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Barrio - Par Carlos Giménez - Fluide Glacial

Par Charles-Louis Detournay le 10 février 2011                      Lien  
Prolongeant l'intégrale de {Paracuellos} [primée en 2010 à Angoulême->art9841], Fluide Glacial réédite le premier {"Barrio"} accompagné de cinq tomes inédits en français. Une fois de plus, une intégrale incontournable !

Voici donc Barrio, le quartier, la rue, maman, les copains, les filles, un invraisemblable grouillement de personnages tous plus incroyables les uns que les autres, sur lesquels plane l’ombre du Père, parti on ne sait où... aspiré dans le tourbillon provoqué par les funestes chasses d’eau que tire l’Histoire avec un grand "H".

Barrio se place donc à la suite Paracuellos, ayant reçu le Prix du Patrimoine au festival d’Angoulême 2010. Dans la série précédente, l’auteur y dévoilait ses souvenirs de la succession des centres d’aide sociale qu’il a connus entre l’âge de 6 et de 14 ans. Pour Barrio, c’est le retour à son quartier, dans une famille qui n’en porte plus que le nom. La vie se résume donc aux copains, aux quatre cents coups, et au fascisme de Franco omniprésent, comme une toile de fond devant laquelle s’animent des personnages qui ne se rendent pas compte de cette écrasante répression.

Barrio - Par Carlos Giménez - Fluide Glacial
La première partie est très dense, comme si l’auteur voulait se dépêcher de coucher ses souvenirs sur la planche.

Sur le format, Barrio est rigoureusement identique à Paracuellos, si ce n’est qu’ici, un seul album avait été publié par Fluide Glacial au début des années 1980, à la place de deux pour dans la chronologie précédente. On profite donc de la publication de cinq albums inédits en France, pour une reliure épaisse de 235 pages avec signet. Un très bel objet.

Pourtant, dès la première page, on oublie le livre pour se plonger dans l’univers particulier et autobiographique de Carlos Giménez. Comme dans Paracuellos, le premier ’album’ de cette intégrale est très dense, ainsi que nous l’expliquait Gimenez :

"C’est d’abord l’exutoire qui a primé, et j’ai sorti ce qu’il y avait de plus violent. Ces courts récits en deux pages ne me permettaient pas de m’étaler, et il fallait aller à l’essentiel. Je vivais aussi dans le doute d’être encore édité et c’est pour cela que je ne voulais pas que cette information ne se perde. Rencontrant une certaine attente du public, j’ai pu alors chercher plus en profondeur dans mes souvenirs, afin de chercher des événements peut-être un peu moins violents à première vue, mais qui l’étaient tout autant en termes de contenu."

Puis le ton devient plus lent, prenant le temps d’installer plus profondément les ambiances.

Barrio est tout simplement bouleversant. Chaque récit témoigne à sa façon et par son rythme propre de l’âpre vie quotidienne des années 1950. Le ton n’est pas dur, mais vivant. Avec cette force et ce sens des détails que seuls peuvent évoquer ceux qui ont vécu ces instants. Une très grande réussite à nouveau, sur la forme comme sur le fond, dont on interrompt la lecture avec difficulté.

Pas toujours une histoire. La vie, tout simplement.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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9 Messages :
  • Barrio - Par Carlos Giménez - Fluide Glacial
    10 février 2011 22:42, par Silvain

    Cette intégrale semble très intéressante. Cet article donne envie d’en savoir plus.

    Une précision tout de même. Le franquisme n’est pas un fascisme. Il y a une différence de nature. Ce sont deux mouvements d’extrême-droite.

    Le fascisme cherche notamment à créer un "homme nouveau". Si les fascismes instrumentalisent le passé (cas du régime fasciste italien de Mussolini avec la Rome antique), ilS ont un attrait également pour le futur ; ce qui n’a pas été le cas des divers mouvements d’extrême-droite jusqu’aux débuts du XXe siècle, qui regardent vers un passé idéal (qui n’a jamais existé) qui serait perdu. Le discours de ces mouvements insiste sur une soi-disante décadence du temps présent afin de sur-évaluer le passé.

    Le nazisme et le régime de Mussolini sont des fascismes : culture de la violence, thèse d’une nouvelle élite qui sortirait de l’épreuve des tranchées (Hitler et Mussolini ont vécu la Première guerre mondiale, cette expérience a nourri leur idéologie), volonté de créer un "homme nouveau", etc. Le fascisme apparaît, dans la première partie du XXe siècle, comme une nouvelle forme d’extrême-droite.

    Le franquisme est plus lié aux formes traditionelles de l’extrême-droite.

    Cette différence dans la définition de ces mouvements ne dédouane, évidemment, en rien leur cruauté, leur violence, leur répression, ... Les fascismes et le franquisme ont fait de très nombreuses victimes.

    A ce sujet, de nombreux livres d’historiens existent sur les fascismes, les totalitarismes et les extrêmes politiques, sur la parenté et les différences de ces mouvements ; notamment des ouvrages de Philippe Buton, Pierre Milza (spécialiste de l’Italie fasciste), Ian Kershaw (spécialiste du nazisme), Marc Ferro, Phillipe Burin(spécialiste du nazisme), etc.

    A noter sur l’époque de l’Espagne de Franco : l’article consacré à Julio Ribera dans la rubrique "Interviews" de ce site.

    En espérant avoir été clair malgré la fatigue.

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  • Barrio - Par Carlos Giménez - Fluide Glacial
    11 février 2011 00:37, par Philippe Wurm

    Je suis en train de lire (et relire) Barrio ! Une œuvre coup de poing !! Un véritable déchainement émotionnel !! Qui fait mentir Tardi, prétendant que l’émotion ne passe pas ("aussi bien qu’au cinéma !") en bande dessinée !!! Un précurseur (avec Eisner), dès les années 70, de la bio-dessinée !! Un art subtil de la narration parfaitement mêlé à un dessin d’une vie intense, dont les expressions et les attitudes corporelles traduisent une science de la représentation des sentiments par l’image très élevée. Une représentation graphique qui donne corps à l’âme humaine ! En outre, le travail de cadrage, de focalisation et de contraste du noir et blanc font de Gimenez un artiste qui utilise pleinement les ressources de son art et cela depuis plus de 30 ans !!! Pourquoi n’a-t-il pas été redécouvert avant aujourd’hui, alors qu’on célèbre depuis 10 ans tant "d’œuvres" nombrilistes et auto-complaisantes ? Peut-être celles-ci ont permis à celle-là de trouver les conditions favorables de sa ré-émergence ? En tout cas, un grand Merci, Monsieur Gimenez, pour cette œuvre si forte et si riche qui donne tant de satisfactions à la lecture en même temps qu’elle suscite la réflexion.

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    • Répondu par Sergio Salma le 11 février 2011 à  13:11 :

      Pas la peine, Philippe, d’opposer des auteurs quand ils se racontent. Il y a dans pas mal de récits d’aujourd’hui ( moins dramatiques certes) des perles d’humour et leur opposer Gimenez est peut-être superflu. A la première lecture dans Fluide,il y a ...pff longtemps, une autre sensation m’était venue. Dans Barrio, les personnages sont presque trop grands pour les cases, on ne respire pas , on est dans l’étouffement, l’emprisonnement ; ce cadrage restitue parfaitement cette impression de manque de liberté, cet espace contraignant et la souffrance qui va avec.

      Pour ce qui est de l’autofiction ou l’autobiographie que pas mal d’auteurs pratiquent , la grande différence est que Gimenez avait plusieurs centaines de récits et des milliers de pages derrière lui alors que les jeunes auteurs ont tendance à commencer leur "carrière" en racontant leur quotidien . Gimenez a oeuvré dans la plus pure tradition de bande dessinée dite populaire depuis le début des années 60. Plusieurs auteurs italiens , espagnols complètement à maturité sont arrivés en France dans les années 70 et ont essaimé un peu partout (de Tintin à (à suivre) en passant par Pif : De la Fuente, Pratt, Marcello, Molinari... Entre parenthèses, je trouvais d’ailleurs la série Barrio incroyablement triste alors qu’elle était publiée dans Fluide Glacial.

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      • Répondu le 11 février 2011 à  15:36 :

        Comme vous je détestais ça dans Fluide (il y a plus de 30 ans maintenant), ce n’était pas drôle du tout (alors qu’on achetait Fluide pour l’humour) et c’était très moche et étouffant. Bref c’était un mauvais choix, il aurait plus eu sa place dans "à suivre..." je trouve.

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        • Répondu par Alex le 11 février 2011 à  23:12 :

          Ah, pas du tout ressenti le même truc à la lecture dans "Fluide". Je trouvais cela très drôle et cruel. Une série que j’attendais avec impatience -même si je crois que dans mon ignorance d’alors je n’appréhendais pas réellement les ramifications de ces récits. Je trouve que "Fluide" était vraiment sa place. À la même période (environ) on pouvait y lire aussi Cabanes par exemple. C’était aussi assez...différent

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        • Répondu par Oncle Francois le 11 février 2011 à  23:17 :

          Bien d’accord avec Philippe Wurms, évidemment !

          A Monsieur Salma, qui semble regretter l’étouffement des cases : c’était peut-être lié au sentiment d’étouffement dans une Espagne franquiste, ne croyez vous pas ? Donc parfaitement adapté au message de l’auteur à mon avis.

          Le fait est que des oeuvres magnifiques comme celles-çi, publiées il y a vingt-cinq ans en France, on en a rarement parlé, parce que l’actualité Bd a été depuis noyée, envahie, submergée par tout un tas de sous-produits. Cette reconnaissance tardive me semble salutaire pour remettre les choses en perspective, me semble-t-il... De quoi donner de sacrées leçons de découverte à toute une horde de journalistes qui manifestement n’en avait JAMAIS entendu parler (puisque eux-mêmes n’en ont jamais parlé dans leurs journaux branchés bobos !!)

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        • Répondu par Sergio Salma le 13 février 2011 à  11:45 :

          Hé, vous me lisez mal. 1) j’ai pas dit que c’était étouffant et raté comme mise en scène. J’ai justement insisté sur le fait que Gimenez parlait d’enfermement et que sa mise en page traduisait magnifiquement cette sensation. 2) Je n’ai pas dit que le ton assez mélancolique de la série était un problème dans Fluide Glacial. Je notais simplement qu’elle était d’autant plus originale .Le rire et la tristesse étant de toute façon des émotions proches, on pleure de rire et on rit aux larmes.

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      • Répondu par Philippe Wurm le 12 février 2011 à  00:27 :

        Je n’oppose personne, cher Sergio ! Je cherche juste à comprendre pourquoi une œuvre majeure passe ainsi sous silence et pendant si longtemps, alors que nous venons de traverser une formidable décennie d’auto-fiction ? Mais la sortie de ces livres de Gimenez lui rendent justice et je m’en réjouis.

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  • Barrio - Par Carlos Giménez - Fluide Glacial
    11 février 2011 22:46, par Silvain

    Une rectification : une erreur de frappe s’est glissée dans mon message. Il ne faut pas lire "Philippe Burin", mais "Philippe Burrin".

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