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Archi & BD, le mariage heureux du 1er et du 9e art

Par Thierry Lemaire le 11 juin 2010                      Lien  
Avec "Archi & BD, la ville dessinée", à la Cité de l’architecture & du patrimoine de Paris, l’exposition de bande dessinée prend une nouvelle dimension.

C’est dans les sujets transversaux qu’on fait les meilleures expos. L’adage (très certainement apocryphe) est bien connu des musées. Présenter l’architecture à travers la bande dessinée - ou peut-être est-ce le contraire ? - est donc une riche idée. Riche à plus d’un titre. D’abord, et c’est ce qui vient immédiatement à l’esprit, parce que depuis l’aube du 9e art, les exemples abondent d’éléments architecturaux représentés dans les cases des récits séquentiels. Pas besoin d’interroger sa mémoire bien longtemps pour voir apparaître ici un bâtiment ou un monument, là une ville imaginaire ou au contraire bien réelle, tirés de ses albums préférés.

Archi & BD, le mariage heureux du 1er et du 9e art
A l’entrée de l’exposition, à l’imitation de l’exposition "Regards croisés de la BD belge" de Bruxelles, une longue frise résume l’histoire de la BD, ici mise en relation avec les évènements culturels et architecturaux. Elle est dessinée par François Olislaeger qui pose ici devant son oeuvre.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Mais les parallèles ou les croisements entre architecture et bande dessinée sont bien plus profonds qu’il n’y paraît. Le rapport au dessin est en effet fondamental pour les deux arts, le côté visionnaire est commun aux plus talentueux de leurs représentants, sans parler des architectes qui ont utilisé la BD pour transmettre leurs idées et des dessinateurs qui ont construit leur planche comme on dessine une façade en élévation. Bref, nous voila rassurés. Convoquer la bande dessinée dans la Cité de l’architecture et du patrimoine n’est pas qu’un prétexte pour attirer les enfants et le grand public dans les galeries du Palais de Chaillot.

Francis Rambert, associé à Jean-Marc Thévenet au commissariat de l’expo, raconte l’architecture de New-York peuplée de super-héros
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

On peut alors se demander comment Jean-Marc Thévenet et Francis Rambert, les deux commissaires de l’exposition, s’y sont pris pour structurer une telle entreprise. Et bien le résultat est à la fois intelligent et astucieux.

Trois parties chronologiques (chacune représentée par une ville emblématique : New York, Paris, Tokyo) sont en effet scindées de façon thématique. Le tout forme une articulation parfaitement claire et d’une grande cohérence.
Le visiteur commence ainsi par la première moitié du XXe siècle, dominé par la figure écrasante de Winsor McCay. À la suite du créateur de Little Nemo, la représentation de New York est pléthorique. Jusqu’à la parodie des mégapoles fictionnelles, créées sur le modèle de la grosse pomme, où évoluent les super-héros (suivez mon regard vers Metropolis et Gotham City).

Après-Guerre, la notion de progrès fait perdre tout sens commun aux sociétés occidentales. C’est le sujet de la deuxième partie d’Archi & BD qui s’ouvre sur l’exposition universelle de 1958, âge d’or de l’école belge. On y parle bien sûr de la ligne claire et du style atome. On y évoque également le temps des utopies urbaines. Et on se promène dans les rues de Paris d’hier (Tardi, Eisner) ou d’aujourd’hui (Dupuy & Berberian, Peeters).

Mais tout a une fin. Le temps du progrès tout puissant et des utopies étant révolu, le visiteur passe dans la troisième partie de l’exposition consacrée au spectacle de la ville, sur un mode plus intime. Les carnets de voyage emmènent leurs auteurs vers des destinations plus exotiques pour nous autres, Européens. C’est notamment le Japon qui prend son envol et Tokyo qui se laisse découvrir.

Lors de l’inauguration de l’expo, Zep, le créateur de Titeuf, admire les illustrateurs du Style Atome
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
L’Atomium marque la section où l’on retrouve la plupart des grands auteurs de l’école belge.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
En précurseur de l’écologie, Jean-Marc Reiser commentait les utopies de l’architecte Guy Rottier en 1980
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Et puisqu’il faut bien une quatrième partie à une structure en triptyque, l’espace final fait de petites alcôves présente des initiatives qui mêlent architecture et bande dessinée d’une autre manière. Le musée Hergé de Louvain, le projet Villemole des Requins Marteaux, la Maison de verre de Pierre Chareau dessinée par Loustal, Götting, Juillard et Ted Benoît, et La Ville Rouge de Michaël Matthys en sont quelques exemples.

Ajoutons que pour appuyer leur propos du dialogue à double sens entre architecture et bande dessinée, Jean-Marc Thévenet et Francis Rambert ont disséminé entre les œuvres de dessinateurs un certain nombre de dessins d’architectes. Et le visiteur distrait sortira peut-être de l’exposition en voulant acheter une BD de Mies van der Rohe ou d’Auguste Perret tant leurs réalisations se fondent dans le corpus des 350 œuvres exposées.

Un corpus s’intégrant dans une scénographie qui évite l’écueil trop souvent rencontré de la succession monotone de planches originales. Certes, le choix d’un sujet transversal implique une grande diversité d’auteurs et de styles. Mais d’une part, l’espace d’exposition a été conçu comme un long couloir aux parois irrégulières, opaques, éclairées par le haut et l’arrière. Et d’autre part, les œuvres alternent entre des planches au format, des croquis, des agrandissement de cases et de pages et des maquettes. Le tout donne à l’ensemble une variété et un rythme qui accompagne agréablement le visiteur.

"A Short History of America" (Une histoire brève de l’Amérique) de Robert Crumb
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Le Paris de Tardi est bien évidemment convoqué.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Cette exposition adopte donc le principe révolutionnaire du gagnant-gagnant-gagnant. Elle montre, s’il en était encore besoin, que le medium de la bande dessinée peut s’emparer avec intelligence et transcender n’importe quel sujet, ici l’architecture. En même temps qu’elle confirme, par un effet de miroir, que l’architecture a un rôle fondamental dans la société tellement elle façonne le quotidien et l’imaginaire collectif. Et qu’elle propose au visiteur un parcours enrichissant, ponctué de mises en perspectives et de pistes de réflexion. Sans aucun doute un exemple à suivre, voire un mètre étalon, pour les futures expositions de bande dessinée.

(par Thierry Lemaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire aussi l’interview de Jean-Marc Thévenet, l’un des deux commissaires de l’exposition.

"Archi & BD, la ville dessinée"
Cité de l’architecture & du patrimoine
Palais de Chaillot
1 place du Trocadéro, 75016 Paris
jusqu’au 28 novembre 2010

 
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