Révérence éternelle à Francis Groux qui eut l’idée de lancer, dans cette ville jusque là un peu endormie, et le mois où il pleut, grêle, neige et caille, janvier, quand il n’y a rien nulle part, un festival de BD, le second en France après Toulouse. Aucune chance que ça marche. Et ça a marché : 5 000 personnes environ. Tous ceux qui écrivaient sur la BD y étaient invités. Les fanzines aussi. On nous offrait voyage, chambre et bouteille de cognac. C’était en 1974.
Dans la salle où étaient éditeurs indépendants et fanzines, j’étais avec mon Petit-Miquet qui n’a pas peur des gros. Et voilà que tout à coup un père de famille trouve son gamin feuilletant un fanzine, La Presse pirate où, en page intérieure, dans une petite case figurait un personnage avec une bite visible (dessinée par Hube ou Kmiecik) d’environ un demi-millimètre de taille. Ayant, à cause de la taille, reconnu la sienne, il fonce pleurnicher chez le préfet du coin qui, illico [famille, illico, y a un gag, trouvez-le], interdit la revue. Qui ferme son stand. Tous les autres zines ferment le leur, sous des panneaux « Censure », ainsi que quelques éditeurs solidaires (bravo à eux, les autres n’ont pas bronché).
Prévenu, Francis Groux déclare qu’il est organisateur, pas censeur, et que le fanzine n’est pas interdit, en tous cas par lui. Nous nous réunissions à 11 fanzines [1] et créons sur le champ un collectif dénommé finement l’Amicale laïque des Petits-merdeux, parce que Claude Moliterni, alors co-organisateur, avait eu cette remarque à notre encontre « Qu’est-ce que c’est que ces petits-merdeux ? ». Nous dealons avec Groux (qui gagne au passage notre respect éternel, qui dure encore chez ceux qui ont vécu l’affaire), de pouvoir, juste avant la remise des prix, décerner des contre-prix. Il accepte.
La veille, il y a eu au théâtre une cérémonie de présentation des invités, qui montaient sur scène à tour de rôle signer un livre d’or. Perchés au premier étage juste au-dessus du livre d’or, nous avions remarqué que Robert Gigi était monté fort débraillé derrière. Donc, nous décernons nos contre-prix. Sylvain Insergueix (aujourd’hui grand libraire retraité) et Jean-Pierre Mercier (aujourd’hui jeune conseiller scientifique retraité du FIBD), tous deux de Falatoff, tiennent un panneau de carton où il y a écrit « Applaudissez ! » d’un côté et « Stop ! » de l’autre, qu’ils brandissent quand c’est nécessaire. La foule obéit. J’annonce les prix : entre autres, le prix Harvey Kurtzman à Harvey Kurtzman (un paquet de chewing-gum Hollywood entamé), le prix Signifiant-Signifié à Fresnault-Deruelle. Décernant le prix de la Société protectrice des petits-merdeux à Gotlib, celui-ci me renverse en arrière en me roulant une pelle ou presque. Claire Bretécher vient ensuite recevoir le prix de la Dessinatrice la plus ressemblante (un crayon sans mine auquel il manque le manche), mais je n’ai droit qu’à une bise. Et enfin le clou, à Gigi, le prix des Plus belles fesses de dessinateur vu d’en-haut. La salle exulte et quelques dames veulent vérifier. Quelques hommes aussi.
Les vrais prix sont décernés après, mais je ne m’en souviens plus, ils étaient moins marrants. Certains organisateurs voudraient qu’on recommence chaque année. Il ne sera plus question de censure avant longtemps. Le préfet, nommé Bellec, a droit à toutes les hypothèses possibles avec son patronyme, pris comme abréviation : Belle c… (complétez vous-mêmes). La presse se fait écho de l’événement, y compris une page entière dans Libération.
Une revue collective est aussitôt créée, Les Onze-y-trônent (puisqu’on était onze, au départ en tout cas). Il y aura quatre numéros, rédigés par Michel Pachkoff et moi-même à partir des conneries débitées collectivement dans des bistrots mal famés. Le logo est une tétine à clous dessinée par Zorin.
En janvier 1983, l’ALDPM, dissoute en 1975, se recrée de façon très éphémère pour le 10° anniversaire et publie le recueil de l’intégrale de ses numéros anciens, avec en couverture le dessin que Gotlib avait fait après l’affaire dans Charlie-mensuel, où on reconnaît quelques protagonistes. Plusieurs d’entre eux sont devenus des acteurs de la BD contemporaine ou d’autres domaines de la création.
Le recueil est introuvable, se vend sur le marché clandestin l’équivalent d’un original de Hergé et celui qui veut se le faire dédicacer par les onze peut s’accrocher !
Frémion
66 quai Boumeurre
Voir en ligne : LIRE L’ÉPISODE 2 DE "AU QUAI BOUMEURRE"
(par Yves FREMION)
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[1] Crampe, Falatoff, Haga, Mégafoutral, Nota bene, Pachkoff-Fa dièse diffusion international Ltd, Le Petit-Miquet qui n’a pas peur des gros, La Presse pirate, Skblllz, Sphinx, Zounds.
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