Tous les professionnels en sont persuadés : la publication d’un nouvel Astérix est une bonne nouvelle pour l’édition.
Outre qu’il viendra, espère-t-on, gonfler le chiffre des ventes de l’année, grâce à une mise en place de 1,85 millions d’exemplaires (près de 5% du marché à lui tout seul), le Gaulois constitue un "produit d’appel" en librairie qui fait que de nombreux lecteurs occasionnels pousseront la porte de la librairie pour venir l’acquérir.
Cette augmentation du trafic devrait avoir des retombées positives sur les autres nouveautés de cette période. Car la plupart des grandes séries sont au garde à vous pour escorter le phénomène. "À part Largo Winch, toutes nos séries sont toutes là en cette fin d’année", nous dit François Pernot qui dirige le "Pôle image" de Media-Participations. De fait : Blake & Mortimer, XIII, Thorgal, Spirou, Les Schtroumpfs, Lucky Luke,... sont tous présents sur les étals d’ici fin novembre.
Ces séries ont comme point commun d’avoir été crées voici quelques décennies, ce qui en fait des valeurs inter-générationnelles, qui ont en plus la vertu d’être des marques propriétaires conçues par d’autres auteurs que ses créateurs d’origine, appartenant aux sociétés qui les commercialisent... Comme Astérix, devenu depuis peu propriété du groupe Hachette-Lagardère.
Car nous ne sommes plus aujourd’hui dans un seul phénomène éditorial : une flottille d’événements accompagne la sortie de la nouveauté, ce cycle éditorial devant être réamorcé de deux ans en deux ans avec un nouveau dessin animé en 3D étant annoncé (Le Domaine des Dieux, pour 2015), précédant un nouveau film en prises de vue réelles tiré de l’univers de Goscinny et d’Uderzo (rien ne filtre pour l’instant quant au titre définitif choisi).
Astérix sur les cimaises
C’est la grande exposition à la Bibliothèque nationale de France qui s’ouvre aujourd’hui qui inaugure la saison et c’est un événement en soi.
On se souvient qu’Albert Uderzo avait offert les originaux de trois albums d’Astérix à la BnF : Astérix le Gaulois (1959), La Serpe d’or (1960) et Astérix chez les Belges (1977), soit 120 planches originales signées Goscinny et Uderzo qui rejoignent le fonds des manuscrits précieux de la grande institution française.
L’expo s’ouvre sur le tracé biographique des deux auteurs jusqu’à leur rencontre en 1951, déjà productive de pages de grand talent puisque leur série Oumpah-Pah date de cette période.
Vient ensuite, en 1959, la création du Journal Pilote et l’arrivée du Gaulois. Notes manuscrites, tapuscrits, objets archéologiques dialoguent dans un parcours qui met bien en valeur, à hauteur d’yeux, les planches originales dont on découvre la perfection, la propreté et la minutie. De même que l’extrême organisation d’un René Goscinny qui dessine une carte de France pour le Tour de Gaule, qui liste à l’avance les perles langagières qu’il instillera dans Astérix chez les Belges et dont on voit, outre le bureau et la machine à écrire, de même que la table à dessin d’Uderzo, le cahier à spirales dans lequel il consignait tous les patronymes de ses héros de papier afin de ne pas attribuer le même nom gaulois ou romain à des personnages différents... Le parcours s’achève sur les productions cinématographiques qui ont laissé elles-aussi leur empreinte dans notre histoire culturelle.
Une scénographie intelligente, agréablement articulée, qui s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux... mal-voyants (des panneaux tactiles ont été prévus à cet effet) parcours l’univers d’Astérix dans ses lieux, ses valeurs et ses pratiques avec un luxe de documents inédits qui séduira même le plus pointu des visiteurs. Remarquable.
Un ouvrage-catalogue remarquablement conçu, Astérix de A à Z (Éditions Hazan), complète cette exposition et reprend un bon nombre de ses documents rares et inédits.
Les auteurs du nouvel Astérix chez les Pictes, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, étaient bien entendu présents aux côtés d’Albert Uderzo et d’Anne Goscinny hier soir. Mais on les a plus trop vus après quelques minutes : c’est que, n’ayant jamais vu de près des originaux d’Astérix, ils étaient partis mesurer sur les cimaises l’immense difficulté de rester à la hauteur de leurs prédécesseurs.
Moins spectaculaire, mais tout aussi impressionnante, Bercy Village affiche en son sein des "grandes cases" d’Astérix, une occasion de s’apercevoir que, même agrandi vingt fois le dessin d’Uderzo reste net et impeccable.
Astérix vaut de l’or
Une multitude de produits dérivés devrait sortir à l’occasion du 35e album : boîtes de Biscuits Delacre à l’effigie des Pictes, nouvelle mascotte Idéfix chez Leblon-Delienne, plaque émaillée chez Coustoon,...
Outre le catalogue précédemment cité, les éditions du Cherche-Midi publient un ouvrage où René Goscinny raconte "Les Secrets d’Astérix" tandis qu’Hachette Cuisine publie L’Odyssée gourmande d’Astérix avec 180 recettes où le Gaulois est servi, c’est le cas de le dire, à toutes les sauces.
La presse emboîte le pas : Hors-série de Géo-Histoire, Numéro spécial de Télé 7 Jours, du Point... On est chaque fois surpris par l’abondance et le luxe de détails supplémentaires que l’on découvre dans ces nouvelles publications. En matière journalistique, Astérix est un exemple parfait d’énergie renouvelable !
Il n’est pas jusqu’à la Monnaie de Paris qui ne frappe ses pièces au profil du Gaulois en consacrant une édition de pièces d’or aux Pictes ! Mais il est une matière qui vaut son poids de tungstène (un métal plus cher que l’or) : les originaux d’Astérix par Goscinny et Uderzo.
Le 25 septembre dernier a eu lieu à l’Hôtel Drouot une vente de planches d’Astérix. Des planches mythiques : la planche 7 d’Astérix & Cléopâtre où Panoramix complimente le nez de la reine des reines, la planche 38 d’Astérix en Corse où l’on voit les trois vieillards assis sur leur banc ; enfin, les planches 3 et 27 des Lauriers de César, une scène d’arène avec des fauves magnifiques et une description somptueuse du palais de César. La Cléopâtre est partie à 188 750 €, frais compris, la Corse s’est arrachée à 93 750€ frais inclus, tandis que les Lauriers sont partis respectivement à 90 000€ et à 93 750€ après calcul des frais.
Cette vacation exceptionnelle suscita bien des questions. Notamment quant à la provenance des planches. Sylvie Uderzo émet, sur son blog, l’hypothèse qu’il s’agit d’une personne de l’entourage d’Uderzo, soulignant le fait curieux que le commissaire priseur annonce en préalable de sa communication le fait que "Pour chaque planche, Monsieur Albert Uderzo délivrera un certificat en attestant l’authenticité."
"On sait la provenance, nous dit sans ambages Bernard Mahé, le propriétaire de la Galerie 9e Art à Paris, qui a bataillé pour acheter l’une de ces planches : C’est Albert Uderzo." Même si la confidentialité du vendeur est garantie, cette affirmation semble crédible. Le don des originaux de trois albums d’Astérix à la BnF conforte cette hypothèse : "On sait qu’Uderzo, en faisant ce don, est parti pour faire une dation [1]", nous indique l’expert Michel Coste. Ce qui signifie qu’en opérant cette vente, Uderzo valoriserait son patrimoine de planches, ce qui a un impact sur la succession, raison pour laquelle la fille de l’artiste, qui vient de relancer, selon Mediapart, une procédure contre l’entourage d’Uderzo pour "faux témoignage" susceptible d’avoir entravé l’instruction d’une précédente enquête pour "abus de faiblesse", était présente à la vente.
Le chiffre obtenu par les enchères est cependant modeste. Sur son blog, Sylvie Uderzo parle de "vente à la sauvette", voire "à la casse", émettant l’hypothèse que tout cela est organisé de façon à "créer une côte artificiellement faible pour effectuer un acte officiel, comme une donation, par exemple ?"
Le commissaire-priseur Ghislaine Kapandji n’est pas déçue par la cote : "On est à peu près dans les estimations que j’avais indiquées, je suis donc plutôt satisfaite. Je ne me suis pas trompée. Je crois que, on le savait tous, il y a une vraie différence entre la planche d’Astérix et Cléopâtre et les autres parce que c’est un album très recherché et parce que cette planche là est magnifique."
Éric Leroy, expert auprès de la galerie Artcurial, est lui aussi surpris par une cote aussi moyenne pour une grande valeur internationale comme Astérix, mais il la justifie "Il y a vraiment une sélection énorme des collectionneurs. Ce sont des achats de plaisir. [...] Il y a une crise économique. Et puis, parce qu’Uderzo est vivant, au contraire d’Hergé ou de Franquin, on n’a pas encore pris la mesure de son travail. Ce n’était pas excessivement cher, mais c’est l’état du marché aujourd’hui."
D’autres attribuent cette cote modeste à un brusque afflux de planches d’Uderzo sur la marché : "Avant la fin de l’année, il y aura huit planches d’Astérix qui seront sur le marché", estime Michel Coste, expert auprès des ventes publiques de Millon. "On n’en a pas vu sur le marché pendant trente ans et maintenant, il y en a dix qui sortent. C’est inquiétant."
Comme on le voit, qu’il fasse l’objet d’expositions ou de spéculation, Astérix reste un sujet de passion.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : Sauf mention contraire : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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[1] Système de paiement qui permet de s’acquitter de ses obligations fiscales par un don d’« œuvres d’art, de livres, d’objets de collection ou de documents de haute valeur artistique ou historique ». La dation vise principalement les droits de succession.
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