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Aurélien Ducoudray : Cap à l’Est !

Par Patrice Gentilhomme le 28 avril 2020                      Lien  
Si certains scénaristes sont un peu « à l’Ouest », Aurélien Ducoudray, lui, a choisi l’Est ! Un choix qui lui a plutôt réussi, si l’on en juge par le succès critique et public de certaines de ses publications.

De Clichés de Bosnie (BD-Reportage dessinée par François Ravard, Futuropolis) au plus récent Amère Russie consacré au drame tchétchène (première collaboration avec la dessinatrice Anlor, il n’a jamais hésité à aborder frontalement des thèmes d’actualité "peu glamour". C’est lors de la réalisation des Chiens de Pripyat ayant pour toile de fond les paysages de Tchernobyl qu’il rencontra Christophe Alliel avec lequel il produit maintenant ce nouvel opus. À l’aide d’un graphisme qui n’est pas sans rappeler celui de certains auteurs de comics, le jeune dessinateur s’acquitte fort bien de sa tâche grâce à un style fluide, dynamique, immédiatement lisible, totalement au service de ce récit en référence à la crise ukrainienne de 2014.

Aurélien Ducoudray : Cap à l'Est !
Tome 1 : Amour, passion et révolution dans l’Ukraine de 2014.

En ce printemps 2020, l’ancien reporter et photographe de presse fait donc coup double avec la conclusions de deux histoires ayant pour décor les pays de l’Est.

Avec Yvanna se conclut le diptyque lié aux émeutes de Kiev, à travers les déambulations rocambolesques du jeune Bogdan, membre des services anti-émeutes écartelé entre des choix bien difficiles. Assumer sa mission de policier tout en fréquentant, le moins qu’on puisse dire, de manière très proche, deux ravissantes militantes du mouvement insurrectionnel. Voilà qui, dans le contexte des événements de la place Maidan, n’est évidemment pas simple ! Au cours de ses tribulations dans une capitale ukrainienne en proie aux manifestations et aux turbulences, il va aller de découvertes en rencontres improbables. Celle avec un mystérieux groupe de déjantés, "les guerriers de Narnia", n’est pas la moins incongrue. Peu après, une vieille femme vient lui raconter les origines d’une ancienne coutume locale, autre anecdote inattendue et surprenante. Rebondissements fortement décalés, déroutants dans un scénario prenant appui à l’origine, sur la recherche d’Olena, sa fiancée, par un jeune flic un peu paumé dans les soubresauts politiques qui agitent la ville.

Aventures rocambolesques et rencontres improbables ponctuent ce second tome.

Les déboires amoureux de Bodgan traduisent ses interrogations politiques et sentimentales, prisonnier qu’il est de ses difficultés à choisir entre amour et engagement. Les auteurs nous proposent en quelque sorte une parabole romantique en écho à la difficulté de choisir son camp dans d’autres circonstances !

On peut regretter que ce parti pris plutôt séduisant au départ, se perd au fil d’un second tome plus confus dans sa construction et dont la conclusion apparaît un peu expédiée. Le lecteur a un peu de mal à se retrouver dans la suite de cette épopée. En dépit de ces réserves, cette histoire tonique et riche en rebondissements a le mérite d’attirer notre attention et notre mémoire sur des événements dramatiques encore proches de nous, mais souvent déjà oubliés.

De l’Ukraine à la Russie

Avec Camp Poutine, centre de vacances très spéciales situé non loin de la résidence du dirigeant russe, nous voici dans un tout autre univers, plus bucolique, plus naturel mais pas moins inquiétant ni stressant. Ici, le commandant Ryabkhov affiche un programme de vie collective et militaire destiné à entraîner de jeunes ados à devenir de vrais défenseurs de la sainte Russie. L’enjeu final des exercices souvent rudes et violents qui sont proposés (ou plutôt imposés), c’est la possibilité pour le vainqueur de rencontrer Vladimir Poutine en personne, celui-ci possédant une datcha toute proche du camp.

Les brimades, les corvées et les épreuves plus ou moins humiliantes ont tôt fait de décourager certains volontaires comme Katyusha, Kirill et Gennady qui ont décidé de s’enfuir de ce lieu sinistre et reculé.

But du jeu : défendre les intérêts de la Russie ?

Dans cette seconde partie, on retrouve nos trois fugitifs perdus dans un environnement sauvage. Leur escapade va leur donner l’occasion de croiser d’autres personnages singuliers et surprenants, notamment Volkoff, un ex-bagnard accompagné d’un ours nommé Staline qui a pour principale caractéristique d’éternuer à tout bout de champ !

C’est aussi pour les auteurs une manière, à travers les dialogues entre cet ancien Zek [1] et les enfants de revenir sur l’histoire récente de la Russie. La mémoire des camps et de l’oppression stalinienne représentées par le vieil homme se confrontent à la Russie actuelle, autoritaire et brutale, où le culte de la personnalité demeure tout aussi présent que pendant les heures sombres, la Russie de ces gamins paumés et sans véritables repères.

Bien que recherchés par Ryabhov et son fils Anton, nos trois compères n’ont pas totalement abandonné l’idée de participer à la finale de la compétition au camp Wladimirovitch. Mais ils y perdront rapidement leurs illusions vis à vis de mythes aussi artificiels et que préfabriqués.

Derrière l’aspect un peu boy-scout de l’aventure de ces trois héros, Aurélien Ducoudray resitue l’analyse politique au niveau d’ados perdus et acculturés. À l’image de Bogdan de l’album précédent, ces gamins ne connaissent pratiquement rien de l’histoire de leur pays, et semblent sans mémoire. N’ayant pour tout bagage qu’un téléphone portable et quelques clichés à la mode, ils constituent des proies faciles pour les démagogues et autocrates de tout bord. Cette épopée va néanmoins leur permettre une forme d’initiation certes un peu foutraque à d’autres valeurs que celles imposées par le régime. Avec cette découverte de l’amitié, l’entraide, l’esprit critique Ducoudray colore son propos d’optimisme et d’espoir pour cette nouvelle génération.

La découverte du cimetière, un moyen pour élargir le propos du récit.

Le traitement graphique adopté par Anlor sert bien le propos de cette histoire en appui sur une mise en couleur vive et flamboyante. Un moyen supplémentaire pour nous plonger dans une intrigue attachante et trépidante.

(par Patrice Gentilhomme)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782818968574

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[1Abréviation désignant les prisonniers du Goulag

 
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