À l’école, personne n’aime Nedjma. Exception faite de Raja, son voisin, qu’elle rackette parfois. Mais quand celui-ci lui offre un second goûter, préparé par sa maman pour elle, Nedjma refuse. Pourtant, Raja et elle sont amis. Elle n’en a pas d’autres et même les adultes ne lui portent pas d’affection.
Quand elle rentre, Nedjma est seule. Son père est parti et sa mère travaille tard. Souvent, elle traîne pour éviter de rentrer dans l’appartement vide. Une association s’installe dans le quartier et propose du catch pour les jeunes. Tout le monde est emballé sauf la directrice de l’école. Cette dernière tente d’empêcher les bagarres dans la cour en interdisant aux élèves de se battre. Mais les enfants sont contaminés par le virus du catch. C’est alors qu’un accident arrive, et Nedjma est accusée d’en être responsable.
L’histoire de Nedjma n’est pas des plus joyeuses. Ici, l’action se déroule dans une cité où les barres d’immeubles entourent la nationale, où les graffitis décorent les murs gris et le béton. Dans cet univers déshumanisé, c’est pourtant ce lien humain entre les personnages qui va permettre à Nedjma de retrouver la joie de vivre. Les raisons de la méchanceté de la jeune fille ne sont pas véritablement expliquées mais on comprend que l’absence du père n’y est pas pour rien. En considérant les lecteurs comme capables de participer à l’interprétation de l’histoire, Marie Desplechin les invite à s’identifier au personnage, chacun y collera l’explication qui lui conviendra. Ainsi, elle rend ce récit personnel et universel
Sa mère l’élève seule et fait des horaires impossibles. Isidore, le vigile du supermarché et ami de Nedjma, veille sur la jeune fille. On rencontre des chauffeurs de poids lourds aimables et serviables. L’album met la lumière sur ceux qui ne sont jamais représentés, et encore moins dans les œuvres à destination de la jeunesse. Une représentation bien nécessaire aujourd’hui, pour ces jeunes de cité qu’on montre régulièrement dans des rôles problématiques mais sans creuser ou proposer d’autres récits.
Le trait d’Olivier Balez est brut, comme les évènements que traverse Nedjma. Le dessin crayonné transmet un côté street aux planches, semblable au graffiti parfois. Les planches en gaufrier sont rythmées de pleines pages, offrant ainsi des respirations contemplatives et poétiques dans ce paysage écrasant et dénaturé.
Au final, ce récit rude se transforme, s’illumine au fur et à mesure des rencontres de Nedjma. La carapace de la jeune fille disparaît, symbolisée par cette doudoune et ce bonnet, qui semblent la protéger des coups. C’est un album qui traite de la différence pendant l’adolescence, de la solitude en adoptant le point de vue d’un personnage qui pourrait être le "méchant" dans une autre histoire. Difficile de ne pas être en empathie avec cette jeune fille, pari réussi.
(par Thelma SUSBIELLE)
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Babyface - Olivier Balez d’après Marie Desplechin - Rue de Sèvres - 120 pages - 17 x 23,5 cm - 14€
Paru le 16 Février 2022