Précisons d’abord une chose : contrairement à ce qu’affirment certains médias comme Ouest-France, ce n’est pas la sélection des albums en compétition au Festival d’Angoulême qui ne comporte pas de femmes, mais bien celle des Grands Prix, c’est à dire l’élu qui, à la suite de Willem, de Watterson et d’Ōtomo deviendra le prochain Grand Prix d’Angoulême.
La voilà, cette liste :
Brian M. Bendis (États-Unis), Christian Binet (France), Christophe Blain (France), François Bourgeon (France), Charles Burns (États-Unis), Pierre Christin (France), Daniel Clowes (États-Unis), Richard Corben (États-Unis), Cosey (Suisse), Étienne Davodeau (France), Nicolas de Crécy (France), Edika (France), Carlos Gimenez (Espagne), Emmanuel Guibert (France), Hermann (Belgique), Alejandro Jodorowsky (Chili), Stan Lee (États-Unis), Milo Manara (Italie), Taiyô Matsumoto (Japon), Lorenzo Mattotti (Italie), Frank Miller (États-Unis), Alan Moore (Grande-Bretagne), Quino (Argentine), Riad Sattouf (France), Joann Sfar (France), Bill Sienkiewicz (États-Unis), Jirô Taniguchi (Japon), Naoki Urasawa (Japon), Jean Van Hamme (Belgique), Chris Ware (États-Unis).
La bronca commence sur les réseaux sociaux où quelques créatrices de bande dessinée, notamment l’auteure américaine de BD Jessica Abel sur sa page Facebook, décident de lancer un mouvement de boycott contre le prix, tandis que le hashtag #WomenDoBD s’envole...
Paul Gravett, l’un des spécialistes de BD les plus respectés dans le domaine anglophone, monte aussitôt au créneau : "On aurait pu croire qu’à l’approche de la 43e édition du Festival d’Angoulême qui doit s’ouvrir à la fin du mois, les organisateurs auraient au moins pris en compte une femme ou davantage encore dans la liste des 30 auteurs nominés pour le prestigieux Grand Prix. Eh bien non, pas une seule ! C’est une honte. Ni Marjane Satrapi, ni Chantal Montellier, ni Posy Simmonds, ni Annie Goetzinger, et bien d’autres... Je ne suis pas surpris qu’elles appellent au boycott..." Il faut dire que cet expert est le co-organisateur d’une exposition à venir à la House of Illustration à Londres, intitulé Comix Creatrix où il expose pas moins de 100 femmes créatrices de bande dessinée ! Comme on le voit, elles ne manquent pas...
Autre réaction marquante, celle de Riad Sattouf qui, en raison de cette absence de parité, a décidé de retirer son nom de la liste pour laisser la place à une auteure : « Cela m’a fait très plaisir !, déclare-t-il sur son compte Facebook Mais, il se trouve que cette liste ne comprend que des hommes. Cela me gêne, car il y a beaucoup de grandes artistes qui mériteraient d’y être. Je préfère donc céder ma place à par exemple, Rumiko Takashi, Julie Doucet, Anouk Ricard, Marjane Satrapi, Catherine Meurisse (je vais pas faire la liste de tous les gens que j’aime bien hein !)... Je demande ainsi à être retiré de cette liste, en espérant toutefois pouvoir la réintégrer le jour où elle sera plus paritaire ! »
D’autres réactions sont un poil plus virulentes, comme celle du patron de Denoël Graphic, Jean-Luc Fromental : "Chers amis du Grand Prix d’Angoulême…, écrit-il sur son compte Facebook En accord avec Riad Sattouf qui a décidé de retirer son nom de votre sélection et à l’unisson avec les dessinatrices de BD ivres de rage, je vous informe que je voterai "Fuck You" tant que vous n’aurez pas revu votre copie et proposé sur votre liste un ou plusieurs noms d’artistes femmes. Ce ne sont pas les hypothèses plausibles qui manquent. Étant éditeur moi-même, je me garderai de vous faire des suggestions. Mais j’espère que beaucoup de professionnels de la profession réagiront comme moi. Votre hémiplégie est simplement grotesque. Merci de votre attention."
Le débat s’ouvre cependant avec la réaction de l’historien de la BD et sociologue italien Marco Pelliterri qui, intervenant sur un fil de Facebook, pose la question : "Mais enfin, je ne m’intéresse pas au sexe des auteurs. Je veux lire des histoires. S’il n’y a pas, accidentellement, d’auteurs qui sont des femmes dans cette sélection, il faut demander aux sélectionneurs quelle en est la raison avant de conclure (peut-être) au sexisme."
Finalement, Franck Bondoux, le patron de 9e Art +, organisateur du FIBD, qui déclare au Monde : "Il y a malheureusement peu de femmes dans l’histoire de la bande dessinée. C’est une réalité. Si vous allez au Louvre, vous trouverez également assez peu d’artistes féminines."
Peut-être finira-t-il par regretter d’avoir neutralisé l’Académie des Grands Prix qui, sur plusieurs décennies, a décerné des Grands Prix sans rencontrer ce genre de problème.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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