Reprenant les publications de l’éditeur japonais Libre Publishing [1] BExBOY magazine reprend depuis bientôt un an la formule de son homologue nippon, avec un succès certain. Sans surprise, on constate que l’équipe rédactionnelle a refusé une fois encore de séparer le bon grain de l’ivraie. Cette paresse éditoriale qui a fait beaucoup pour le discrédit de la bande dessiné japonaise en Europe, jette de même le doute sur la qualité globale du titre. Pas sans raison, malheureusement, puisque la majorité des feuilletons sont effectivement médiocres.
De l’éprouvant Lover’s Doll de Kazuhiko Mishima dont le style grossier et l’intrigue ridicule épouvantent, au très creux et très fade Yebisu Celebrities de Shinri Fuwa et Kaoru Iwamoto, on peut dire que BExBOY touche le fond. La moyenne est légèrement relevée par les conventionnels, mais « efficaces » The Path to Love de Ren Kitakami, et Silent Love de Hinako Takanaga qui a défaut de soulever l’enthousiasme, ne soulèvent pas le cœur.
Plus douteux, School of the Muse de Makoto Tateno [2] et Welcome to the Chemistry Lab de Rie Honjoh, mettant en scène les amours improbables de jeunes garçons avec leur professeur respectif. Dans le premier, l’élève séduit et manipule l’adulte, qui en redemande, tandis que dans le second, il est maltraité et abusé. Bien sûr, il en redemande lui aussi. Dans le même versant sado-maso, Viewfinder de Amano Yamane [3] met en scène le monde de la mafia, à travers des personnages passablement caractériels et violents dont la psychologie torturée ne tient pas debout, mais provoque assez de mouvement pour démentir la légende selon laquelle il ne se passe rien dans un yaoi [4].
Certaines auteures savent du moins ménager le minimum syndical de tension dramatique, comme Tsuta Suzuki, et son My Demon and Me qui, à force de flashbacks, apporte une petite densité à ses personnages et se paie le luxe d’avoir une personnalité graphique. Plus subtile, Kano Miyamoto s’impose par une sensibilité, un souci de la composition rare et une narration assez fine et originale au fil des pages, tout en esquivant beaucoup des poncifs du genre. On trouvera bien dans son Vanilla Star un jeune homme efféminé et mystérieux, mais l’ancrage réaliste de son récit suffit à en faire un bonne expérience de lecture. A fortiori parce qu’elle ne s’épanche pas vainement sur des scènes de sexe gratuites, au contraire de ses consœurs.
Si on ne peut que se réjouir de voir les jeunes filles -et sans doute, quelques garçons- de nos vertes contrées accéder à une pornographie de bon aloi, on regrettera deux choses. Premièrement, le fait que dans le genre Yaoi, la douleur physique soit souvent une condition de l’affection, voire du plaisir, ce qui ne véhicule ni une image bien valorisante de l’homosexualité, ni un modèle de relation bien équilibré pour le lectorat. Deuxièmement, le côté tristement chichiteux, voire honteux, de la chose, qui caractérise l’érotisme grand public japonais. On échappe bien aux blocs noirs de censure, mais l’extrême codification de la relation sexuelle liée à la répétition des situations réserve cette lecture en grande partie aux obsessionnel(le)s.
Côté rédactionnel, on retrouve des notices parfaitement inutiles sur les auteures dont on apprendra seulement le signe astrologique, quelques recensions de livres, un lexique expliquant le jargon « boys love » aux néophytes ou encore un horoscope -visiblement, c’est important. Cette version francophone du magazine hérite du logo ringard de Mamiko Saito, mais elle bénéficie globalement d’un habillage bien plus sobre et clair, qui permet de rendre ce fourre-tout lisible. Les traductions sont exemptes des contre-sens et de fautes d’orthographe auxquelles nous ont habitué les Pika et autres Glénat Manga. Les amateurs s’en ficheront éperdument, l’intérêt résidant ailleurs...
(par Beatriz Capio)
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[1] Éditeur spécialisé dans le Yaoi.
[2] Auteure notamment de Yellow, également traduit chez Asuka.
[3] qui sera présente à Japan Expo cette année.
[4] Yaoi serait l’acronyme de yama nashi, ochi nashi, imi nashi : « Pas de climax, pas de chute, pas d’histoire ». Voir notre article sur ActuaBD à ce sujet.
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