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Antonio Lapone : Un Italien féru d’École belge

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 juillet 2012                      Lien  
À la Renaissance, les peintres flamands venaient en Italie pour apprendre la perspective et les mystères de la peinture à l’œuf. Au Vingtième Siècle, un dessinateur italien, Antonio lapone, est venu habiter la Belgique pour mieux appréhender les mystères de l’École belge. Il expose en septembre prochain à la Galerie Champaka.
Antonio Lapone : Un Italien féru d'École belge
Illustration pour Playbou
(c) Antonio Lapone

Antonio Lapone est né le 24 octobre 1970 à Turin, en Italie. Devant ses dispositions pour le dessin, son père, employé à la FIAT de Turin, favorise un parcours scolaire qui le mène à faire des études de graphisme publicitaire. Son premier choc pour la BD, il le rencontre en découvrant Thor, le super-héros de Stan Lee et Jack Kirby. Ce dessinateur devient sa référence. Il enchaîne avec Kamandi et les nombreuses autres créations du « King of Comics » : les X-Men, Spider-Man, Hulk… Mais quand il dessina pour lui, il ne va pas spontanément vers des personnages testostéronisés, pleins de muscles, mais plutôt vers des personnages lisses et mignons, comme les publicitaires en aiment !

Après cinq années d’étude, il sort avec un diplôme en poche et se fait engager dans une agence qui dessine des manuels de pilotage pour hélicoptères Agusta destinés aux carabinieri, la police italienne !

Il se retrouve ensuite engagé dans une agence de publicité qui travaille pour les voitures Lamborghini. Il en redessine légèrement le logo, mais c’est évidemment à l’agence de s’en attribuer toute la paternité. Ses affaires marchent plutôt bien dans le monde du graphisme publicitaire, mais il n’aime pas ce milieu très compétitif où l’on doit être prêt à tuer père et mère pour réussir. Il décide de passer à mi-temps pour dessiner… de la BD, sa véritable passion. C’est l’époque où il rencontre Gianfranco Goria, avec qui il fonde Anonima Fumetti, à l’origine de la principale agence d’information sur la BD en Italie, Af News. Mais ses projets de BD restent sans lendemain car il n’a pas encore trouvé son style.

Antonio Lapone devant un portrait d’Yves Chaland par Ted Benoit
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Chaland, le choc

En décembre 1996, il découvre, vendue en solde, la version italienne du Cimetière des éléphants de Yves Chaland aux éditions Telemaco, l’éditeur de la BD Underground des années 1980. C’est une choc esthétique de première importance qui décide de son style. Il l’utilise d’abord dans des illustrations puis il entame une ébauche de bande dessinée, Daisy Blonde, et s’en va avec elle à Angoulême, La Mecque de la BD francophone. Avec lui, il y a Barbucci et Canepa qui vont aller présenter Skydoll chez Soleil avec le succès qu’on connaît. Il rencontre François Le Bescond chez Dargaud et l’éditeur suisse Pierre Paquet. Le premier ne tarit pas d’éloges dans La Lettre de Dargaud, mais c’est le deuxième qui publiera le jeune dessinateur italien.

Lors de son séjour en France, Lapone gagne un concours à la FNAC qui lui offre la possibilité de recevoir gratuitement 10 BD de polar. Quelques temps plus tard, il reçoit de Dargaud une lettre qui lui réclame un projet. Or, il n’a rien d’abouti à proposer ! Le même jour, Pierre Paquet l’appelle. Il l’invite à venir à Genève pour signer un contrat. Lapone va au plus vite, il part pour la Suisse. Il n’a pas de projet ? Ce n’est pas grave ! Paquet le met en contact avec un scénariste et, roulez jeunesse ! Lapone appelle aussitôt Dargaud pour s’excuser d’avoir commencé un projet chez Paquet...

Croquis
(c) Antonio Lapone

Débuts

Antonio Lapone y crée sa première BD : A.D.A [Antique Detective Agency] (2001, scénario de Pierre Vanloffelt). Son dessin a un goût assumé de « déjà vu », cette fameuse « Ligne Claire » inventée par Joost Swarte et dont Ted Benoît, Floc’h et Chaland, amoureux des années cinquante, avaient été les chefs de file en France.

Accords sensibles aux éditions Treize Etrange

Les enquêteurs de Lapone sont des cousins proches de Bob Fish et de Phil Perfect, les détectives de Chaland et de Serge Clerc. L’effet d’école est saisissant et ce travail montre l’importance du rayonnement de ce mouvement, synthèse entre l’école de Bruxelles et de Marcinelle, qui va de la Hollande (Henk Kuijpers, Hanco Kolk) à l’Espagne (Daniel Torrès), de l’Autriche (Chris Scheuer) à l’Angleterre (Rian Hugues), jusqu’au Canada (Paul Rivoche), même si, fondamentalement, la référence au roman noir passe d’abord pour Lapone par sa parodie italienne créée par Silver : Lupo Alberto.

Avant le deuxième tome de A.D.A. (scénario de Régis Hautière, 2006) , il multiplie les travaux publicitaires, les illustrations, ainsi qu’une collaboration pour Nocturne sur un ouvrage consacré aux Platters. Il sera bientôt suivi d’un Stravinsky.

Rainy Days (2012) aux éditions Beaulet

Au Festival d’Amiens, il rencontre Frédéric Mangé, l’éditeur de Treize Étrange qui lui exprime son désir de travailler avec lui. Mais Antonio a peur de ne pas pouvoir assumer tous ses engagements en même temps, il temporise. «  Une erreur » reconnaît-il aujourd’hui. Le contrat finit par être signé dans le cadre des éditions Milan dont Treize Étrange est une filiale. Le jour suivant, son éditeur est viré pour des raisons qu’il ignore. Son contrat n’a duré qu’une journée ! Heureusement, le label est racheté par Glénat six mois plus tard et le projet peut repartir. C’est Accords sensibles (Sc. Régis Hautière, Treize Étrange.)

Ce sont quatre personnages de passage à Bruxelles, pendant l’Exposition universelle de 1958. Ils seront bouleversés par un élément a priori insignifiant mais dont les conséquences sur leur vie sera déterminante. « C’est un récit intimiste, une histoire d’amour. Avec A.D.A., j’étais dans l’aventure. Ici, c’est l’idée d’un récit calme, un week-end à la campagne. »

Durant une bonne partie de l’année 2009, les travaux de Lapone ont été exposés dans l’Atomium, aux côtés des planches de ses idoles : Serge Clerc, François Avril, Joost Swarte, Ever Meulen, etc. qu’il rencontre à cette occasion. «  Je me suis senti comme un curé qui rencontre le Saint-Père au Vatican ! Ma bibliothèque était devenue réelle. Je discutais avec Joost Swarte, Ever Meulen, Serge Clerc… Je n’ai jamais pris de drogues, mais c’est comme si j’avais pris de la cocaïne, j’avais des hallucinations ! C’est une soirée dont je me rappellerai toute ma vie ! »

Extrait de Sentiers Nocturnes - Editions de la Galerie Champaka
(C) Antonio Lapone
Les Sentiers Nocturnes, catalogue en vente à la Galerie Champaka et dans quelques bonnes librairies de BD

Il participe aussi en 2011 à l’aventure novatrice des Autres Gens, la Novella numérique de Thomas Cadène.

Entre-temps, son amour pour la Belgique ne se contente pas de ces atomes crochus : il rencontre une ravissante dessinatrice wallonne, Virginie Vertonghen (La Vavache, chez Dupuis) et il se fixe dans le Plat Pays. Est-ce ce nouveau tropisme qui inspire le petit ouvrage paru pour Angoulême, Rainy Days, chez Alain Beaulet (2012), où le trait rend hommage à des illustrateurs de l’école française des années 1930 comme Gus Bofa ou Chas Laborde ? C’est possible.

Sa dernière publication, Sentiers nocturnes, il la fait sous le label de la Galerie Champaka. On y retrouve ses élégantes sur fond de croisillons à la Will Eisner rythmés par de hautes constructions tout droit issues de l’École de Chicago.

Ces ravissantes évoluent, langoureuses, sur de lentes mélopées jazzy aux bras de quelque mâle anonyme. Ces dessins scintillants où tout n’est que luxe et volupté semblent illustrer cette sentence de Liz Taylor : «  Il n’y a pas que l’argent dans la vie, il y a aussi les fourrures et les bijoux. »

Un hommage à Spirou par Antonio Lapone
(c) Antonio Lapone / Dupuis

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Exposition Sentiers nocturnes chez Champaka à Bruxelles du 5 au 29 septembre 2012. 90% des dessins du catalogue seront exposés à cette occasion.

Galerie Champaka, 27 rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles. Infos sur le site de la galerie

Le site d’Antonio Lapone

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