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Art Spiegelman, Chevalier des Arts et des Lettres

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 30 janvier 2005                      Lien  
Vendredi 28 janvier 2005, à l'occasion du Festival de la BD d'Angoulême, Art Spiegelman a reçu l'insigne de Chevalier dans l'Ordre des Arts et des Lettres des mains du ministre de la culture, M. Renaud Donnedieu de Vabres. L'auteur de {Maus} est distingué au moment où l'on célèbre les 60 ans d'Auschwitz.

C’est un Spiegelman visiblement ému qui reçut des mains du ministre Renaud Donnedieu de Vabres une distinction qui revient habituellement aux figures marquantes de la culture internationale. Dans un discours extrêmement élogieux, le ministre dit à Spiegelman : « Si la bande dessinée est devenue un art, si, au-delà des univers imaginaires et ludiques qu’elle déploie, elle permet d’éclairer les mystères, le sens ou le non-sens du monde, de notre monde, elle le doit, en grande partie à vous, cher Art Spiegelman. Car vous êtes un artiste, un grand artiste de notre temps. Toujours en avance, et cela dès le commencement de votre vie artistique. » Le ministre passe alors à une analyse détaillée de la carrière de l’éditeur de Raw, soulignant qu’ elle « restera un exemple de création en mouvement, d’idées explosives et neuves, de hardiesse imaginative et de modernité, d’ouverture surtout ; car avec la générosité, la curiosité ardentes qui vous caractérisent, vous y avez accueilli, en leur permettant de s’exprimer avec leur singularité, tous ceux qui innovaient autour de vous. » Et de citer ceux qui, de Chris Ware à Ever Meulen, ont été édités dans le magazine d’avant-garde que le dessinateur américain fonda avec sa femme française, Françoise Mouly.

Art Spiegelman, Chevalier des Arts et des Lettres
Françoise Mouly, Art Spiegelman et Renaud Donnedieu de Vabres.
Lors du discours du ministre à Angoulême. Photo : D. Pasamonik.

Un éloge lyrique.

A certains moments, le discours se montre lyrique : « Vous êtes un grand artiste, parce que vous avez toujours eu une conscience très vive, depuis votre premier essai, paru en 1967, sur L’Esthétique des comics, de la signification, de la portée de chaque image, de chaque dessin. Il y a dans vos dessins - et dans vos couvertures les plus célèbres du New-Yorker - un humour, une virulence, une ironie aériennes qui, à eux seuls, résument tant d’articles, d’essais et de commentaires et pourraient légitimement se substituer à eux. ». Apparemment très bien renseigné, le ministre évoque même les incursions d’Art Spiegelman en dehors de la bande dessinée : « Vous avez épousé aussi, avec une discrétion et une efficacité lumineuses, d’autres arts. Vous avez ainsi magnifiquement accompagné, en 1995, « Wild Party », le poème de Joseph Mancure March, et, après un merveilleux livre pour enfants « Open Me » ... »I’Am A Dog », vous vous êtes lancé dans l’aventure insolite de l’Opéra « Comics » en écrivant le livret et en réalisant le décor de « Crime Does Not Pay ». »

« ... quoi de plus utile, de plus haut, de plus marquant, que les deux tomes de Maus »

Maus
(Flammarion)

Il évoque enfin Maus, au moment même où l’on célèbre de 60ème anniversaire de la libération d’Auschwitz : « Car peut-on représenter le Mal absolu, dit alors le ministre, peut-on mettre en scène, en image la barbarie ? Avec vous, avec un Claude Lanzmann, je suis de ceux qui pensent que non. Vous, vous avez trouvé une équivalence inouïe. De quelle partie de votre cerveau, de votre douleur, de votre imagination, de votre inspiration a pu surgir l’idée de la confrontation, dans la nuit absolue du temps, entre barbelés et miradors, des souris et des chats ? Pourquoi cette transposition dans le monde animal ? Cette transposition nous fait voir et affronter l’horreur, celle de ce « monde du mourir » organisé par les nazis dans les camps. Il y a toujours une double appréhension chez l’individu : celle de ne pas comprendre, de ne pas réaliser, et celle de trop bien comprendre, de rejoindre l’extrême souffrance, de franchir la lisière du cauchemar du monde. Avec vous nous comprenons, avec vous nous voyons, avec vous nous sommes conduits à regarder la vérité en face. C’était, il y a soixante ans, la libération d’Auschwitz. Et aujourd’hui, quand on pense à Auschwitz, quand on se souvient, ce sont aussi vos dessins, vos cartes, vos mots qui reviennent en nous. Votre livre noir est en nous, il fait partie de notre mémoire. De notre devoir de mémoire. Mais surtout, comme l’écrivait récemment Simone Veil, de notre devoir d’enseigner et de transmettre. Et quoi de plus utile, de plus haut, de plus marquant, que les deux tomes de Maus pour l’enseignement, la connaissance et la transmission de la Shoah envers les nouvelles générations ?. » Nous avons rarement entendu un hommage plus vibrant.

A l’Ombre des Tours mortes.

A l’Ombre des tours mortes
(Casterman)

Le ministre conclut sur le dernier ouvrage marquant de la vigie de Manhattan : «  En 2004, dans « A l’ombre des tours mortes », ce livre atypique, offensif et ému, vous avez recréé la tragédie des tours du World Trade Center, dont vous avez été l’un des témoins. Nous avons vu tant de fois, effarés et malheureux, les images en boucle des tours effondrées ; mais vous racontez leur chute, vous parvenez à les montrer sous un autre angle, plus profond, comme si vous les inscriviez non pas seulement dans notre regard, mais dans l’éternité de notre imaginaire, dans le ciel gris de nos consciences, dans la pénombre de notre esprit. » Il poursuit : « Vous êtes un veilleur, un inlassable veilleur. Nous avons besoin de vous, car les grands artistes, toujours au croisement entre la mémoire et l’avenir, se souviennent et annoncent. Nous vous sommes infiniment reconnaissants pour cette vigilance, pour la beauté, le sens, la noblesse, la gravité généreuse de toute votre œuvre. La France, que vous aimez, vous dit aujourd’hui sa gratitude. ». Il lui remet ensuite les insignes.

Bluffé par un tel hommage appuyé sur une telle érudition, Art Spiegelman dit au ministre combien il est étonné par le nombre de choses qu’il sait sur lui. « J’espère, dit-il, que le gouvernement américain en sait moins que vous. » Fier comme Artaban, le grand dessinateur américain porta l’insigne toute l’après-midi, notamment pendant sa rencontre avec la presse.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Art Spiegelman et sa médaille. Il la porta toute l’après-midi. Photo : D. Pasamonik.

Lire aussi l’article de François Peneaud :"Il y a 60 ans, Auschwitz..."

 
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