Animan - par Anouk Ricard - Éd. Exemplaire

Un récit du mélange des genres : super-héros, polar, humour et tranche de vie

Animan relate les aventures d’un homme chauve et moustachu qui partage sa vie avec une grenouille anthropomorphe. Son nom ? Francis. Son pouvoir ? Se transformer en animal de son choix. Ce talent, il s’en sert pour son métier - vétérinaire - et aide à la résolution d’enquêtes criminelles.

Dans cet univers coloré où tout semble aseptisé, Animan dissimule à sa grenouille de compagne, Fabienne, sa véritable identité. Identité sous laquelle il doit affronter son pire ennemi : Objecto. Son pouvoir ? Se métamorphoser en l’objet de son choix. Leurs oppositions, qui rythment le récit, laissent de temps à autre la place à des planches du quotidien de Francis et Fabienne. Des moments légers, drôles, presque poétiques.

La première planche de l’album et la courte histoire qui a donné envie à Anouk Ricard d’exploiter toute le potentiel de l’idée d’Animan © Éditions Exemplaire

Un graphisme de la naïveté dynamité façon puzzle par la narration

Anouk Ricard est une artiste aux multiples talents. Si sa carrière l’a conduite à explorer l’illustration et à être cantonnée des années durant aux œuvres enfantines, la décennie passée tend, non pas à lui faire rebrousser chemin pour une carrière adulte, mais à lui proposer des chemins de traverse. Un pont entre les deux mondes.

Sa force réside dans un graphisme faussement naïf. Avec ses aplats de couleur vifs et ses héros "gentillets" qui donnent à imaginer un monde lisse et sans aspérité, Anouk Ricard élabore des scenarii qui piétinent nos apriori. Elle fait du prétendu adulte avec du prétendu enfantin.

Animan aborde des sujets aussi divers que le harcèlement, le rapport à l’altérité, le meurtre, la vengeance ou l’amour. On pourrait s’attendre à ce que toutes ces thématiques soient moins graves au prisme de son graphisme. Certes, dans un premier temps, cela engourdit notre ressenti. Puis notre vision graphique enfantine s’électrise, violentée par la monstruosité des situations. Ce va-et-vient entre le fond et la forme est une belle réussite que l’on retrouve dans plusieurs de ses bandes dessinées.

Strip d’Anouk Ricard pour le crowdfunding d’Animan © Éditions Exemplaire

L’aventure du crowdfunding chez les éditions Exemplaire et Instagram

Pour Animan, Anouk Ricard a opté pour les éditions Exemplaire. Une structure éditoriale fondée par Lisa Mandel qui mise sur une autre répartition des revenus, notamment en faveur des auteurs, et des tâches éditoriales que dans l’édition classique. Au départ, Anouk Ricard s’inspire de Manimal, série télévisée états-unienne qu’elle affectionne, et réalise des illustrations numériques qu’elle publie sur Instagram. Elle a pour cela imaginé un Gérard Jugnot de papier. En septembre 2021, sur le réseau social, pour la première fois, le personnage apparaît sous le nom d’Animan. Puis un crowdfunding est annoncé. Pour l’occasion, elle élabore une vidéo humoristique - on ne se refait pas ! - avec une marionnette qui présente le projet et les contreparties.

© Éditions Gallimard dans la collection Bayou

Une autrice-amirale du vaisseau de la bande dessinée indépendante et originale

Si Anouk Ricard a évidemment travaillé pour de grandes maisons d’édition, une part conséquente de son travail est publiée par l’édition alternative. Des éditions Cornélius aux éditions Sarbacane, en passant par les éditions 2024 ou l’Articho. Elle sera par ailleurs présente au Festival d’Angoulême 2023 sur le stand des éditions 2024.

Cette carrière dans l’absurde et du pas de côté a donné lieu, en 2006, à quelques trouvailles pour la série animée Avez-vous déjà vu ... ? où la narration est assurée par l’acteur Alain Chabat. A ses côtés, on trouve des noms de la bande dessinée actuelle comme Chloé Cruchaudet à l’animation ou Fabien Vehlmann au scénario. Toujours dans l’animation, elle réalise, en 2007, un court-métrage Anna et Froga (tirée de sa série éponyme de bandes dessinées) sous la forme du stop-motion. En 2021, France Télévisions tire de cette série 78 épisodes en 3D sous le titre Anna et ses amis.

© Éditions Sarbacane

En 2008, elle publie sa première bande dessinée cataloguée adulte : Commissaire Toumi : le crime était presque pas fait. Le titre donne le ton. Une parodie de polar aux dialogues décalés. En 2011, Anouk Ricard publie Coucous Bouzon aux éditions Gallimard dans la collection Bayou (dirigée par Joann Sfar). Un succès multi-primé. Elle y aborde le monde de l’entreprise de manière satirique. Une galerie de personnages barges où l’humour extravagant a une fois encore le rôle principal.

En 2013, elle publie Planplan culcul aux éditions Les Requins Marteaux, dans la collection BDcul. In fine, une bande dessinée pornographique hilarante qui nous explose à la gueule avec humour, non-sens et beaucoup d’audace. Comment produire autant de scènes hallucinantes de dégueu et de loufoqueries avec un dessin aussi "inoffensif" ? Un incontournable de la collection.

Cet esprit si particulier et fertile a été récompensé par le Prix Schlingo pour l’ensemble de son oeuvre d’alors, en 2018. Et si Angoulême la gratifiait d’une nouvelle récompense ?

La série télévisée à laquelle Anouk Ricard rend hommage avec Animan