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Angoulême 2023 : Ryōichi Ikegami, Big Boss des mangas de genre et parrain de la cinquantième édition

Par Florian Rubis le 27 janvier 2023                      Lien  
Le Festival accueille cinq mangakas renommés. Hormis Hajime Isayama, Junji Itō, et Akane Torikai, Ryōichi Ikegami et l'un de ses scénaristes, Riichirō Inagaki, participeront à diverses interventions en public. Aujourd'hui, Ryōichi Ikegami est connu, en particulier en Occident, en tant que dessinateur spécialiste des récits de genre, surtout de yakuzas. Mais s'il est effectivement issu du gekiga, « ancêtre » du seinen, le manga adulte actuel, on sait moins que le mangaka était plus proche du manga d'art et des publications underground à ses débuts...

Voici peu de temps, nous vous entretenions ici dans la rubrique Collectors de l’adoption de pratiques très artistiques par des auteurs adeptes de la notion de genre. Or, davantage que dans les autres courants majeurs de la bande dessinée, franco-belge et comics, au sein du manga, de nouveau très présent à Angoulême, celle-ci y triomphe sous des formes encore plus diversifiée qu’ailleurs.

Angoulême 2023 : Ryōichi Ikegami, Big Boss des mangas de genre et parrain de la cinquantième édition
Ryōichi Ikegami
Portrait d’un dessinateur passé maître dans l’art des mangas de genre/© 2023 DR (Courtesy of Angoulême Festival)

Né en 1944, et apparemment peu disposé à prendre sa retraite, Ryōichi Ikegami, chantre des histoires de yakuzas et tueurs à gages, voire d’escrimeurs et pratiquants d’arts martiaux, a développé depuis des décennies un style réaliste très reconnaissable. Le Festival le célèbre dans le cadre d’une grande exposition de pas moins de deux cents planches originales. Cette rétrospective est visible au Musée (de la ville) d’Angoulême.

Vue de "Ryōichi Ikegami, à corps perdus"
De nature anthologique, l’exposition renseigne aussi sur la pléthore de scénaristes de talent du dessinateur ou ses travaux au pinceau, etc./© Photo : 2023 Stéphane Grobost

On nous annonce que Ryōichi Ikegami, à corps perdus — c’est son titre — s’articule autour de la virtuosité graphique du mangaka ou son sens aigu de la composition. Son l’emploi d’un trait fouillé et expressif, sublimant les anatomies des deux sexes, conjugué à ses angles de vue choisis ou cadrages sur les visages, voire centrés ou resserrés sur les regards, à la Sergio Leone, est redoutable d’efficacité. L’exposition paraît promettre d’en rendre mesurable l’évolution « depuis ses premières publications alternatives jusqu’à ses séries récentes ». C’est bienvenu !

"Nobunaga" (1986)
Après la mort du puissant Nobunaga Oda, le Japon, dont Edo (ensuite Tōkyō) et sa région du Kantō, tombent progressivement sous la coupe de Ieyasu Tōkugawa. Demeuré patiemment en retrait du premier, le second est le fondateur d’une nouvelle dynastie shōgunale après Sekigahara (1600).../© 1987 Kazuya Kudō, Ryōichi Ikegami & Shōgakukan
"Sanctuary" : affiche de l’exposition (extrait)
...Suite à cette bataille décisive, beaucoup de samouraïs sans maître (rōnins) du camp perdant s’acoquinent notamment avec des joueurs professionnels, itinérants vivant dans les marges eux aussi. Puis ils jettent leur dévolu sur la nouvelle capitale Edo, le Kantō et d’autres parties de l’Archipel comme la région d’Ōsaka-Kobe. Ils forment de puissantes organisations trafiquantes de yakusas, se préoccupant fréquemment de politique. Parmi leurs codes et autres "rites", dont le Japon en général est friand, le tatouage.../© SANCTUARY [WIDEBAN] © 1999 Shō FUMIMURA, Ryōichi IKEGAMI/SHŌGAKUKAN

Car il faut dire que les qualités du dessinateur ont commencé à poindre dès ses débuts, très tôt, en 1961. Il fait son apprentissage du métier en fournissant le réseau des librairies de prêt (kashi-hon) où l’on louait des mangas à prix modique. En 1966, il est publié dans le magazine d’avant-garde Garō, créé en 1964, dans le sillage de grands noms du gekiga tels Kazuo Koike ou Shigeru Mizuki. Ryōichi Ikegami devient un temps son assistant, dans un style donc différent du sien maintenant. Sa participation à cette publication lui permet de côtoyer Yoshiharu Tsuge, pionnier de l’autobiographie en manga, le watakushi manga.

Pourtant, Ryōichi Ikegami va ensuite s’orienter vers des registres plus grand public, collaborant avec des scénaristes capés, pour se concentrer sur le dessin. Malgré cela, il va réussir à imprimer sa marque, s’autorisant en véritable gekigaka à représenter la violence et le sexe de façon à la fois crue et mature, sinon stylisée, sans se censurer.

Spider-Man en version manga (1970)
Yu Komori remplace Peter Parker comme alter ego de Spidey. Dans les premiers épisodes on retrouve ses antagonistes habituels, tel le Lézard. Après, les histoires se font plus matures et violentes. Las, Marvel interrompit cette expérience au Japon pour cause de peu de succès. Mais, depuis, il a intégré la Spider-Army et le Multiverse de Marvel !/© 1970-1971 Kōsei Ono, Kazumasa Hirai, Ryōichi Ikegami, Kōdansha ("Monthly Shōnen Magazine") & Marvel
"Sanctuary" : couverture du T. 1
Réédition actuelle chez Glénat/© SANCTUARY [WIDEBAN] © 1999 Shō FUMIMURA, Ryōichi IKEGAMI/SHŌGAKUKAN

Cette transition se concrétise déjà pendant qu’il illustre les aventures en manga de Spider-Man (avec Kōsei Ono et Kazumasa Hirai, 1970-1971), y apportant sa touche personnelle. Au départ, ce fut un échec commercial, avant diverses rééditions lorsque sa notoriété fut bien établie. Puisque sa carrière prend réellement son essor au Japon grâce à Aiueo Boy (avec Kazuo Koike, 1973).

Puis, comme dans Dōmu (Rêves d’enfants) et Akira de Katsuhiro Ōtomo, l’influence des mutants de Marvel — manifestement de Strange Girl, la Jean Grey des X-Men, Marvel Girl en VO et future Phénix — semble persister dans Mai, the Psychic Girl (avec Kazuya Kudō, 1985-1986). Elle est mêlée à une préfiguration/variante d’histoires de rivalités entre familles de yakusas. C’est la traduction en anglais et en français de cette série qui va se révéler décisive pour mieux faire connaître le mangaka en Occident, cette reconnaissance à l’étranger survenant alors des deux côtés de l’Atlantique.

Sans surprise, un autre axe de l’exposition à son sujet doit traiter des succès enchaînés depuis les années 1980, ceux pour lesquels il a été pas mal publié en français. Ainsi, citons d’abord l’incontournable Sanctuary, (avec Shō Fumimura), série datant à l’origine de 1990 à 1995, dont une réédition soignée est en cours chez Glénat.

L’exposition devrait intégrer encore Strain ou la série lauréate d’un Shogakukan Manga Award Heat (avec Buronson). Ce dernier est aussi le scénariste de Ken le Survivant. En fait, il s’agit d’un autre pseudonyme de Shō Fumimura, de son vrai nom Yoshiyuki Okamura).

"Sanctuary" : le duo de protagonistes
Quand un duo de survivants d’un enfer cherche à supplanter les vieux parrains (oyabun) d’organisations de yakuzas et des politiciens nippons vermoulus et corrompus.../© SANCTUARY [WIDEBAN] © 1999 Shō FUMIMURA, Ryōichi IKEGAMI/SHŌGAKUKAN
"Sanctuary" : l’un endosse le costume du parrain, l’autre du politicien (ou l’inverse ?...)
Si la coupe du costume aussi a un peu vieilli, en revanche l’intrigue taillée sur mesure pour Ryōichi Ikegami par Shō Fumimura demeure hyper-efficace.../© SANCTUARY [WIDEBAN] © 1999 Shō FUMIMURA, Ryōichi IKEGAMI/SHŌGAKUKAN
"Crying Freeman"
Affiche du film/© 1995 Christophe Gans & Metropolitan Filmexport

Autrement, après Wounded Man, Ryōichi Ikegami illustre le fameux Crying Freeman (avec Kazuo Koike, mentionné plus haut), objet d’une fort honorable adaptation filmique par Christophe Gans (1995). En grand amateur de films de yakusas — longtemps un des genres dominants du cinéma nippon —, il ne trahit pas non plus le manga. Pour mémoire, Un potier japonais qui voyage beaucoup, couverture idéale, est piégé par une triade chinoise. Tueur, à la larme néanmoins irrépressible quand il commet ses forfaits (!), il doit échapper à cette encombrante tutelle, ainsi qu’à la police et aux gangs nippons en rivalité avec la commanditaire forcée du personnage principal.

Seront évoqués également lors de la rétrospective des titres tels Otoko gumi (avec Tetsu Kariya) jusqu’au très récent Trillion Game (avec Riichirō Inagaki). Celui-ci est aussi le scénariste d’Eyeshield 21 (dessiné par Yusuke Murata, One-Punch Man) ou de Dr. Stone (avec le mangaka d’origine coréenne Boichi). Il est prévu que l’auteur participe à une rencontre sur la scène de Manga City, l’après-midi du vendredi 27 janvier, ainsi qu’à une séance de dédicaces sur le stand de l’éditeur Glénat.

"Trillion Game" : couverture du T. 1 traduit chez Glénat
Banco ! La série met encore en avant un duo de protagonistes, recette ayant fait le succès de Ryōichi Ikegami.../TRILLION GAME © 2021 Riichirō INAGAKI, Ryōichi IKEGAMI/SHŌGAKUKAN
"Trillion Game" : une planche
...Sauf que cette fois, l’association du duo est pimentée par l’adjonction d’une richissime et surprenante troisième protagoniste.../TRILLION GAME © 2021 Riichirō INAGAKI, Ryōichi IKEGAMI/SHŌGAKUKAN

Sinon, pour quelques rares festivaliers vrais fans de mangas et privilégiés, la master class avec Ryōichi Ikegami annoncée pour le même jour dans l’après-midi au Théâtre de la Ville d’Angoulême devrait constituer un moment unique (voir les conditions d’accès plus bas). Ceux sur place qui ne pourront y assister auront donc toujours la possibilité de visiter l’exposition sur le mangaka. Les non-festivaliers se rabattront à défaut sur son catalogue. S’il en reste...

Voir en ligne : Ryōichi Ikegami (site en japonais)

(par Florian Rubis)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782344052556

En médaillon de l’article : un extrait de "Sanctuary" T.1/© SANCTUARY [WIDEBAN] © 1999 Shō FUMIMURA, Ryōichi IKEGAMI / SHOGAKUKAN

EXPOSITION "RYŌICHI IKEGAMI, À CORPS PERDUS"
Musée d’Angoulême
Du 26 janvier au 12 mars 2023
https://www.bdangouleme.com/ryoichi-ikegami-a-corps-perdus
Commissaires : Léopold Dahan et Xavier Guilbert
Scénographe : Roman Gigou & Marine Brunet
Production : FIBD/9eArt+
Un catalogue d’exposition devrait être disponible durant le Festival, puis sur son site internet (nous n’avons pu le consulter avant la mise en ligne de cet article).

MASTER CLASS RYŌICHI IKEGAMI
Vendredi 27 janvier - 14h00
Théâtre de la Ville d’Angoulême
Sur réservation uniquement - dans la limite des places disponibles
https://www.bdangouleme.com/masterclass-dikegami

RENCONTRE AVEC RIICHIRŌ INAGAKI
Vendredi 27 janvier - 16h15
Manga City

Remerciements à Stéphane Grobost

"Sanctuary" - Perfect Edition T. 3 – Par Shō Fumimura & Ryōichi Ikegami - Glénat – 14, 95 €

Sanctuary ✍ Kazuo Koïke ✍ Buronson ✏️ Ryoichi Ikegami Action Policier, Thriller Arts martiaux, Combats Angoulême 2023
 
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