Que peut-il y avoir de commun entre Georges Perec, Vincent Van Gogh, Spock, Athos et Lemmy, entre autres ? Rien, si ce n’est de se retrouver parmi les nombreux personnages des bandes dessinées de Jason. Ils s’y croisent, s’y rencontrent, y discutent ou s’ignorent. Ils vivent des aventures, petites ou grandes, pas toujours en rapport avec celles inventées par leurs créateurs d’origine. Ils participent à l’élaboration d’un monde fait de clins d’œil et de références, plein de malice, parfois poétique, parfois effrayant.
En plus de vingt ans de carrière, Jason a fait preuve d’une belle constance. Une vingtaine d’ouvrages, dont la grande majorité a été éditée par Atrabile et Carabas. Quelques récompenses, en Norvège, en Suède et aux États-Unis, dont trois Eisner Awards. Et surtout, la construction d’un style très personnel, où les personnages à tête d’animaux - chiens et oiseaux le plus souvent - sont en apparence peu expressifs mais parviennent, grâce à une narration très fine, à faire passer tous les sentiments humains.
Au-dessus l’odyssée confirme tout cela avec une apparente aisance. Composé d’une petite vingtaine de courts récits indépendants, ce recueil condense tout l’art de son auteur. On y retrouve son attachement puissant à la littérature et au cinéma, ainsi que son goût pour la pop culture. Il abolit les frontières entre culture savante et culture populaire, n’hésitant pas à faire se télescoper des univers très éloignés, que l’on croirait difficilement conciliables.
Le dessin est toujours dépouillé, pas tout à fait minimaliste. Il y a une sobriété et une efficacité hergéenne chez Jason, renforcée par les masques le plus souvent impavides des personnages. Les décors et objets sont réduits à quelques éléments signifiants, où chaque détail renvoie à un système de références communes habilement maîtrisées par l’auteur. La composition des planches est également d’une imperturbable rectitude.
L’austérité, la sécheresse presque, du style de Jason cache une imagination en permanente ébullition. Une forme d’humour aussi, entre flegme britannique et surréalisme canalisé. La narration elle-même, qui peut désarçonner, varie du plus simple au plus complexe. Si certains récits sont linéaires et brisés seulement par quelques ellipses, d’autres font appel à une véritable gymnastique intellectuelle ou rappellent des cadavres-exquis.
Que reste-t-il, finalement, de ce maelström de références, de personnages, de récits ? Un plaisir très ludique, où l’on se flatte d’avoir des connaissances et des goûts en commun avec un auteur reconnu, et où la réflexion, en particulier sur la fiction, est souvent présente.
(par Frédéric HOJLO)
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Au-dessus l’odyssée - Par Jason - Atrabile - traduction du norvégien par Christophe Gouveia Roberto - 15,5 x 21 cm - 256 pages en noir & blanc et couleurs - couverture cartonnée - parution le 21 janvier 2022 - 24 €.
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