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Auteur et éditeur, Al Feldstein a durablement marqué le monde des Comics

Par Pascal AGGABI le 28 mai 2014                      Lien  
Décédé le 29 avril dernier, à l'âge de 88 ans, Al Feldstein était un géant du comic book. Cela fait plusieurs semaines que nous devions lui rendre hommage. Le temps nous a manqué. Surtout, nous voulions le faire en bonne et due forme. Dans cette tribune, c'est maintenant chose faite.

Parfois, tout n’est qu’une question de flair. Al Feldstein est né le 24 octobre 1925 à Brooklyn (New York), d’une mère américaine et d’un père émigré russe. Passionné de dessin depuis tout petit, il gagne plusieurs concours, notamment pour des affiches, ce qui l’encourage à s’orienter vers une carrière artistique.

Maman est derrière le fiston. Elle sent qu’il y a quelque chose à faire dans ce domaine. Merci maman. Pour se perfectionner, Feldstein s’inscrit à la High School of Music and Art de Manhattan. À quinze ans, en pleine crise économique, alors que ses parents ne peuvent lui donner de l’argent pour payer le métro qui l’amène à ses cours, il cherche un emploi. Dans le dessin, si possible. Son flair et le ouï-dire lui rapportent qu’il y avait, pour qui sait tenir un crayon, une opportunité dans le monde des comics encore balbutiant. Il finit par frapper à la porte du studio Eisner & Iger qui fournit aux éditeurs des comics "clef en main". On l’engage. Payé trois dollars par semaine pour de menus travaux particulièrement formateurs, il trace après ses heures d’école, les cases des comics de ses confrères, gomme les pages, fait le café... Puis, très vite, on l’autorise à réaliser des décors et même à encrer. Il est passe à cinq dollars, puis douze pendant l’été pour un travail à temps plein. Mais il fait toujours le café...

Auteur et éditeur, Al Feldstein a durablement marqué le monde des Comics
Junior, l’une des premières publications de Feldstein.

Bob Wood, le dessinateur en charge de la jungle-girl Sheena, le fait vraiment débuter en le chargeant d’abord de dessiner les taches de léopard du vêtement de la belle puis, petit à petit, d’encrer des décors, puis de les dessiner et de les encrer, enfin d’encrer des personnages à leur tour, jusqu’à ce qu’il soit finalement chargé de réaliser des pages entières. L’apprentissage classique d’une l’époque où il n’y avait pas d’école de BD...

Sous les drapeaux

À dix-sept ans, pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans l’armée de l’air. Il reste cependant aux États-Unis pendant toute la durée du conflit. On sollicite sont talent naissant pour décorer des avions et produire des cartoons pour les journaux militaires. Il trouve même le temps de se marier...

À la libération, il retourne au studio Eisner & Iger. le salaire qu’on y propose le fait renoncer à son ambition initiale et moins rémunératrice d’enseigner l’art. C’est que logiquement, dans le prolongement de ses épousailles, il compte fonder une famille ! Mais ça ne dure qu’un temps et il devient dessinateur indépendant. Toujours une question de flair...

Entre-temps, il a compris que Iger le payait seulement soixante-quinze dollars la semaine alors qu’il vendait trente-cinq dollars chacune de ces pages aux éditeurs. Feldstein dessinait une page et demi par jour. Pour lui, le calcul est vite fait : en deux jours de travail indépendant, il pouvait gagner autant que chez Iger.

Dès lors, il démarche lui-même les éditeurs. Pour obtenir un travail, il n’hésite pas à mentir à l’éditeur Fox Comics qui cherche un auteur complet, certifiant que sa femme écrivain travaillerait avec lui en équipe ! Bien sûr, c’est lui qui écrit et dessine tout. Il crée, entre autres, Junior (une sorte de clone de l’éternel adolescent Archie)... Mais il a du mal à être payé régulièrement.

La naissance des E.C. Comics

À vingt deux ans, il rencontre Bill Gaines qui vient de reprendre, à l’insistance de sa mère, la tête d’E.C. Comics après la mort de son père Max Gaines (l’inventeur du comic book) dans un tragique accident de bateau sur le Lake Placid où la famille avait une résidence d’été.

Bill Gaines et Feldstein s’entendent comme larrons en foire. Trente-huit ans de collaboration fructueuse commencent... Feldstein est d’abord chargé, dans la logique de ses séries précédentes, de travailler sur un comics pour adolescents. Le projet capote avant d’être finalisé. Pas grave : très vite, il enchaîne avec des histoires de romance, puis des histoires plus orientées vers l’action comme le western et le crime. Naturellement, il enchaîne l’écriture de scénarios, puis il réalise des couvertures, avant d’assurer des responsabilités éditoriales.

Haunt of Fear, l’un des titres-phare de E.C. Comics

C’est un moment marquant de l’histoire des comics et de la bande dessinée en général. Avec les E.C.Comics, on baigne dans ce qui s’est fait de mieux dans la narration dessinée. L’empreinte laissée par Feldstein -celle d’un géant- est indélébile. Son influence est énorme et a encore de l’impact aujourd’hui, tous médias et artistes confondus. Ces fascicules sont à l’origine de séries télévisées et de films tels que "Creepshow" de George A. Romero, coécrit avec Stephen King qui y interprète d’ailleurs un rôle. "Tales From The Crypt" et autres seront adaptés pour la télévision par HBO (sans que Feldstein soit crédité) dans des séries qui ont marqué l’histoire de la télévision. Bien des choses considérées comme novatrices à l’heure actuelle, elles étaient déjà bien présentes dans ces fascicules des années 1950.

Avec une étonnante subtilité, les E.C.comics se frayent un chemin sur des sentiers que les autres médias n’abordent pas vraiment franchement. Les histoires de Feldstein dépeignent une Amérique qui n’est pas un monde idéal. Elles se focalisent sur le vécu des petites gens. Courageusement, ils traitent de thèmes sociétaux sensibles : le racisme (en pleine période de ségrégation), les violences conjugales, Le sexe, les addictions aux drogues, la corruption, la maltraitance, la Shoah [1]… Ses personnages ne sont jamais binaires, avec d’un côté les bons et, de l’autre, les mauvais.

Al Feldstein donnera surtout à EC Comics son identité visuelle, son aspect définitif, facilement identifiable par les lecteurs. Avec son imbattable sens de l’accroche, il y a les dessins des couvertures bien sûr, mais aussi le graphisme, la calligraphie, les cartouches présentant The Vault-Keeper (le gardien du caveau), The Old Witch (la vieille sorcière), The Crypt-Keeper (le gardien de la crypte), les personnages-hôtes des petites histoires horrifiques appelés les Ghoulunatics, des comics d’horreur dont il est le créateur. Bien plus qu’une identité, en fait : une signature.

Une couverture de Feldstein

C’est quand Feldstein et Gaines, fortement influencés par les saisissants feuilletons radiophoniques de l’époque, décident de changer la direction éditoriale en abordant les genres horreur et science-fiction, que tout commence. Ils n’étaient pas spécialement emballés par les titres déjà en place dans la maison qui se contentait alors de suivre la mode. Poussés par la clairvoyance de Feldstein, ils décident d’innover, "parce que les imitations sont toujours restées sur le bord de la route quand la "tendance" s’est effondrée et que seuls les "originaux" ont survécu" dira-t-il plus tard.

La tentative de placer, à titre expérimental, des histoires d’horreurs dans des comics de crimes emporte l’adhésion. Sur ce succès, on lance des titres individuels consacrés à ces genres particuliers. Feldstein, responsable de publications, s’occupe des revues de la nouvelle ligne éditoriale. Il écrit - souvent sur des idées de Gaines- et dessine aussi (principalement les histoires de "Weird Science" et "Weird Fantasy " consacrés à la science-fiction, généralement, une histoire par numéro.

Ainsi naissent "Tales From The Crypt" et "The Vault of Horror" avec des histoires d’horreur. À ces titres s’ajouteront ensuite, en plus de "Weird Science" et de "Weird Fantasy", "The Haunt of Fear", de l’horreur toujours, mais aussi "Crime SuspenStories" et "Shock SuspenStories" qui relevaient du polar. En parallèle, avec la même réussite, Harvey Kurtzman, également responsable éditorial chez E.C. Comics, s’occupait de comics de guerre "Two-Fisted Tales" et "Frontline combat".

La vesrion orignale de Weird Fantasy...
... et une des peintures qu’il en tira à la fin de sa vie.

C’est une démonstration de force ! La BD est enfin grande, complexe et adulte. Gaines et surtout Feldstein poussent les artistes à s’exprimer sans contrainte (alors que Kurtzman est nettement plus directif...) Ils les encouragent à développer leur propre style, sans rester inféodé à une touche en particulier ou chercher à imiter un autre artiste, du moment qu’ils respectent l’esprit du texte que Felstein écrit avec le plus grand soin, et qu’ils livrent le meilleur d’eux-mêmes !

En retour les artistes brillent de mille feux, bousculent le média, cherchent et trouvent, mûs par une belle ambition esthétique et narrative et une véritable volonté d’innovation. On soigne l’écriture, on accorde tout le soin possible à l’édition des œuvres. À cela s’ajoute un engagement de chaque instant, marqué très à gauche pour certains, simplement humaniste pour d’autres. Sous couvert d’histoires de genres -et c’est peut être là que cela pêche auprès d’une frange d’observateurs "culturellement corrects"- les E.C. Comics font merveilleusement vibrer les couleurs de leur large palette. Bill Gaines surnomma ces comic books le "New Trend" (la nouvelle donne). Des décennies plus tard, dans nos contrées, la même démarche, portée par le narcissisme d’une sorte d’aristocratie culturelle, s’intitulera pompeusement "la nouvelle BD". Bah ! l’Amérique surprendra toujours ceux qui n’y ont jamais mis les pieds !

Un succès frappé par la censure

En 1954, la société américaine s’inquiète de la montée de la délinquance juvénile. Les comics sont accusés d’en être responsables. La gamme lancée par E.C. Comics, fortement orientée vers l’horreur et l’humour noir, s’attira les foudres des associations bien-pensantes. Les articles de presse exagèrent encore le phénomène, attirant sur E.C. comics l’intérêt tâtillon d’une commission d’enquête du Congrès. Le joyeux psychiatre Fredric Wertham et son livre "Seduction of the innocence" en sont le fer de lance. La ligne de défense de Bill Gaines devant la commission sénatoriale, jugée maladroite et cynique, précipite sa chute. Craignant la mise en place d’une législation de censure gouvernementale, les principaux éditeurs de la place montent un organisme appelé Comics Code Authority (CCA) chargé de définir et de faire appliquer un ensemble de règles sur le contenu approprié dans les comics.

E.C. comics est dans le collimateur des autres éditeurs. Gaines et Feldstein, après un premier et juste réflexe de résistance, lancent en catastrophe une nouvelle ligne moins violente et plus axée sur des thèmes consensuels. Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Gaines perd son distributeur, connaît de graves difficultés financières, et doit suspendre ses séries horrifiques. EC Comics est alors obligé de réduire la voilure et se sépare de Feldstein. Un important moment de l’histoire de la bande dessinée s’achève. Avec ce constat : pour les ligues de vertu et tout l’appareil socio-médiatico-culturel, le média BD n’a pas sa place dans la sphère des moyens d’expression pour les adultes ! Le Comics Code Authority lui rogne les ailes. Al Feldstein se retrouve sans emploi. Il est amené à proposer à nouveau ses services à d’autre éditeurs.

L’épopée de Mad

E.C., de son côté se recentre sur l’humour, avec le magazine Mad qui se positionne comme un titre politique et qui va finir par lui sauver les billes. Sous l’égide du talentueux Harvey Kurtzman, Mad parodie la société américaine. Le titre est introduit par sa mascotte, le célèbre imbécile Alfred E. Neuman et sa dent manquante... On sait ce qu’un journal comme Pilote, animé par René Goscinny, ou encore le mensuel Fluide Glacial de Marcel Gotlib, doivent à ce magazine satirique

Mad se vend très bien, mais son humour caustique ne plaît pas à tout le monde . Pour éviter de nouveaux tracas avec le Comics Code, Mad, d’abord un comic book, devient, sous l’impulsion de Kurtzman, un magazine politique, ces revues n’étant pas soumises au comité de censure du Comics Code. Gaines qui ne connaissait rien au développement et à la distribution de ce genre de revue, n’était pas trop chaud, mais Kurtzman qui, entretemps, a reçu une offre d’un magazine concurrent, contraint Gaines à opérer ce tournant capital.

En 1953, devant le succès de Mad, Gaines demande à Feldstein de lui proposer une autre revue du même genre. Au grand dam de Kurtzman, ce sera Panic, "la seule imitation autorisée de Mad"... Kurtzman apprécie moyennement la manœuvre. Lui qui combat les nombreuses contrefaçons de son magazine publiées par les éditeurs concurrents se retrouve avec un concurrent interne juste bon à piller ses idées ! Lui qui, il y a quelque mois encore, jetait sur Feldstein un regard parfois un peu envieux et qui n’hésitait pas, dans Mad, à parodier les titres d’horreur de E.C. Comics, en resta très amer.

Mad Magazine, dirigé par Feldstein, dépasse les 2,75 millions d’exemplaires mensuels

En 1956, enhardi par le succès de Mad (les ventes atteignent les 300 000 d’exemplaires par mois), Harvey Kurtzman, soudain ambitieux, propose à Gaines de lui vendre 51 % des parts de l’entreprise. Gaines refuse tout net. Kurtzman démissionne. Sa demande était peut être un peu calculée, car il a une offre de Hugh Heffner, le fondateur de Playboy, pour diriger le magazine Trump... William Gaines offre alors le poste de rédacteur en chef à Feldstein.

Kurtzman partant avec son écurie d’artistes, Feldstein est contraint de compenser ces départs. En recrutant des nouvelles signatures, il réussit son coup au-delà de toute espérance : les ventes de Mad passent d’ environ 375 000 exemplaires mensuels sous le règne de Kurtzman à un pic incroyable de 2,85 millions d’exemplaires mensuels vendus en 1974 ! C’est sous sa conduite (à partir de Mad numéro 29) que le magazine va prendre sa vitesse de croisière et gagner une reconnaissance internationale.

Un esprit visionnaire

Ainsi, grâce à lui, Mad est devenu l’un des principaux magazines du pays et l’un des plus influents. La revue, acquise par DC comics pour cinq millions de dollars, devient extrêmement populaire dans les années 1970. Feldstein en tiendra les rênes 29 ans durant. Il développe davantage encore le personnage-concept d’Alfred E. Neuman, parodiant de nombreux personnalités : politiciens, acteurs, etc., ce qui le propulse au rang d’icône de la culture populaire de son temps. Aujourd’hui encore, son effigie trône toujours sur les couvertures de Mad.

En 1984, en dépit une longue et fructueuse collaboration, Feldstein et Gaines ne sont plus sur la même longueur d’onde. Les désaccords créatifs et éditoriaux se multiplient. Feldstein voit toujours plus grand, veut "moderniser et faire mieux connaître le magazine. Pour l’amener dans les années 1980, 1990 et le 21e siècle"...

Avec son flair infaillible, il pressent qu’il faut le soutenir par un programme TV, 25 ans avant le fameux "Saturday Nigth Live". Il veut aussi créer une agence de publicité dédiée à des annonces rédigées "sur le mode humoristique". Il imagine une version "live" et animée du titre avec des vidéos vendues en kiosque ou proposées dans les boutiques de location. Gaines, peu convaincu, refuse. On mesure aujourd’hui tout ce que cette suggestion avait de révolutionnaire, mais à l’époque... Au décès de Gaines, la plupart de ces suggestions seront misent en œuvre : "Trop tard de 20 ans !" juge sévèrement Feldstein.

Feldstein préféra dès lors se retirer de l’affaire pour profiter d’une retraite bien méritée, se consacrant, lui qui doutait de la qualité de son dessin, à la peinture "son premier amour". Il quitte New York pour s’installer dans le Wyoming puis dans le Montana, dans un ranch de 270 hectares au nord du parc national de Yellowstone. Son départ marque pour Mad le début d’un déclin. La revue ne retrouva jamais les ventes qu’elle avait connues à l’époque de Feldstein.

Les peintures acryliques de Feldstein évoquent surtout la faune et la nature du nord-ouest . Mais il peint aussi pour les collectionneurs des reprises de couvertures qu’il avait produite pour E.C.Comics (voir ci-dessus).

Al Feldstein nous a quitté le mardi 29 avril 2014. Deux superbes bouquins "Child Of Tomorrow and Other Stories" et "The Mad Life and Fantastic Art of Al Feldstein" sont parus en 2013, avis aux éditeurs et aux traducteurs avisés.

De son côté, l’éditeur Akileos publie actuellement en version française une anthologie des histoires tirées des fameux E.C. Comics. En 2003, à la ComiCon de San Diego, Al Feldstein est entré dans le fameux "Will Eisner Comic Book Hall of Fame."

L’héritage laissé par Al Feldstein à travers les E.C.comics et Mad tient lieu de matrice originelle d’une certaine conception de la bande dessinée. À l’instar de Kurtzman, il est considéré dans le domaine culturel comme «  l’une des figures les plus importantes de l’Amérique de l’après-guerre ».

Sans son intuition, son considérable travail et sa capacité à ouvrir les consciences et les esprits, l’Underground n’aurait pas été ce qu’il a été, des séries animées comme Les Simpson n’auraient pas la même saveur et n’auraient peut être même pas existé !, des programmes TV ne seraient pas aussi caustiques. Feldstein a prouvé que la BD avait toute sa place en tant qu’art. Le cinéma (les Monty Python), la musique (Spike Jones), la littérature, la peinture même, par son sens de l’autodérision,... ont subi son influence.

Chapeau l’artiste !

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Illustrations : (c) Feldstein & E.C. Comics.

Photo : DR

[1Master Race, dessiné par Kriegstein en 1955.

 
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4 Messages :
  • Ouf, Actua Bd m’avait largement déçu en ne commentant pas le décès de Feldstein. Un article très complet qui ne manque pas de noter l’influence de Feldstein sur les médias audiovisuels et ses ambitions visionnaires partiellement déçues dans ce domaine. Un reproche : je regrette la vision linéaire et largement acceptée de la création du EC "new trend", le dessinateur Sheldon Moldoff avait une toute autre version des faits -beaucoup moins glorieuse.

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    • Répondu par Pascal Aggabi le 31 mai 2014 à  03:11 :

      Sheldon Moldoff était de ces artistes des comics dont la carrière a glorieusement brillé...Dans l’anonymat.Il a dessiné beaucoup de pages en tant qu’assistant fantôme- pour Bob Kane et son Batman-et tout un tas d’autres choses sans en être crédité.Il méritait une plus grande reconnaissance.Comme beaucoup d’autres.Il en a tiré une légère et légitime amertume.Et un esprit revanchard.

      Moldoff avait effectivement proposé à Bill Gaines une collection de comics d’horreurs ,contrat à l’appui, quelques temps avant que Feldstein et ce même Gaines ne lancent leurs fameux titres horrifiques. Moldoff exigeait même un pourcentage si le succès suivait.Las Gaines ,comme il était courant dans le milieux,n’a pas été très réglo dans l’affaire.Et Moldoff un brin naïf comme il l’a finalement reconnu.Il est vrai qu’il s’entendait parfaitement bien avec le père, Max Gaines- qui l’avait convaincu de choisir le monde du comic book plutôt que celui plus sécurisant et prestigieux,mais néanmoins concurrent , des cartoonists de journaux et leurs syndicates -et nettement moins avec le fils.Fils parachuté à la tête d’une maison d’édition fragile, alors qu’il avait d’autres ambitions , qui devait colmater les déficits chroniques de l’entreprise .Il a du lui sembler hasardeux de distribuer des royalties en cas de succès alors que cet argent lui aurait permis de rectifier passablement le lourd déséquilibre de la trésorerie. Pas très glorieux en effet mais tellement classique - voir les droits que Martin Goodman le big boss de Marvel Comics promettait éternellement de verser à Kirby .Pas très glorieuses non plus les menaces contre Moldoff par avocat interposé !

      Pourtant effectivement le "Zombie Terror" proposé ,entre autres histoires dessinées ,par Moldoff (mais mise en image par Johnny Craig )est crédité comme la toute première histoire d’horreur publiée par E.C.comics.
      Mais cette version précise des faits a été racontée par Moldoff une fois Gaines disparu et n’a jamais été vraiment confirmée. Pas même par Feldstein.Toutefois Moldoff affirmait posséder tout les documents qui prouvaient ses dires.

      Bill Gaines a eu des frictions avec Kurtzman aussi ,qui considérait que Mad était sa création légitime alors que Gaines estimait que le magazine était sa propriété exclusive .Et qu’il était libre d’en disposer de plein droit.Comme d’en faire une copie concurrente. Al Felstein a également eu maille à partir avec lui sur la fin concernant des questions de droits pour les adaptations télévisées de "Tales From The Crypt" par HBO. Il n’empêche Gaines avait quand même des qualités.On le disait affable.Et il avait une vision.

      Il lisait beaucoup,de tout ,et y cherchait des sujets d’histoires de plein pied dans la réalité que Feldstein développait.De plus les histoires d’horreur étaient dans l’air du temps à ce moment là (entre autre avec les émissions de radio comme "Inner Sanctum", le premier vrai comics complet d’horreur" Eerie comics # 1 de 1947 et "Adventures Into the Unknown" le premier titre continu de comics d’ horreur )tandis que le succès des super-héros s’étiolait .Moldoff ,qui on le voit n’a rien inventé , a continué de créer ses propres comics d’horreur pour Fawcett Comics où il a été très correctement payé et traité.Mais sans démériter : ils étaient loin de posséder la saveur et l’ambition de ceux de Gaines et Feldstein qui ont développé tout ça à leur manière.Les dires de Moldoff ne changent pas vraiment grand chose à l’affaire.

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      • Répondu par MD le 1er juin 2014 à  10:59 :

        Merci pour ces commentaires et ces précisions peu connues !

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      • Répondu par Alex le 1er juin 2014 à  19:42 :

        Merci pour votre réponse détaillée. Nous sommes en accord sur tous les faits que vous exposez ici. Et je comprends bien que l’éloge funêbre soit un exercice particulièrement délicat. Je ne suis ni spécialiste ni historien, juste qq’un qui acheta un modem il y a 20 ans et découvrit une histoire détaillée, des informations sur toute une époque qui me passionnait et que je croyais -à tort- connaître.

        Je ne cherche ni à "déboulonner" EC ou Gaines. Il n’y a aucune raison de le faire. Des bémols sont à ajouter. La chronique ne s’y prête peut-être pas. Une fois de plus je tiens à souligner la justesse détaillée de vos propos. J’espère que d’autre lecteurs de ce site y trouveront matière à investigation. En espérant que vous n’ayez pas pris mon message à contre-pied, je souhaiterais vivement lire d’autres chroniques de votre part. Cordialement.

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