Olivier Josso Hamel fait partie des auteurs de bande dessinée alternative les plus importants de sa génération. Soucieux de son graphisme comme de son écriture, il sait travailler aussi bien seul qu’au sein d’un collectif, comme il l’a fait à plusieurs reprises pour Ego comme X et pour L’Association. Mais, au fond, pourquoi fait-il de la bande dessinée ?
Cette question a servi de point de départ à son premier projet au long cours - il était jusqu’alors un habitué des récits courts - intitulé Au Travail. Le premier volume de cette œuvre fondée sur l’introspection a été édité en 2012 par L’Association, qui en publie le second tome en ce début d’année.
La question n’est pas de pure rhétorique chez Olivier Josso Hamel. S’il en vient certes à raconter une partie de sa jeunesse, et en particulier de son enfance, l’interrogation n’est pas le prétexte à un énième récit autobiographique. Le dessinateur part en quête de ses motivations profondes, ce qui le conduit à pénétrer au cœur de son histoire familiale tout en interrogeant son rapport personnel, presque viscéral, à la bande dessinée.
Le premier tome lui permettait de poser les premières pierres d’une sorte de reconstruction psychologique. Très affecté par le décès de sa grand-mère, qui a grandement contribué à son éducation, il se plonge dans sa prime enfance, sans perdre de vue son objectif initial, à savoir découvrir comment il en est venu à faire de la bande dessinée.
Ce premier opus était aussi l’occasion de remettre en cause son travail graphique et plastique. Délaissant le crayon et la gomme, renonçant aux petites hachures et à la précision du trait, il laissait libre cours à son son geste, favorisant le travail direct à l’encre et au blanc correcteur. Sa volonté était de retrouver un souffle qu’il sentait lui échapper, et ce depuis l’enfance.
Pour retrouver cette spontanéité présentée non comme une panacée mais plutôt comme un moyen d’approcher une sensibilité plus vraie, il était allé jusqu’à réemployer le support fétiche de ses premières années, un papier orange servant à l’origine à emballer des radiographies. Le résultat en était une œuvre forte, nous emportant immédiatement dans l’intimité de l’auteur, sans voyeurisme pour autant. Le travail sur les formes et les matières s’approchait de prêt d’une forme d’art brut ou d’art naïf, si cher à Olivier Josso Hamel.
Le second tome se situe dans une continuité parfaite. L’auteur poursuit son introspection, dévoilant davantage ce qui l’a construit, mais osant également poser plus directement certaines questions clés, notamment par rapport à son père, disparu alors qu’il avait à peine deux ans. Il descend encore plus profondément, pourrait-on dire, dans les tréfonds de son histoire familiale et de ses non-dits. Mais il met aussi en avant quelques épisodes de son enfance et de sa jeunesse où il se dévoile sans fard mais aussi sans impudicité.
Olivier Josso Hamel revient à un trait peut être un peu plus contenu dans ce second volume. Et si nous retrouvons les fameuses pages orange, il ajoute cette fois-ci du vert, apportant par là-même un peu de diversité, mais aussi, paradoxalement, davantage de dureté. Le ton de ce livre est d’ailleurs un peu plus sombre que le précédent. Notre attachement à son auteur-personnage principal se fait, pourtant, encore plus fort.
Dans le second tome comme dans le premier, l’absence de cases - la plupart du temps, mais il y a des exceptions - et la liberté de composition des pages permettent à Olivier Josso Hamel de donner un rythme particulier à son récit, assez proche d’une œuvre écrite. Non pas que le dessin servent uniquement d’illustration. Mais la tournure des phrases, les brèves envolées lyriques et la justesse du ton donnent à sa narration une solidité qui flirte parfois avec l’emphase, sans toutefois y sombrer.
La force du travail d’Olivier Josso Hamel réside bien sûr dans cette assise narrative et dans son inventivité graphique, mêlant références aux classiques et liberté débridée. Pour autant, nous passerions à côté de considérations forts intéressantes si nous nous en tenions là.
Le premier niveau de réflexion, le plus évident mais pas le moins passionnant, concerne l’histoire personnelle d’Olivier Josso Hamel. L’enjeu introspectif est clairement affiché dès le premier tome. Il devient plus dense, plus complexe, plus intime mais aussi plus universel au fur et à mesure que nous tournons les pages.
Le dessinateur s’interroge sur sa trajectoire professionnelle, mais la met en perspective avec son histoire familiale. Il se dévoile - au lecteur mais aussi à lui-même - peu à peu, s’arrêtant sur certains épisodes clés de son enfance, s’interrogeant sur le rôle des uns des autres (mère, grands-mères, tante, cousines et cousins). Il s’appesantit surtout sur un paradoxe : comment une absence, celle de son père en l’occurrence, peut-elle prendre autant de place dans la construction d’un "je" ?
Cette question de l’absence est justement celle qui relie cette histoire familiale à la réflexion d’Olivier Josso Hamel sur la bande dessinée. Celui-ci a commencé à "lire" des bandes dessinées avant même son apprentissage de la lecture. Il les a feuilletées, observées, dévorées des yeux. Puis il les a réellement lues, et encore plus appréciées. Et elles l’ont accompagné, enthousiasmé, impressionné. Il y a trouvé un refuge, une passion, des univers, à la fois étranges et familiers. Elles ont, surtout, comblé des absences.
Olivier Josso Hamel sait ce qu’il doit aux classiques. Il rend hommage à Franquin, Morris, Hergé, mais aussi Dubout, Sempé, Reiser et Bretécher. Il montre et démontre à quel point certains de leurs livres l’ont marqué. Ainsi, dans le premier tome, c’est La Mauvaise Tête, de Franquin, qui se retrouve au cœur de sa réflexion. L’Île noire d’Hergé est joliment détourné dans le second volume. Plus que d’habiles citations, ces pages font preuve d’une grande prise de risque tant graphique - déformations des personnages, itérations iconiques - que narrative - l’hommage se teintant de psychologie, voire de psychanalyse.
Enfin, en filigrane, Olivier Josso Hamel s’interroge sur l’art, et en particulier sur l’art brut, parfois aussi qualifié d’art naïf ou primitif. S’il se pose directement la question dans le premier volume - comment retrouver la spontanéité et l’inventivité de ses dessins d’enfant ? - il la laisse ensuite glisser au second plan. Mais elle ne disparaît jamais complètement. Tout son travail sur les formes et sur les matières (on s’étonne, face à certaines pages, de les trouver lisses en y passant la main) y renvoie finalement. Mais son effort d’introspection, voire de déconstruction, n’a-t-il pas comme objectif ultime de retrouver cette fraîcheur primitive et primordiale ?
Olivier Josso Hamel construit avec Au Travail un œuvre autobiographique majeure, qui peut parfois rappeler Le Petit Christian de Blutch en moins virtuose - encore que - mais en plus psychologique. Au-delà, il s’agit d’un véritable travail de mémoire - en son nom, en celui de sa famille et même en celui de la classe ouvrière de Saint-Nazaire. Et, in fine, d’une très belle bande dessinée.
(par Frédéric HOJLO)
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Pour en savoir plus, lire l’entretien d’Olivier Josso Hamel réalisé par Maël Rannou en 2012 pour nos confrères de du9.org.
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