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BD numérique : La France est-elle dans une impasse ? (2/4) : Les éditeurs entre Charybde & Scylla

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 mai 2010                      Lien  
Nous avons examiné, dans le précédent article, le fait numérique : des nouveaux supports, des nouvelles pratiques, de nouveaux opérateurs… Et des revendications de la part des auteurs face à cette nouvelle donne. Où en sont les éditeurs francophones ?

Charybde et Scylla sont ces monstres marins de la mythologie grecque, situés de part et d’autre du détroit de Messine. On voudrait éviter l’un, on tombe immanquablement sur l’autre.

Si les auteurs, à raison, s’inquiètent sur la manière dont leur travail va être accommodé par ces nouvelles voies de diffusion que sont les supports numériques, voyant là une chance pour diffuser leurs œuvres, il faut prendre conscience que cette inquiétude est aussi partagée par les éditeurs. Ces nouveaux supports sont-ils un nouveau marché pour leur fond éditorial ou, au contraire, un redoutable concurrent qui va faire disparaître leur petit commerce ?

Au milieu du 19e Siècle, le maréchal ferrant était quelqu’un d’important. Il n’y avait pas un relais de poste sans la présence de cet artisan. Le fer à cheval était l’un des piliers de l’économie. Puis sont arrivées les automobiles. Le maréchal ferrant n’a pas disparu –il y a toujours des chevaux- mais c’est une profession bien plus rare et moins centrale dans l’économie. L’éditeur suivra-t-il le même chemin ?

Nous ne le pensons pas. Car quelle est la qualité première de l’éditeur : non pas seulement, comme on peut le lire parfois, celle de « dénicher » un talent, mais bien d’être capable de mettre une œuvre en phase avec le public par les moyens qui sont les siens : La diffusion, la distribution, la promotion. Et ceci, quel que soit le support. Corollairement, son travail est d’accompagner l’auteur pour que cette mise en phase se fasse le mieux possible.

C’est pourquoi chaque éditeur est différent. Sa qualité dépend de pleins de paramètres : la force de son catalogue (les « hits » permettant une présence forte dans le réseau de distribution), sa puissance de frappe financière, son opportunisme, la qualité de ses équipes de vente et de promotion, etc.

Il y a donc autant de réponses face au défi numérique qu’il y a d’éditeurs.

Dilemme

En juillet 2009, nous pouvions lire dans ces pages : « pour les éditeurs de BD, c’est un vrai dilemme : ont-ils intérêt à céder leurs droits ou doivent-ils développer une plate-forme d’exploitation en interne qui leur garantirait par le même coup le contrôle de la diffusion ? Dans le jeu vidéo, on l’a vu avec le cas Nintendo, l’avance technologique assortie à une bibliothèque conséquente, est un facteur déterminant du contrôle du marché.

C’est le choix qu’a fait Media-Participations, groupe propriétaire de Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Fleurus et Kana, en rachetant l’éditeur de jeux vidéo Anuman, spécialisé dans le transfert de jeux vidéo sur portables, qui développe pour ce groupe l’application BDTouch.fr […]. Comme le disent les gens d’Anuman : « L’accès aux contenus du catalogue Média Participations sera très clairement un atout pour BDTouch.fr. » Bamboo qui, comme on sait, ne fait pas partie de ce groupe mais qui possède quelques gros blockbusters de l’humour comme Les Profs ou Les Rugbymen, a annoncé qu’il avait opté pour cette solution. »

BD numérique : La France est-elle dans une impasse ? (2/4) : Les éditeurs entre Charybde & Scylla
Le portail Izneo propose près de 800 titres en ligne, principalement ceux de Media Participations et très très peu de mangas..
Capture d’écran (c) Izneo

La création d’Izneo

Depuis, Media-Participations s’est alliée avec Casterman (labels Casterman, Fluide Glacial et Jungle) et Bamboo pour créer une plate-forme en propre : Izneo qui dispose à ce jour près de 800 titres disponibles, soit en location (au prix de 1,99 euros pour 10 jours), soit en accès permanent (4,99 euros) mais sans possibilité de téléchargement. Pour ce prix, nous avons des pages en ligne dans lesquelles on peut se ballader. Il n’y a pas de moteur de lecture, ce sont des scans simples de pages, mais on peut, pour tous les titres du catalogue, lire 5 pages (enfin : trois, car il y a la couverture et la page de titre).

Leur objectif ? Cibler les 36 millions d’internautes français dont 24,4 millions au moins ont déjà acheté en ligne et les 3,6 millions de consommateurs de smartphone. Selon Izneo, 67% des Français déclarent être prêts à lire un livre au format électronique, la majorité sur PC (56%) mais auxquels s’ajoutent les 32% qui sont prêts à lire sur un reader (livre électronique).

Avantage : l’éditeur contrôle la diffusion de son produit sans passer sous les fourches caudines d’un opérateur de type iTunes qui s’avère être un gros censeur (le contenu doit être soumis à un comité de lecture sous contrôle américain qui rejette toute scène sexuelle ou violente selon les canons de la loi américaine) et peut coordonner cette offre avec son marketing, en toute sécurité (hypothétique) puisque ces produits restent sur sa plate-forme. Nous sommes dans un modèle économique qui est celui, classique, de la VoD (Video on Demand) du cinéma et de la télévision.

Ce faisant, il ne font rien d’autre que de mettre leurs pas dans ceux des grands groupes d’édition comme Hachette, Editis ou Gallimard qui ont aussi choisi une solution propre. À l’étranger des groupes comme Marvel (Groupe Disney) ou DC Comics (Groupe Warner Bros), Shueisha, Shogakukan, ShoPro,… ne font pas autrement.

Les petits éditeurs en embuscade

Les challengers de Média-Participations que sont en France Glénat, Delcourt et Soleil n’ont pas rejoint cette plate-forme contrôlée majoritairement par la holding belge. Ils ne le feront sans doute pas car Izneo porte des éditeurs qui s’approchent des 50% du marché de la BD en France et pourraient, passé ce seuil, tomber dans le collimateur de l’article 3 du Traité de Rome sanctionnant une éventuelle position dominante.

Jusqu’à présent, les plus petits éditeurs, suivant l’exemple de Soleil, réglaient la question au cas par cas, vendant les droits à tout ce qui bouge, plus dans la volonté de tester partenaires et réseaux que de tenter de gagner de l’argent sur un marché inexistant. Soleil est même celui qui a réussi à en faire un argument marketing en communiquant sur cette offre dans une promotion globale, comme il l’a fait sur les Blondes par exemple, réussissant le tour de force d’en faire un produit « branché » ! Dans un premier temps donc, le « modèle économique » du numérique est la promotion du livre, lequel est loin d’avoir dit son dernier mot.

Pour Soleil, l’usage numérique fait partie de la panoplie publicitaire
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Un avenir incertain

Cette stratégie en vaut bien une autre car le problème reste le même que l’on soit Média-Participations ou Soleil : comment lutter contre des géants comme Google ? Le marché total de la BD en France est, si l’on en croit GfK, de 400 millions d’euros en 2009. Celui de Google est de l’ordre de 25 milliards d’euros et leur trésorerie d’autant.

On a déjà un exemple de ce rapport de force inégal avec iTunes, le fer de lance de l’iPad. Le Figaro de cette semaine rapporte que les éditeurs sont pénalisés par la grille des tarifs de l’AppStore : « Si l’éditeur reste libre de choisir son prix, il doit respecter la grille dictée par Apple. Et toute la difficulté des éditeurs de presse est de choisir parmi ces tarifs. « Alors que le prix moyen d’un quotidien papier flirte autour de 1 euro, Apple impose aux éditeurs de presse une grille de tarifs où le palier de 1 euro est le grand absent », regrette Xavier Spender, PDG de L’Équipe 24/24.  »

On comprend que face à ces géants, le seul moyen pour les éditeurs de garantir leur stratégie est de s’arquebouter sur leur patrimoine. En conséquence de quoi, ils verrouillent autant qu’ils peuvent leurs droits, notamment en faisant signer des avenants adaptés aux auteurs. Ce qui ne plaît pas trop à certains d’entre eux. Nous vous en reparlerons demain.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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