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Bande dessinée érotique : Le top des dix incontournables de l’année 2022

Par Charles-Louis Detournay le 26 décembre 2022                      Lien  
Cachée aux yeux des profanes, la rubrique "X" d'ActuaBD continue de chroniquer les différentes sorties BD érotiques pour informer les milliers de lecteurs fidèles au rendez-vous. Vous avez loupé cela ? Vous ne savez pas ou plus quels sont les éditeurs qui se jouent des coudes dans ce registre ciblé ? Voici alors LE bilan hot de l'année 2022 et l'occasion de vous remettre au "goût" du jour, en découvrant non seulement les dernières tendances, mais également les albums qui ont défrayé la chronique de ce segment éditorial.

Nous avons toujours accordé à la bande dessinée érotique, genre présent dans le 9e art dès ses origines, la place qui lui revient, surtout lorsqu’elle était de qualité. Rares sont les sites spécialisés en bande dessinée qui s’y emploient, la pudibonderie ne baissant décidément pas la garde ces derniers temps ! Nous, nous informons le lecteur sur tous les genres de bande dessinée, c’est notre liberté et c’est aussi la vôtre.

Or, il faut bien en convenir, même si nos visuels étaient sélectionnés comme les plus chastes des albums chroniqués, ils avaient de quoi faire raidir (allons, pas de mauvais esprit) les censeurs de Google dès qu’un téton pointait. Devions-nous alors cesser nos chroniques consacrées à ce genre dont la tradition remonte à la nuit des temps ? Certainement pas ! Nous veillons soigneusement à ce que de jeunes lecteurs et de notre public qui ne souhaiterait pas être confronté à ce genre de contenu explicite ne le rencontre pas spontanément.

Bande dessinée érotique : Le top des dix incontournables de l'année 2022
La page "cachée" d’ActuaBD.com

Notre souci reste d’informer les lecteurs fans du genre. Voici notre sélection des dix albums les plus marquants de l’année.

Le site "X-webtoon" de La Musardine

Dynamite brise les carcans

L’éditeur La Musardine est très certainement l’une des valeurs sûres du segment, notamment au travers de son label "Dynamite", la plus connue de ses collections. Mais l’éditeur érotique (dont le catalogue ne se limite d’ailleurs pas à la bande dessinée) avait déjà marqué l’esprit l’année dernière en lançant la collection Seikô dévolue au Hentaï, et dont l’un des titres a d’ailleurs rejoint notre top 5 de ce secteur. Un esprit d’innovation qui s’est concrétisé en 2022 avec le lancement de sa plateforme de webtoons érotiques "X-webtoon". Un contenu gratuit que l’on peut tester sur la plateforme, avant d’accéder aux nouveautés.

Malgré le contenu alléchant d’X-webtoon, nous avons décidé pour l’instant de cantonner notre top érotique aux albums (ce qui place alors hors-concours tout le contenu numérique de La Musardine, soit une bonne moitié de son catalogue éditorial. Cela n’empêche l’éditeur de placer trois titres parmi les must de l’année. De quoi commencer notre sélection en fanfare !

- "Come Together" : les Seventies du plaisir vues par Erich von Götha

Erich von Götha est l’un des piliers du genre érotique en bande dessinée. En effet, nos lecteurs fidèles connaissent ses deux séries-phares :Les Malheurs de Janice et Twenty. Si vous êtes néanmoins dans l’expectative ou que vous avez besoin d’une petite piqûre de rappel, nous vous conseillons de vous reporter notre article consacré à l’intégrale des Malheurs de Janice, suivi des Carnets secrets d’Erich Von Götha.

S’il réalisait déjà des illustrations érotiques auparavant, le premier grand pas d’Erich von Götha dans la bande dessinée se situe vers 1979. En quel pas ! Car il crée, réalise et surtout dessine seul le contenu d’une revue dénommée Torrid, qui fait souffler un vent de libération sexuelle sur la prude Albion.

Come together, par Erich von Götha

De 1979 à 1986, von Götha réalise quinze numéros de cinquante pages chacun, soit l’équivalent de l’intégralité des planches des albums qu’on lui connaît. Un trésor qui dormait dans les rayonnages des spécialistes, et que Dynamite exhume ici pour notre plus grand plaisir. Il ne s’agit pas de rééditer les magazines à l’identique, mais bien de compiler tous les chapitres et illustrations d’une seule série : celle intitulée Come Together. Derrière cette référence à la chanson des Beatles, se situe un deuxième sens que l’on pourrait traduire par "Jouissons ensemble". Et voilà bien le maître-mot de Jo et son mari David, les héros de ce feuilleton érotique de 180 pages.

Influencé par l’écriture automatique de Moebius dans Le Garage Hermétique qu’il a découvert dans Métal Hurlant, Erich von Götha se laisse complètement guider par son inspiration pour réaliser ce feuilleton d’un érotisme très osé pour l’époque. Mais ce qui fascine à la lecture de Come Together, au-delà des expérimentations successives vécues par ce couple libéré, c’est le miroir de son époque. En cette fin des Seventies et du début des Eighties, von Götha dépeint une étonnante Albion qui vit avec passion ses fantasmes derrière la façade de l’étiquette et du velours côtelé. À la fois érotique, historique et patrimonial, Come together est certainement l’un des incontournables de l’année.

- Casa HowHard, enfin l’intégrale !

Nous ne traitons généralement pas des rééditions dans cette rubrique, qu’il s’agisse de compilations ou d’intégrales. Mais nous faisons ici une exception, tant Roberto Baldazzini a révolutionné la bande dessinée érotique au tournant des années 2000.

En effet, certains albums sont d’une telle puissance, d’une telle fulgurance, qu’ils peuvent parfois écraser jusqu’à leurs auteurs. S’il en est, alors Casa HowHard en fait nécessairement partie ! Ce qui déstabilise et captive en même temps, ce sont les protagonistes du récit : de magnifiques jeunes femmes dotées de sexes exclusivement masculins [1] font preuve d’une sensualité lascive qu’on n’avait jamais aperçue auparavant.

Casa HowHard - Par Roberto Baldazzini

Le trait de Baldazzini est d’une telle pureté qu’il écarte a priori tout esprit de perversion. Il est juste question de découverte de soi et des autres pour ces corps d’ange. Leur pudeur est définitivement écartée, car là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. Dès lors, se baladant parfois dans le plus simple appareil, sans honte de montrer leurs envies ou leurs excitations, ces hermaphrodites pratiquent un hédonisme assumé au sein d’un paradis oublié.

Préfacé par Moebius, par Jean-Pierre Dionnet et postfacé par Bernard Joubert (quel plébiscite !), le chef-d’œuvre de Roberto Baldazzini est enfin disponible dans sa version complète et définitive. Un moment suspendu de la bande dessinée érotique, incomparable, inégalable... Bref, incontournable dans toute bibliothèque d’amateur du genre qui se respecte ! Qu’il s’agisse de son audace, de son graphisme et de sa formidable conclusion.

Si vous ne possédez donc pas encore la totalité de cette série, je n’aurais alors qu’un mot : succombez !

- « House of Brutes », le manga gay en mode sado-maso

Pourquoi avoir créé un top hentai sans y avoir classé ce titre ? Tout simplement car il se distincte notablement du reste de la sélection. Même l’éditeur ne l’a pas intégré au sein de sa collection Seikô pour le placer dans sa rubrique plus généraliste (voire franco-belge) bien connue : Dynamite !

« Qu’à cela ne tienne, pourriez-vous dire, Un yaoï SM ? Voilà qui n’est certainement pas pour moi ! » Et pourtant, détrompez-vous ! Le récit de Gengoroh Tagame est tout simplement captivant, mettant aux prises un hétéro dans une famille qui abuse de plus en plus de lui… jusqu’à le séquestrer.


Cette série met en scène un vétéran de la Seconde Guerre mondiale déshonoré par la défaite, qui croit rêver lorsqu’il est appelé à épouser l’héritière d’un puissant clan. Du jour au lendemain, il quitte les siens pour rejoindre sa future femme, et savoure ce qui ressemble à une ascension sociale inespérée.

Mais l’euphorie est de courte durée, car en acceptant ce mariage, il ignorait que dès la nuit de noces, il deviendrait en même temps le jouet sexuel du chef de clan, un beau-père vicieux et autoritaire. Sous les yeux de sa fille, celui qui se fait appeler « père » force notre personne principal à se plier aux pratiques sexuelles les plus avilissantes. Il est attaché, soumis, puis enfin brisé lorsqu’il tente de s’échapper mais est repris.


Cette mini-série de trois tomes a été saluée par le jury du Prix Sade cette année ! Fort d’un trait d’une grande précision et d’une exquise lisibilité, Gengoroh Tagame n’épargne au lecteur aucun détail de ce que ressent son personnage : honte, souffrance et plaisir se mélangent dans un ensemble d’une étonnante authenticité, le tout dans le cadre d’un japon très traditionnel. Une lecture à la fois intrigante et déstabilisante, qu’on ne peut cesser après l’avoir commencée.

Tabou, l’éditeur 100% BD érotique

Outre La Musardine, le second éditeur important à se spécialiser dans l’érotisme en bande dessinée hors manga est bien entendu Tabou. À la différence que celui-ci se focalise exclusivement sur la BD via ce label, se permettant d’ailleurs de faire coup double avec Graph Zeppelin en retirant quelques scènes explicites afin de livrer un version plus sensuelle que sexuelle, comme cela a pu être le cas cette année avec le premier tome d’Ulysse de Cosimo Ferri, après la trilogie consacrée à Achille.

Dans la production de cette année, trois ouvrages sortent du lot, par leurs qualités graphique et scénaristique :

- Les Arcanes de la maison Fleury T. 2 : Les Coulisses - Par Gabriele Di Caro - Tabou

Le premier tome de cette série érotico-historico-policière était l’un de nos coups de cœur "adulte" de l’année dernière. En racontant les coulisses d’un bordel pendant l’époque victorienne, on aurait pu croire que la série allait accumuler les poncifs, ou surfer sur de précédentes séries du même genre, comme Casino de Leone Frollo ou Dodo de Leroi, Levis & Romanini. Au contraire, l’auteur italien fait preuve d’une grande maturité, en mêlant les thématiques érotique et historique à un polar de 54 pages très habilement troussé.

Ce second tome se situe toujours dans le quartier bien connu de Whitechapel à Londres. Cette caractéristique ambiance érotico-policière s’amorce lorsqu’une inconnue vient mourir sur les marches de la fameuse "Maison Fleury", la maison close qui est au cœur de la série. La victime était un "freak", anciennement membre d’un théâtre de monstres qui a dû fermer ses portes. Ce n’est d’ailleurs pas le premier meurtre parmi les anciens membres de ce théâtre de la différence. Et si tous ces meurtres étaient liés à cette mystérieuse congrégation qui cherchent à rassembler en sous-main d’étranges artefacts ? L’enquête s’avère ardue...


Le dessin de Gabriele Di Caro sert merveilleusement son propos. Élément moteur de son récit, toutes ses femmes sont à la fois différentes tout en restant globalement crédibles. Sa propension à l’opulence est contrebalancée par la finesse de ses visages. Les décors et le cadre général bénéficient de beaucoup plus de traits, dans un heureux contraste. De plus, son traitement des scènes sombres est propice à l’étrange et au fantastique qui s’immiscent progressivement dans le récit, au diapason des préjugés et des croyances de l’époque.

À la croisée des chemins entre l’érotisme, l’Histoire et le récit policier, ce second tome est occasion de se rattraper pour ceux qui n’auraient pas encore découvert cette série.

- Elisabeth Bathory - Par Raúlo Cáceres – Tabou

Après le succès des Saintes Eaux du même auteur, les Editions Tabou publient un nouveau et dense récit feuilletonesque de Raúlo Cáceres. Si le folklore y tient toujours une place importante, ce récit de jeunesse surfe d’avantage sur la vague érotico-horrifique trash, pour livrer une vision toute personnelle et sanguinolente du mythe vampirique.

En effet, si vous êtes féru de bande dessinée érotique, vous connaissez certainement l’un des chefs d’œuvres de Georges Pichard, intitulé La Comtesse rouge. L’auteur de Blanche Épiphanie et de Paulette y adaptait le récit de Léopold von Sacher-Masoch racontant les sévices que la Comtesse Elisabeth Bathory aurait perpétré sur d’innocentes jeunes filles.

Les légendes européennes et espagnoles sont une nouvelle fois au cœur de l’inspiration de l’auteur.

Raúlo Cáceres reprend ce classique en le transposant dans un sabbat vampirique et lubrique. En effet, sa comtesse a survécu à la mort ce qui lui permet de recueillir les fruits de la vie et de jouir sans entrave dans la nuit. Voleuse de sperme, dévoreuse de chair, cette insatiable gourmande de plaisirs en tous genres, pourvu qu’ils soient violents et sadiques, recherche aujourd’hui un mystérieux cercueil maudit. Mais des traqueurs de vampires sont eux aussi en chasse...

Elisabeth Bathory constitue l’œuvre de jeunesse de Raúlo Cáceres. Cela fourre à tout-va à chaque page, de manière extrêmement bestiale. L’auteur fait d’ailleurs fonctionner son imagination pour composer des tableaux uniquement réalisables par des non-vivants : une tête arrachée occupée d’un côté, tandis le son corps s’active de l’autre, etc.

Un double-page qui témoigne de l’imagination graphique de l’auteur

Face à cet étalage, on se surprend à apprécier le décalage apporté par les dialogues, rapportant des éléments du folklore ou faisant avancer l’intrigue. Presque humoristique, ce décalage bienvenu permet de supporter cette succession un peu répétitive de coïts horrifiques.

Plus que tout, on reste subjugué par l’incroyable encrage de Raúlo Cáceres ! Surtout que la succession des chapitres dévoile comment l’auteur a progressivement mis en place de nouveaux procédés narratifs. De quoi vous rappeler également la parution récente d’un artbook du même auteur Eros et Thanatos qui rassemble quantité de dessins, d’affiches et de couvertures réalisés tant pour le marché américain qu’européen.

- Orgies barbares T. 7 - Par E. Hartmann – Tabou

Depuis 2013, l’auteur espagnol Erich Hartmann publie chez Tabou cette série des Orgies barbares qui, comme son titre l’indique, procède à l’imbrication en tous sens du médiéval fantastique avec d’orgiaques scènes plus qu’explicites. Avouons-le tout net, nous ne sommes pas tombés de notre chaise au début de la parution de la série : certes le dessin n’était pas maladroit, mais il nous semblait que le pitch de base tenait sur le string d’une de ces barbares (dé-)vêtues pour autre chose que le combat.

Pourtant, lors de la parution du tome 3, nous étions finalement... enchantés ! Non que la thématique ait été modifiée, mais parce que Erich Hartmann nous régalait avec des textes ciselés où il place une bonne dose d’humour qui cohabite parfaitement avec ses grandes cases, beaucoup plus explicites que l’extrait qu’on vous livre aujourd’hui...

En bon serviteur, Gilles s’occupe de la belle pendant que son sire malmène la bête...

En 2022, c’est déjà le septième tome d’Orgies barbares, une série qui ne cesse donc de se bonifier avec le temps. On ne se limite plus à l’univers de Donjons et Dragons, mais on tourne également en dérision certains contes populaires comme Blanche-Neige ou Le Petit Chaperon rouge.

Dans ce nouvel opus, c’est le chevalier Corwyn et surtout son valet Gilles qui ouvrent le bal. Tel des Montmirail et Jacquouille, ils vaguent à l’aventure. Mais Gilles est plus lubrique que fripouille : pendant que son sire ferraille, il défouraille !

Tout le sel de ces séquences se trouve dans les dialogues humoristiques. Ainsi, lorsque une coquine termine manuellement le Gilles et que le valet lui fait remarquer qu’elle a de la pratique, elle répond du tac au tac : « - Je trais six vaches tous les matins. »
La vache, quelle répartie !

Humour, quand tu nous tiens…

Les répliques piquantes d’Hartmann nous permettent de passer aux Editions Kennes, qui ne cessent d’explorer les passerelles entre gag et gaudriole. L’éditeur a ainsi repris fin 2020 une collection dédiée au genre, intitulée "Joker", reprenant ainsi la fameuse marque du label coquin de P&T Productions que l’éditeur belge avait rachetée en 2017.

Globalement, nous apprécions beaucoup les titres qu’ils publient et qui sont suivi éditorialement par Katia Even, autrice entre autres du Petit Derrière de l’Histoire. Il nous a pourtant fallu déchanter récemment quand nous avons appris que l’un des titres que nous voulions placer dans ce top 10, à savoir Erotopia (par Louis, Percoco & Daviet), ne connaîtra finalement pas de suite… Cela ne nous empêche pas de vous conseiller un second titre, tout aussi bien réalisé !

- Les Filles du dessous - par Gaudin & Siteb – Kennes

Voilà en effet un beau coup joué par Kennes, qui bénéficie sur ce titre d’un scénario intéressant ainsi que d’un beau dessin. L’éditeur parvient surtout à placer son album comme interdit au moins de 16 ans, et donc pas exactement dans la section "adulte", lui offrant ainsi beaucoup plus de visibilité, tout en maintenant un contenu des plus érotiques et sans vulgarité !

Nous suivons deux sœurs qui cohabitent dans le même appartement, tout étant très différentes l’une de l’autre. La blonde Sylvia, comptable dans une société de lingerie, mène une vie rangée. Tandis que la rousse et volcanique Cindy est serveuse dans une boîte de nuit et profite de tous les plaisirs de la vie à commencer par les expériences sexuelles en tout genre.

Tout s’accélère lorsque Sylvia doit s’improviser mannequin pour sauver la campagne publicitaire de son patron. Ce dernier est tellement ravi du résultat qu’il lui propose de devenir styliste. Cindy l’aide alors à définir un style plus coquin en invitant sa prude sœurette des magasins et lieux qu’elle n’avait jamais visités auparavant.

Tout l’art des auteurs joue ici à moderniser l’humour érotique sans tomber dans la facilité. Les Filles du dessous est un album qui se concentre sur les relations entre les deux sœurs et leurs visions assez différentes à propos du sexe. Ce qui donne l’occasion d’échanges humoristiques, mais permet également de les confronter à la société de manière générale, en la présence des voisins de ces dames… et même de leurs parents !

Subtilement, Jean-Charles Gaudin égratigne l’hypocrisie actuelle où la pudibonderie de bon ton s’affiche plus ostensiblement que la vérité sous les couettes. Il en profite aussi pour aborder la question des mensurations des mannequins, rappelant ainsi qu’il ne faut pas s’y fier pour être belle et bien dans sa peau. Quant au dessinateur Siteb, il met parfaitement en scène cette chronique sexuée de notre société. Son trait est léger, plein de finesse, et il gère parfaitement la densité du scénario…

Enfin, la cerise sur le gâteau reste le grand écart que les auteurs sont parvenus à réaliser, en traitant de sujets très sexués, tout demeurant dans la suggestion et la finesse, sans jamais tomber dans l’explicite ou le graveleux. À conseiller aux lectrices et aux lecteurs qui aiment rire et réfléchir à nos différentes façons de vivre notre plaisir sans gêne.

Glénat persiste et signe

Nous expliquions dans un précédent article que l’érotisme n’était pas uniquement réservé aux éditeurs spécialisés dans le genre. Certaines maisons mainstream s’y adonnent désomais de manière intermittente, disposant d’ailleurs souvent d’une collection dédiée. Parmi celles-ci, Delcourt et sa collection Erotix, sont restés étonnamment calmes en 2022, alors que son directeur de collection Vincent Bernière nous avait promis « une refonte intégrale avec de nombreuses rééditions de classiques (Magnus, Crepax, Frollo, Baldazzini) dans des éditions intégrales, augmentées et définitives. ». Il nous faudra sans doute être encore patients.

Second duelliste de choc et de charme, Glénat continue en revanche sa collection Porn’Pop, dirigée par Céline Tran, parfois mieux connue sous son ex-pseudo d’actrice X Katsuni. Quatre titres ont été publiés cette année, parvenant à parfaitement doser l’esprit narratif de la bande dessinée à la thématique parfois plus sulfureuse de l’érotisme. Et parmi ceux-ci, l’un des albums s’est particulièrement démarqué :

- ADAN, l’agence de tous vos fantasmes

Derrière ce titre évocateur (pour ne pas dire "aguichant"), on retrouve ce qui s’avère comme l’un des meilleurs titres érotiques de l’année ! À la fois très innovant, plein de surprises, ce thriller X est un album... avec queue et tête ! Pardon pour ce jeu de mots trivial, nous voulons juste indiquer que les auteurs Clara Néville, Alban Sapin & Dudy participent à moderniser la bande dessinée érotique. Pour transformer l’étiquette de succession de scènes "hard" qu’on lui attribuait encore il y a une dizaine d’années, en un genre plus narratif, susceptible d’attirer un nouveau public. Une gageure doublée d’un impératif pour l’édition à une époque où le sexe sous tous ses formes n’est qu’à un clic des lectrices et des lecteurs.

Le récit s’intéresse à un couple composé d’Adèle et d’Anis qui fêtent leurs dix ans de vie commune. Si l’affection est bien présente entre eux, le plaisir a laissé la place à un rituel plaisant, mais dénué de passion… Jusqu’au jour où ils observent un jeune couple assez chaud, assis dans un café auprès d’eux.

Intrigués, et surtout émoustillés par le spectacle, ils les suivent discrètement et assistent à leurs ébats. Ce qui les excite tant et plus, jusqu’à retrouver une ardeur qui leur faisait défaut. Ils découvrent alors que ce tandem torride s’avère être un couple d’employés d’une nouvelle agence, ADAN, installée près de chez eux. Sa spécialité ? Réaliser les fantasmes sur mesure. Mais à trop se dévoiler sur sa vie intime, ne risque-t-on pas d’exposer des secrets inavoués ? Le jeu pourrait se refermer sur ses participants...


ADAN dépasse largement les quelques clichés qui viennent à l’esprit en lisant ce pitch, car l’intérêt du récit est de revendiquer une lecture en tandem, plus qu’en solo. Les scénaristes sont deux, comme les héros, et franchement, c’est une lecture que nous conseillons aux couples. La thématique d’une vie sexuelle qui tombe dans la routine donne un excellent point d’entrée, et malgré quelques grosses ficelles, le thriller est très prenant.

De plus, les relations sexuelles ne représentent pas l’essentiel du récit, même si toute l’histoire parle bien de fantasmes et de sexe du début à la fin. Un équilibre compliqué à atteindre (pas mal de films érotiques ou d’autres œuvres s’y sont essayés) et ici pleinement accompli, notamment grâce au dessin et les couleurs de Dudy qui donnent du relief à ce thriller sexuel sans lasser le lecteur, maintenant le rythme jusqu’au bout du suspense.

Autoproduction : un plaisir pas uniquement solitaire

Malgré la demi-douzaine de grandes maisons que nous avons évoqués, les éditeurs ne sont pas incontournables à notre époque où la révolution numérique a rapproché auteurs et lecteurs. Dès lors, certains albums sortent parfois en dehors du circuit traditionnel des librairies, mais nous essayons de faire notre maximum pour vous les commenter également. Deux d’entre eux intègrent ce top 10 de l’année, même s’ils sont aussi différents que réussis !

- Xavier Duvet, le prince des nuits fantasmées

Nos habitués connaissent bien Xavier Duvet puisque que nous avons déjà consacré une demi-douzaine d’articles à ses précédents albums depuis une quinzaine d’années. Il reste simplement l’une des références incontournables du hard érotique. Cela ne l’avait pas empêché de prendre une décision assez radicale il y a quelques années, à savoir d’autoéditer ses nouveaux albums, comme il nous l’avait expliqué lors d’une précédente rencontre.

Dans sa nouveauté parue en décembre dernier, Xavier Duvet continue d’évoquer un sujet assez précis, qu’il est pratiquement le seul à aborder en bande dessinée érotique, à savoir les hommes qui se travestissent, soumis à des femmes dominantes, et parfois à des rapports SM. Astuces de féminisation regroupe quatre histoires racontées sous la forme de témoignages où des couples (dominantes et dominés) expliquent comment des hommes ont emprunté à leur manière la voie du travestissement afin de combler leurs fantasmes.

Astuce de féminisation par Xavier Duvet

Les fétichistes seront de nouveau aux anges car Xavier Duvet a mis cette fois tout son talent au service de jambes galbées de soie, aux tenues des plus explicites et à des scènes dignes des alcôves les plus secrètes. Mais l’intérêt principal de cette compilation de récits tient surtout dans le cheminement personnel de chacun de ces hommes, ainsi que dans la progression du récit au fur et à mesure que son personnage principal s’engage dans la féminisation et la soumission. Que cela soit leurs maîtresses qui s’expriment, ou eux-mêmes, chaque récit dégage une authenticité qui participe pleinement à la réussite de l’ouvrage.

En guise de parenthèses entre les histoires, on retrouve à chaque fois deux témoignages écrits illustrant un grand dessin pleine page. Au total, ces huit confessions renforcent l’impression d’astuces et de conseils réellement prodigués par d’authentiques témoins. Ajoutons enfin que cet ouvrage bénéficie également d’une quinzaine de pages de recherches et de crayonnés, comme l’auteur a maintenant décidé d’en ponctuer l’ensemble de ces albums.

- Le Petit Derrière de l’Histoire : quand humour et amour rime avec toujours

Aux antipodes du précédent titre, le dernier album à figurer parmi les dix meilleures BD de l’année est le second tome du Petit Derrière de l’Histoire, également autoédité par son autrice, Katia Even. Pour ceux qui aurait raté le premier titre (également paru aux Editions Kennes), Marie, une jeune femme accueillante sous tous rapports, se retrouve catapultée à travers l’Histoire, à la rencontre des grands inventeurs.

À peine a-t-elle fait connaissance (bibliquement) avec les hommes de cette époque, que Marie repart aussitôt dans les couloirs du temps. En effet, Marie se rend progressivement compte qu’elle quitte une période temporelle dès qu’elle a pu instiller dans l’esprit de ces grands hommes une invention qui modifie le cours de l’humanité. Si le but est bien entendu de s’amuser, il permet aussi de comprendre qu’une invention attribuée à un homme, a très bien pu naître dans l’esprit d’une femme, avant que ce dernier ne se l’accapare.

Ce deuxième opus reprend avec réussite les ingrédients du premier tome : on se passionne pour les sauts temporels de Marie, on tente de reconnaître les grands hommes qu’elle rencontre et leurs inventions associées, on rigole des blagues souvent sous la ceinture, et l’on se délecte des planches très dynamiques qui profitent des ambiances colorées de la coloriste Marie Duclos.

Prolongeant le ton faussement badin du premier tome, le scénario de cette suite va pourtant beaucoup plus loin, en proposant des raisonnements temporels parfois complexes, qui débouchent cependant sur un filon scénaristique inépuisable : le retour du personnage sur son propre passé, et l’influence possible que cela pourrait engendrer.

Katia Even, même si elle œuvre contre l’invisibilité des femmes, évite néanmoins le discours ultra-militant, en démontrant que de grands inventeurs hommes eux-mêmes ont pu être évincés, à commencer par Nikola Tesla à qui elle consacre quelques passionnantes pages... ponctuées de quelques réflexions sur le mariage et le célibat !

Ce n’est que le début

Nous vous l’expliquions en début de cet article, les rééditions n’ont pas vraiment leur place dans ce top 10 des meilleures bandes dessinées érotiques de l’année écoulée. Mais nous voudrions tout de même adresser un coup de chapeau complémentaire à toute l’équipe des Grands Classiques de la bande dessinée érotique, cette collection Hachette que nous vous avions présentée à son lancement en 2016. Comme nous l’avait expliqué Vincent Bernière, également cheville ouvrière de cette anthologie, cette collection qui devait initialement compter 86 titres, va continuer à se prolonger jusqu’à compter près de deux cents albums pour sa conclusion dans quelques années.

Après les Manara, Crepax, Pichard, Gibrat, Varenne, Frollo, Serpieri, Bernet, Gillon, John Willie, von Götha et des dizaines d’autres, sont venus se rajouter en 2022 près d’une vingtaine de nouveaux titres, qu’ils soient patrimoniaux ou plus récents : Bianca de Crepax, la suite des Malheurs de Janice par Erich von Götha, [Royal Gentlemen Club par Nicky, Les Larmes du sexe d’Alex Varenne, Amabilia des Raven, Cons de fée de Wally Wood, Le Prix de l’amour d’Axel, Les Dialogues de Pierre Louÿs par Jacobsen, etc. Des rééditions toujours accompagnées de cahiers explicatifs pour découvrir ou en apprendre plus sur ces classiques du genre. En rassemblant avec autant de réussites la quintessence de la bande dessinée érotique, tous éditeurs confondus, la réussite de cette collection fait non seulement la démonstration de la qualité de ce genre à part entière, mais aussi du renouveau de l’intérêt des lecteurs pour l’érotisme, surtout lorsqu’il est de qualité.

Trois nouveautés de 2022

Pour vous faire saliver, sachez que nous attendons la conclusion de la fameuse saga d’Amabilia par Raven & Solère, le nouveau Sixella de Janevsky dont le financement participatif a largement dépassé les attentes, l’attendu Madame Désire de Grégory Mardon et d’autres surprises encore à venir, car on espère un prochain Trif ou encore un Axel. D’ici-là, prenez soin de vous !

Un preview du dernier tome d’Amabilia qui sortira en février prochain

(par Charles-Louis Detournay)

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Bandes dessinées érotiques réservées à un public adulte et averti.

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(Réservé à un public averti).

Lire également notre Top des 10 albums érotiques de l’année 2021

Acheter :
- Come Together
- Casa HowHard, l’intégrale
- House of Brutes : tome 1, tome 2 et tome 3
- Les Arcanes de la maison Fleury - tome 2
- Elisabeth Bathory
- Orgies Barbares - tome 7
- Les Filles du dessous
- ADAN, l’agence de tous vos fantasmes
- Astuces de féminisation sur le site de Xavier Duvet
- Le Petit Derrière de l’Histoire - tome 2 sur le site de l’autrice

[1On retrouve une femme dans le tome 3.

Kennes Glénat Tabou La Musardine ✏️ Xavier Duvet ✏️ Katia Even adulte érotique
 
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