer une série de manga entière aux déboires de la classe politique et à ses compromissions avec la mafia. On a pu faire Sanctuary parce que le Japon est une démocatrie, mais ça aurait été un peu plus dur et même impossible de faire ça dans un régime plus strict.

Jacques Glénat (g.) remet un album d’or à Ikegami (d.) pendant la conférence Glénat du FIBD 2023.
© Kelian Nguyen

À ce propos. C’est aussi une histoire de Yakuzas qui sont dépeints avec une certaine précision et réalisme. Comment vous êtes vous documenté sur ce monde souterrain ? Avez vous rencontré des vrais gangsters ?

Sho Fumimura est le scénariste, c’est donc lui qui a les détails et les secrets sur la recherche. Il ne m’a jamais dit être allé voir des Yakuzas pour se documenter, mais je sais qu’il a été voir des gens très proches de ces organisations, qu’il les a interrogé. Mais c’était tout de même dangereux : un jour, après avoir dessiné un épisode particulièrement violent de Sanctuary dans lequel un personnage se fait décapiter, j’ai reçu un coup de téléphone d’une personne a l’air très menaçant, et j’ai alors compris que la tête en question dans cet épisode ressemblait à un vrai chef Yakuza. Alors, j’ai changé de numéro de téléphone bien sûr. (à nouveau, rires dans la salle). Certains gangsters lisaient sans doute nos mangas. C’est pour ça que Sho Fumimura, dans un des épisodes, fait dire à un personnage qu’il ne détestait pas les Yakuzas. Il y avait entre eux et nous une forme de communication par manga interposé.

Puis, place au présent et à la série qui justifiait l’invitation des deux géants au FIBD : l’excellente Trillion Game. Cette série aborde un aspect inédit de votre carrière : la comédie. Comment en êtes-vous venu à aborder ce thème inhabituel ?

C’est grâce à mon éditeur talentueux que j’ai pu me lancer dans cette oeuvre, et aussi parce que j’ai à mes côtés un scénariste de génie. On était persuadé de trouver une alchimie unique entre mon dessin et ses scénarios. Au début j’ai refusé, je n’étais pas sûr de pouvoir le faire et je leur conseillais de faire appel à quelqu’un de plus jeune. Mais tout le monde était tellement déçu et tellement insistant que j’ai fini par accepté et le résultat est heureusement au rendez-vous. C’est vraiment une oeuvre de divertissement pur que je dessine comme si c’était ma dernière, ce qu’elle sera sans doute vu mon âge !

Le trait d’Ikegami dans ses œuvres est caractérisé par une très grande fluidité, et d’exceptionnelles mises en pages. Quand pensez vous à cette mise en scène, et comment concevez vous vos dessins ?

Je commence toujours par lire le scénario attentivement, puis j’essaie d’imaginer l’univers du manga. Ensuite, j’imagine à quoi le scénariste pensait en l’écrivant, quel message il faisait passer. J’en fais mon interprétation propre. Pour le dessin, mon but c’est de faire en sorte que le le lecteur ne ressente pas la présence des cases, ce qui oblige à trouver des astuces pour fluidifier les planches. En fonction du contenu, d’une manière générale le plus important n’est pas de savoir bien ou mal dessiner, c’est surtout d’avoir un dessin cohérent avec le contenu, un dessin qui ait "compris" le sujet.

© Stephane Grobost

Quelle sont vos techniques de mises en couleur favorites ?

Quand j’étais jeune, sans ordinateur, on devait peindre à la main donc je suis toujours attaché à cette méthode. Maintenant avec l’outil informatique, c’est moi qui donne les bases à mes assistants et eux le font puis je rajoute à l’acrylique les détails. Car j’aime peindre, donc je tiens à le faire à la main. Et j’aime aussi qu’il reste un certain ressenti du pinceau, impossible à obtenir à l’ordinateur.

Du yakuza au politique en passant par le monde de l’argent, qu’est ce qui vous attire dans ces univers liés à la jeunesse et surtout au pouvoir ?

Ce sont des mondes où les gens se trompent ou se font tromper, mentent et se font mentir. Des univers dans lesquels une seule erreur peut coûter la vie. Je je suis très attiré par les hommes qui vivent dans ces mondes là. Cette attirance est aussi érotique pour moi, c’est pour ça que tous mes personnages sont beaux gosses. (en riant)

© Stephane Grobost

Vous avez travaillé avec beaucoup de scénaristes très connus et influents. Qu’est ce qui vous impressionne le plus chez les scénaristes avec qui vous travaillez ?

Les scénaristes sont toujours de "construction massive", ils sont robustes. Inagaki lui est très bon pour les descriptions, et dans son cas, c’est lui qui dessine les storyboards. Donc je reçois les storyboards déjà dessinés, avec beaucoup de détails déjà faits. Tsuge-sensei (Yoshiharu Tsuge, également un mentor important d’Ikegami, ndlr) disait qu’une fois qu’on a le découpage, le manga est terminé. Donc je dis à mon éditeur : "mais j’ai quoi à faire alors ?" Mais en m’y mettant je me suis rendu compte que c’était encore plus dur que de dessiner à partir du texte simple, car je dois rajouter des émotions à partir des dessins d’Inagaki. C’est très difficile de dessiner par dessus quelqu’un d’autre

Avec quel scénariste aimeriez vous ou auriez vous aimé travailler ?

À mon âge vous savez... J’ai déjà un pied dans la tombe, donc j’ai du mal à me projeter dans l’avenir. (rire)

(par Jaime Bonkowski de Passos)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Trillion Game Glénat Manga ✏️ Ryoichi Ikegami Japon Angoulême 2023
 
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4 Messages :
  • une triste édition aux parfums de BD industrielle et de militants désoeuvrés.

    Répondre à ce message

  • quel ennui
    6 février 2023 12:30, par JIPEA

    Les goûts et les couleurs...
    Après avoir vu l’exposition d’un dessinateur qui s’est battu toute sa vie pour dessiner, sans avoir les prérequis d’un Giraud, mais qui a su développer un univers tellement unique puissant, j’ai nommé Druillet, je suis descendu d’un étage voir cette expo (plus bondée que celle du co-fondateur de Métal).
    Alors, nous avons un dessin classique, presque photographique (oh la la, c’est bôôô). Mais Dieu que ces visages sont totalement inexpressifs. L’impression de voir des modèles d’affiches Gap.
    Et oui, plus c’est photographique, plus cela impressionne.
    On a le droit de préférer les peintures de Pierre-Paul Prud’hon à celles de Degas, Daumier, etc.

    Mais je vibre mille fois plus devant les erreurs de Druillet que ces personnages zombies sans âme.

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    • Répondu par Jaime Bonkowski de Passos le 6 février 2023 à  13:25 :

      Bonjour, c’est intéressant de lire un avis différent et malgré tout exprimé avec respect... Merci !

      Pour ma part, je suis touché précisémment par le caractère inexpressif de ses personnages en ce qu’ils me semblent être des représentations intemporelles, irréelles. Trop réalistes pour être vrais, ils en deviennent des archétypes et des idées figées plus que des images de BD.

      C’est en tout cas comme ça que je comprends le dessin d’Ikegami, et aussi ses obsessions pour la beauté physique, pour le corps et le mouvement, le tatouage aussi : la recherche de ce qu’il estime être une perfection, et la tentative de saisir cette perfection. Il est loin d’être le premier ni le dernier à porter cette vocation mais il le fait à sa manière, en travaillant ses propres thèmes.

      A voir aussi que son dessin est le reflet de son temps : quand il dessine Heat ou Crying Freeman, il s’inscrit dans une certaine école du manga qu’il contribue alors à définir, mais tous les auteurs n’ont pas vocation à être des briseurs de barrières et des révolutionnaires comme Druillet ! Ca ne diminue pas leurs qualités d’artiste je pense.

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      • Répondu par JIPEA le 8 février 2023 à  20:45 :

        Bonsoir,

        Je comprends votre ressenti, dans le côté "hiératique" que l’on peut trouver chez les préraphaélites par exemple. Disons que si cet artiste (avec tout son talent) était un ovni sur cette question des expressions, ok. Mais, il y a un aspect très figé souvent dans le gros de la production nippone, avec l’inverse d’ailleurs : un petit panel d’expressions qui reviennent de façon stéréotypées. C’est plus difficile qu’il n’y paraît de faire vivre un visage. Et, pour vous rassurer, je ressens exactement la même chose pour Bilal, je ne crois pas à ces personnages.
        Un bon exemple de tout ce que l’on peut faire est donné par Scott McCloud. Il faut jouer avec les mélanges.

        https://farm5.static.flickr.com/4080/4886615081_26188da907_o.jpg

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