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Aniss El Hamouri : « "Ils Brûlent" est une réflexion sur la marginalité [INTERVIEW] »

Par Marlene AGIUS le 15 octobre 2022                      Lien  
Cinq ans après "Comme un frisson", paru chez Vide Cocagne, Aniss El Hamouri revient avec "Ils Brûlent'' publié par 6 Pieds Sous Terre : c'est le premier tome d'une série de Dark Fantasy mystico-poétique, existentialiste (oui), qui pique les yeux (dans le bon sens) et plutôt effrayante (aussi dans le bon sens).

Initialement publié en trois fanzines de 32 pages chacun - CENDRES, RIVIÈRE, et BLESSURE, entre 2019 et 2020 aux Ateliers du Toner, Aniss El Hamouri entreprit de continuer cette histoire médiévale sur un format plus long - 216 pages pour être exact.

L’histoire, c’est celle de Georg, Ongle, et Pluie, trois personnages qui fuient un monde médiéval qui les taraudent, et pour cause : Ongle et Pluie sont accusées d’être des sorcières.

C’est dans la forêt qu’ils se cachent du Mage, un inquisiteur implacable. Mais comment passer sa vie à fuir ? Dans une quête initiatique mêlée à des pouvoirs extraordinaires se forme une complicité piquée au vif. Incapables d’expliquer qui ils sont, les trois personnages se lancent dans une errance à travers le pays et leurs identités.

Voilà comment nous serions tentés de décrire la saga qui vient. Mais laissons plutôt la parole à celui qui nous a accordé une interview le mois dernier à Bruxelles, avec un masque Naruto en carton sur la tête et à côté d’un ballon Ducobu géant, à l’occasion du BD Comic Strip Festival.

Aniss El Hamouri : « "Ils Brûlent" est une réflexion sur la marginalité [INTERVIEW] »
Aniss El Hamouri - Il Brûlent © 6 Pieds Sous Terre

Vous avez planifié l’histoire en trois tomes. Savez-vous déjà ce qu’il va se passer à la fin du troisième ?

L’histoire m’est venue comme la saga entière. Mais comme beaucoup d’autres projets auxquels j’ai pensé pendant mes études, qui entretemps ont muté, se sont fondus avec d’autres, que j’ai remodelé ou dont j’ai gardé seulement quelques éléments, celui-ci a évolué au cours du temps.

Ici, j’ai vraiment ressenti que j’ai clos le parcours que je voulais traiter dans ce tome. Dans ce premier arc narratif, ce qui est en jeu, c’est l’humanité. Ce sont ces personnages qui essayent de s’extirper de la condition dans laquelle on les a mises, deux qui sont aidées par un troisième très pur et candide, Georg, le seul acteur de cette condition humaine.

Aniss El Hamouri - Ils Brûlent © 6 Pieds Sous Terre

Vous avez commencé par publier le début de l’histoire en trois fanzines chez Brumeville, maison de micro-édition dans laquelle vous vous auto-éditez. Pourquoi avoir commencé par ce format ?

Ce projet m’a posé problème parce que j’avais très envie de le mener à terme, mais il demandait une organisation colossale - combien de pages, d’épisodes ? Il m’a fallu commencer par le mettre en forme. Ça m’a aidé à enlever cette première frayeur de débuter quelque chose.

J’avais peur que l’intention ne soit pas comprise. C’est un livre de fantasy médiévale - mais j’appréhendais qu’on rejette le projet pour les mauvaises raisons, ou qu’on l’accepte pour les mauvaises raisons. Qu’on le rejette en pensant que c’est simplement une aventure grand public à la Last Man. Je savais bien que je voulais traiter d’une forme de mystique existentialiste, puis de l’amitié, la thématique qui s’est la plus imposée.

C’est un raisonnement sur la marginalité : comment faire face à une société qui souhaite ta mort ? Alors en entamant le début de l’histoire, je me défiais de ceux qui allaient trouver le projet trop « pop ». C’était de la matière à montrer pour imposer mon style.

Aniss El Hamouri - Ils Brûlent © 6 Pieds Sous Terre

Dans le thème de la marginalité, on pense à votre premier album "Comme un frisson". Est-ce que ce projet là vous a mené à celui-ci ?

Comme un frisson est très en écho. J’ai eu l’idée et l’envie d’écrire Ils Brûlent après Comme un frisson. Il s’agit aussi d’un trio de personnages, mais qui souhaitent et romantisent leur marginalité. Ici, ils la subissent. C’était compliqué d’aborder ce sujet de manière contemporaine, je ne me serais pas senti à ma place ; j’ai préféré le thème médiéval.

Alors, d’où vous est venue l’idée ?

La motivation m’est venue du jeu de rôle Donjons et Dragons. J’ai découvert le jeu assez tardivement. On m’a expliqué la différence, par exemple, entre un sorcier et un mage : le mage a besoin d’objets extérieurs pour canaliser sa magie, de manière érudite. Le sorcier a de la magie à l’intérieur de lui et peut la manifester de façon impulsive. Pendant ce jeu, j’avais eu le rôle du personnage qui est devenu celui de Gris dans le livre.

Aniss El Hamouri - Ils Brûlent © 6 Pieds Sous Terre

Pourquoi avoir choisi ce titre ? Pourquoi l’avoir genré au masculin ?

La première version du titre était « Ils nous nomment sorciers ». C’était trop explicite, car j’aime bien la montée en tension dans l’intro du livre. "Sorcière" est un mot lourd de sens ces derniers temps, mais je ne me sens pas légitime à en revendiquer l’aspect militant. Si des gens peuvent y reconnaitre leurs valeurs militantes, j’en suis ravi ; mais je voulais surtout créer un univers où le terme "sorcier" définit des personnes diaboliques, un ennemi défini par rien d’autre que le fait qu’il ou elle soit sorcier.

Aniss El Hamouri - Ils Brûlent © 6 Pieds Sous Terre

Comme cité dans la Bible : « Tu ne laisseras point vivre la sorcière ». J’ai aussi jeté un œil sur le Malleus Maleficarum, le manuel de la chasse aux sorcières des premiers inquisiteurs, sur la façon de reconnaître et punir les sorciers. Il y a beaucoup de documentation très dense, mais je ne voulais pas me positionner non plus comme historien. Je me suis surtout inspiré de cet héritage pour créer un univers parallèle. Les sorcières ne représentent rien en soi, je vis ce récit au premier degré.

Quelque part Georg devient un sorcier simplement parce qu’il vit en dehors de la société. Dans le titre, on peut se demander si le verbe est passif ou actif : qui brûle ? Ceux qui mettent le feu ou ceux qui le subissent ?

Aniss El Hamouri - Ils Brûlent © 6 Pieds Sous Terre

Avec une bichromie impactante, Aniss El Hamouri offre une réflexion sur la proscription, l’entraide, la guérison, et la force d’une puissante insaisissable.

Difficile d’en dégager un thème unique. Il s’agit d’échapper aux lois du monde ; c’est une histoire d’amitié, mais pas un monde où seule l’amitié peut changer les choses. En attendant le deuxième tome prévu à l’automne 2023, et par la même occasion la réédition de Comme un frisson prévue chez 6 Pieds Sous Terre, on se contentera de ceci : c’est une histoire de survie.

(par Marlene AGIUS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782352121787

Ils brûlent. Volume 1 : Cendre et Rivière - Par Aniss El Hamouri - 6 Pieds sous terre - 18,5 x 26 cm - 216 pages en bichromie - couverture souple avec rabats - parution le 20 octobre 2022 - 20 €.

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6 Pieds sous terre ✏️ Aniss El Hamouri à partir de 13 ans Féminisme Aventure Fantastique France
 
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2 Messages :
  • Ils bullent
    23 juillet 2023 07:33, par Cazo

    J’ai acheté cette bd sur les conseils d’un ami mais j’ai été considérable déçu. Je n’ai pas ri une seule fois pourtant c’est la même maison d’édition que fabcaro. l’humour y est beaucoup trop niche (par exemple j’ai toujours pas compris la blague avec le nom des persos) et le trait pas assez "cartoon". C’est d’autant plus frustrant quand on sait que l’auteur vient du milieu de l’improv je m’attendais à plus de blagues genre 1 par planche (min) et à une plume plus riche.
    Du côté du dessin la couleur à l’air pas terminée et il y a beaucoup trop de traits. L’ auteur devrait relire les classiques de la bande dessinée franco-belge et regarder comment en 1 trait ces grands maîtres arrivent parfois à une éloquence que d’autres seraient bien incapable d’atteindre avec mille barbouilages.
    Si vous aimez ce style de bd, je recommande plutôt Thomas Gilbert qui est beaucoup plus drôle.

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