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Astérix sous l’oeil des archéologues

Par Thierry Lemaire le 16 octobre 2009                      Lien  
La journée scientifique organisée le 15 octobre dans le cadre de l'événement "Drôle de Gaulois" à Bobigny a mis au jour un élément nouveau pour l'historiographie d'Astérix : l'intérêt de la série pour la recherche archéologique.

Pas moyen de rater la grande tour en brique rouge qui émerge tel un phare au milieu du campus universitaire de Bobigny. Même Blutch l’a placée en arrière-plan de l’affiche qu’il a réalisée. Vestige de l’ancienne imprimerie du magazine L’Illustration (la plus grande d’Europe dans les années 30), elle abrite, avec les bâtiments qui lui sont accolés, un IUT depuis le début des années 2000. Un lieu chargé d’histoire, parfait pour accueillir une journée scientifique sur le thème d’Astérix. D’abord parce qu’à quelques pâtés de maisons de là se trouve, découverte récente, la plus grande nécropole gauloise d’Europe. Ensuite parce que dans les mêmes parages, un beau jour de 1959, René Goscinny est venu chez Albert Uderzo à la recherche d’un nouveau héros de papier, avec le succès que l’on connaît.
Astérix sous l'oeil des archéologues
Le colloque organisé pour l’occasion par l’Université Paris 13 a permis un très intéressant dialogue entre les albums d’Astérix et la recherche archéologique sur cette période de l’Antiquité.
Pour ouvrir la matinée, Didier Pasamonik rappela en plusieurs points la constitution du mythe d’Astérix. Il passa en revue les caractères de ce phénomène de l’édition dont le succès fut multiplié par la médiatisation des auteurs, la reconnaissance institutionnelle, les éditions pirates ou les différentes adaptations cinématographiques. Nicolas Rouvière, Maître de conférence à l’Université Grenoble 1 et auteur de deux livres sur la série, détailla ensuite une typologie du rire des différents personnages créés par Goscinny. Sachez donc qu’il existe trois catégories : le rire des barbares (les pirates, les Goths et les Normands), le rire despotique de César et le rire démocratique des Gaulois.

Nicolas Rouvière pendant son intervention.
(c) Thierry Lemaire


Daniel Verba, Maître de conférence à Paris 13, axa son intervention sur la sociologie, en définissant l’attitude d’Astérix et Obélix face à l’étranger, puisque plus de la moitié des albums se situent hors de Gaule. Les spectateurs ont ainsi appris qu’il existe quatre types de posture face à l’autre : la supériorité biologique (appelons-la racisme pour faire court), le relativisme culturel (respect des pratiques de l’autre), l’ethnocentrisme (jugement en fonction des règles du groupe auquel on appartient) et l’universalisme. Nos deux amis gaulois, souvent sévèrement traités de franchouillards, font, il est vrai, partie de la troisième catégorie. Le journaliste Patrick Gaumer prit alors le relais pour décrire le rôle de René Goscinny dans le journal Pilote et la place d’Astérix dans le mensuel.

Patrick Gaumer, détendu avant son intervention.
(c) Thierry Lemaire


Michel Molin, professeur à Paris 13, s’attacha à décrire les représentations de chars romains dans la BD de Goscinny et Uderzo. Il souligna que l’historiographie des années 60 donnait l’image d’une technique de transport insuffisante pour bien se déplacer sur les superbes voies romaines. Les deux auteurs ont donc dû improviser pour confectionner des véhicules qui puissent tourner, par exemple. La solution qu’ils adoptèrent, totalement anachronique, est celle des attelages de la conquête du Far West. Nul doute que l’expérience américaine de Goscinny, ainsi que sa collaboration avec Morris pour les aventures de Lucky Luke ont laissé des traces. Michel Molin ajouta cependant que si leurs attelages n’étaient pas historiquement corrects, les chars en eux-mêmes étaient parfaitement documentés.

Anne Goscinny, Albert et Ada Uderzo visionnant un film de l’INA pendant le colloque.
(c) Thierry Lemaire


Sabine Armani, Maître de conférence à Paris 13, examina la vision de l’Espagne à travers les albums Astérix en Hispanie et L’Ibère, le tome 26 d’Alix. Yves Le Bechennec, attaché de conservation du patrimoine archéologique du Conseil général de Seine-Saint-Denis, dressa un panorama des fouilles de l’ancien Bobigny en soulignant l’intérêt des aventures d’Astérix pour la recherche. "Goscinny et Uderzo nous ont appris à représenter, pour les autres, ce qu’on ne connaît pas. Et puis il y a une seconde leçon à tirer de ces BD. Dès qu’on veut donner des images, il faut retourner à la documentation."
Enfin, Thierry Luginbühl, Professeur de l’Université de Lausanne, compara l’armement des guerriers celtes et l’organisation de l’armée avec la représentation d’Uderzo. Il remarqua les erreurs mais distingua également les points communs en soulignant la justesse de certaines intuitions des auteurs. Toutefois, l’intérêt scientifique de la série est ailleurs : "Astérix n’a pas de valeur historique, si ce n’est sur sa propre période. Mais c’est surtout un magnifique outil de communication vers le grand public. La tâche des archéologues aurait été beaucoup plus difficile si Goscinny et Uderzo n’avaient pas rendu le monde gaulois attractif et populaire."

Yves Le Bechennec, Jean-Claude Lescure (président pour l’après-midi), Sabine Armani, Natacha Lillo et Thierry Luginbühl.
(c) Thierry Lemaire


Finalement, tous les chercheurs présents dans le grand amphithéâtre du campus de Bobigny étaient d’accord sur un point. Malgré les insuffisances historiques de la série, que les auteurs reconnaissaient bien volontiers puisque là n’était pas leur ambition, les aventures d’Astérix ont eu, par effet miroir, un rôle important dans la recherche archéologique. Elles ont aiguillonné un certain nombre d’archéologues par les questions qu’elles laissaient en suspens et ont ainsi fait considérablement avancer les connaissances sur la période gauloise.

(par Thierry Lemaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Pour approfondir la question, à noter que les actes de cette journée d’étude seront publiés. ActuaBD ne manquera pas de vous en indiquer les références le moment venu.

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2 Messages :
  • Astérix sous l’oeil des archéologues
    20 octobre 2009 00:24, par Agecanonix

    Très bien cette conférence : je me suis amusé à réfléchir, dommage que sous la pression ou l’émotion, le président de l’université a sèchement interrompu Michel Molin au milieu d’une phrase sans lui laisser la possibilité de conclure pour pousser à la tribune Uderzo, qui certes, entouré d’une nuée médiatique, aurait peut-être bien aimé faire une entrée plus tranquille PAR TOUTATIS !

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 octobre 2009 à  06:48 :

      C’est vrai que c’était un peu cavalier, le président de l’université s’en est publiquement excusé. Par ailleurs, Michel Molin, au flegme irréprochable, a repris intégralement sa conférence dans l’après-midi, avec les excuses réitérées du président de séance Jean-Claude Lescure. Vous n’auriez pas du partir si tôt...

      Répondre à ce message

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