C’est dans le théâtre à l’italienne de la municipalité qu’a eu lieu la remise des prix Max und Moritz (personnages du pionnier allemand de la bande dessinée Wilhem Busch). Dans une cérémonie bon enfant animée par des animateurs de télé aussi talentueux que réputés (en Allemagne), cette soirée couronne un Festival qui reçoit les mangas et les comics sur le mode mineur, alors que la BD japonaise constitue 60% du marché allemand (en nette baisse) et que le Graphic Novel commence à se tailler une place enviable, d’autant qu’il permet l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs allemands particulièrement intéressants.
Sans plus attendre, voici le palmarès :
Meilleure bande dessinée de l’année pour Prototyp & Archetyp de Ralf König chez Röwohlt. König, traduit en France aux éditions Glénat et dont c’est le 3e Prix Max & Moritz, est un auteur culte de la bande dessinée allemande. Ici, c’est la Genèse qui est décryptée dans une critique militante et subtile des religions.
Meilleure publication d’une école d’art allemande : la revue Schtrichnin
Meilleure BD pour enfant : Such dir was aus, aber beil dich ! Kindsein in zehn Kapiteln de l’illustratrice berlinoise Naddia Budde chez S. Fischer Verlag
Meilleure bande dessinée allemande de l’année : Alpha. Directions de Jens Harder chez Carlsen comics. On rappelle que cette BD publiée en France par l’An 2 avait reçu en janvier le « Prix de l’audace » à Angoulême. C’est d’ailleurs avec le même T-Shirt à l’enseigne de Monsieur Ferraille (Requins Marteaux) que Jens Harder est venu retirer son prix.
Meilleure bande dessinée étrangère : Pinocchio de Winschluss chez Avant-Verlag. Publiée en France chez les Requins Marteaux, cette BD avait déjà reçu l’Essentiel du meilleur album à Angoulême 2009. Retenu par la production du nouveau film qu’il tourne avec Marjane Satrapi, Vincent Parronaud alias Winschluss n’a pas pu venir chercher son prix. C’est son éditeur qui est venu à sa place.
Le Prix du public : Heute ist der letzte Tag vom Rest deines Leben de Ulli Lust chez Avant-Verlag/Electro Verlag, un roman graphique inspiré de l’histoire personnelle de l’auteure qui a été distingué par un vote sur Internet et dans des bulletins diffusés dans quelques grands médias allemands.
Le Prix Special du Jury revient à un auteur et deux éditeurs. L’auteur est le regretté Will Eisner. Les éditeurs sont Salleck Publication qui publie avec courage et détermination l’intégrale du Spirit et Carlsen Verlag qui publie en allemand les romans graphiques newyorkais du grand auteur américain et notamment, Le Contrat avec Dieu (Ed. Delcourt en France).
- Le Prix des Journalistes et critiques de BD (eh, oui, ça existe en Allemagne aussi) a été remis au dessinateur viennois Nicolas Mahler bien connu en France des lecteurs de L’Association et de La Pastèque, pour une parodie minimaliste de la geste super-héroïque Engelmann qui ne tardera pas, on le suppose, à être traduite en français.
Enfin, le Prix Spécial du Jury a été remis à Pierre Christin pour l’ensemble de son œuvre. Devant une salle lui faisant une standing ovation debout, Christin, visiblement ému, a souligné d’abord combien son travail devait à sa rencontre avec les dessinateurs qui ont marqué sa carrière : Mézières, Bilal, Goetzinger, Tardi…
Publié par Carlsen dès les années 1980, c’est son ami et ancien éditeur Andreas C. Knigge qui s’est fendu d’un discours mettant en évidence celui qui fut un des premiers à introduire dans la BD une figure féminine qui ne soit ni un dragon, ni une potiche.
Le contenu politique de ses BD qu’il revendique "encore aujourd’hui" est également la marque de fabrique d’un scénariste qui partageait sa carrière d’auteur de BD avec celle d’universitaire (il a été professeur de journalisme à Bordeaux et à Paris).
Pahé : « Ich bin ein Erlangener ! »
On ne saurait passer sous silence le Prix Francomics pour Dipoula de Pahé et Sti chez Paquet Editions. Ce prix créé à l’initiative de Rachel Gillio, directrice de la Deutsche-Fransösisches Institut d’Erlangen avec le soutien de l’Ambassade de France, de la Fondation Robert Bosch et de l’éditeur scolaire Cornelsen, est destiné à soutenir l’apprentissage du français en Allemagne.
Un jury de présélection a retenu cinq albums qui ont été adressés à 120 établissements scolaires en Bavière et à Berlin, touchant près de 3000 élèves. Ceux-ci ont désigné chacun leur BD préférée parmi les nominés. Ensuite, chaque école a désigné un délégué qui a adressé une lettre motivée pour défendre son poulain. Parmi celles qui ont le plus ému le jury de présélection, il a été constitué un jury 20 délégués venus défendre leur candidat à Berlin. La dernière ligne droite opposait Le Goût du chlore de Bastien Vivès (Casterman) à Dipoula de Sti & Pahé (Ed. Paquet). C’est finalement l’albinos qui l’a emporté, le prix consistant en une aide à la traduction pour un éditeur allemand. D’après nos informations, les éditions F52 seraient intéressés.
Pahé a évidemment fait sensation. Le Gabonais qui avait préparé son discours dans un allemand phonétique mais correct, a d’abord commencé à remercier l’Allemagne pour la série télé policière Derrick (grand éclat de rire dans la salle) terminant son speech à la manière du président Kennedy en proclamant « Ich bin ein Erlangener ! » (je suis un habitant d’Erlangen), sous des applaudissements nourris. Il a donc reçu le premier prix Francomic des mains de Charles Malinas, conseiller culturel près de SE l’ambassadeur de France à Berlin et directeur de l’Institut français d’Allemagne. Joli coup !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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