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Baru ("Fais péter les basses, Bruno !") : « Je me sens plus chorégraphe qu’écrivain »

Par Nicolas Anspach le 5 novembre 2010                      Lien  
Auteur aux origines modestes, {{Baru}} a bâti une œuvre touchante où il place les "gens de peu" au cœur de ses histoires. En janvier dernier, son travail a été récompensé par l’Académie des Grands Prix du Festival d’Angoulême. Baru vient de publier « {[Fais Péter les basses, Bruno !-> 10954]} » aux éditions Futuropolis.

Baru ("Fais péter les basses, Bruno !") : « Je me sens plus chorégraphe qu'écrivain »Dans une récente interview accordée à Actuabd.com, juste après que vous ayez reçu le « Grand Prix » à Angoulême, vous avez mentionné que vos maîtres étaient Reiser et José Muñoz. Que vous ont-ils apporté ?

Reiser a sans doute été le plus fondamental. Grâce à lui, j’ai décidé avec une certaine inconscience de me consacrer au dessin. J’étais épaté par sa manière d’aborder le monde avec ses « petits dessins de rien du tout ». Je me disais que s’il était capable de le faire, pourquoi ne le serais-je pas ? Je me suis donc mis à dessiner comme Reiser pour m’exprimer. Je me suis aperçu très rapidement que je m’étais trompé. Reiser était un génie de l’humour. Moi, pas ! Il était inutile que je fasse semblant de le singer en réalisant des dessins humoristiques au « sabre ». À l’époque, je ne savais pas dessiner et j’ai commencé à le copier, à marcher sur ses pas. Il était à la BD d’humour ce qu’était Jimi Hendrix à la guitare électrique ! Je sentais que je n’étais pas bon dans ce domaine, et j’ai donc abandonné l’idée, presque la mort dans l’âme, de faire du « sous-Reiser ».

Mais j’avais pris goût au dessin, et mon travail commençait à ressembler à quelque chose. Du coup, j’ai continué à dessiner. J’ai découvert que le trait « hyper grotesque » si caractéristique de Reiser ne correspondait pas à ma manière d’être. Mon travail était mièvre et largement en dessous de mon modèle ! J’ai découvert dans Charlie Mensuel le travail de José Muñoz et Carlos Sampayo. Cela m’a donné une claque ! C’était explicitement ce que je voulais arriver à dessiner, avec notamment cette trituration marquée de l’anatomie humaine ! Je me suis mis à travailler dans ce sens. Mais compte tenu de mes limites graphiques, j’ai dû opérer à quelques contournements pour arriver à être satisfait ! Ces deux auteurs ont été mes fondateurs ! Je fais de la bande dessinée à cause d’eux !

Y a-t-il eu d’autres auteurs qui ont été des déclencheurs ?

Plutôt des personnes qui m’ont conforté dans mes choix à travers leurs livres. Je songe à Jacques Tardi et Pierre Christin qui avaient publié Rumeurs sur le Rouergue aux éditions Futuropolis. C’était ce type d’histoire que j’avais envie de raconter…

Votre mère était bretonne. La Bretagne a-t-elle eu une importance durant votre enfance ?

Pas vraiment ! Ma mère était effectivement issue de cette région, mais c’était une exilée de l’intérieur. Elle a rencontré un immigré « de l’extérieur », un Italien ! Je suis plus le fruit, au sens strict, de l’immigration que celui de la Bretagne ou de l’Italie ! J’ai connu l’Italie de la Lorraine, pas celle de l’Italie. Ma mère s’est entièrement fondue dans cette culture, et notamment pour un aspect qui est essentiel dans la culture : la nourriture.

Extrait de "Fais péter les basses, bruno !"

Dans « Fais Péter les Basses, Bruno ! », vous racontez plusieurs itinéraires en parallèle : celui d’un immigré africain, arrivé clandestinement en France pour vivre de sa passion, le football. Mais aussi ceux de trois truands sexagénaires, un peu nigauds, qui veulent monter un dernier coup ! On sent que vous portez une certaine tendresse à ces personnages.

Cette histoire a été construite sur un mécanisme assez simple : une opposition entre bons et méchants. Mais les bons ne sont pas toujours très gentils, et les méchants ne sont pas toujours si obscurs que cela ! J’ai bien sûr plus de tendresse pour les figures positives, et je m’inspire des expériences et des rencontres de ma vie pour bâtir leurs personnalités. Ces trois sexagénaires sont des « gens de peu », qui n’ont pas trouvé d’autre moyen que de voler l’argent des autres pour vivre correctement. Je les ai mis en opposition avec leurs enfants, c’est-à-dire ceux qui leur ont succédés dans le milieu. La génération issue de « Pépé Le Moko » rencontrait celle de « Scarface » ! J’ai voulu les opposer sur un mode très ludique !

J’ai également souhaité rendre hommage à Georges Lautner dans ce livre. Il mettait en scène des gangsters improbables qui s’entretuaient sans pour autant montrer du sang ou les morts des personnages. J’ai voulu échapper à un polar de genre où j’aurais été vers la parodie. C’est pour cela que j’ai introduit Slimane, un jeune immigré africain dans le récit. Cela m’a permis d’installer une réalité dans ce récit de genre ! Du coup, ce n’est un polar parodique, ni une histoire sérieuse comme j’aurais pu le faire en abordant uniquement le problème des clandestins.

Nombre de vos récits accordent une place importante au sport. Comment se fait-il que le sport revienne en filigrane dans la plupart de vos récits ?

Honnêtement, je n’en sais rien ! J’ai été professeur de sport par le passé, mais d’une manière générale, je n’ai jamais eu une passion débordante pour le sport.

La "génération Scarface"
Extrait de "Fais péter les basses, bruno !"

Slimane, votre immigré, aurait pu être engagé par exemple dans un atelier de couture clandestin, plutôt que de tenter de devenir footballeur…

Je connais mieux les milieux du sport que de la couture clandestine ! Le sport me permet d’aller vers quelque chose d’universel. Et puis, cette récurrence dans mon travail est sans doute due à mes convictions. Les « gens de peu » ne possèdent pas beaucoup d’outils pour échapper à leur condition sociale, au déterminisme dans lequel ils sont plongés. S’ils ne sont pas instruits, ils ne peuvent posséder que leur corps pour s’en sortir. Ils ne leur reste que la capacité à faire souffrir leur propre corps.

Je crois aussi que cela rejoint une réflexion que je nourris sur le médium avec lequel je m’exprime : La bande dessinée est une affaire de corps ! Un lieu où le corps va exulter, au même titre que le Rock & Roll. Je me sens plus chorégraphe qu’écrivain. La BD a un fort lien avec le corps en mouvement. Et si en plus ce corps renvoie à ma volonté de traiter du déplacement social, de métaphoriser le déplacement géographique, et bien cela devient cohérent ! Cette réflexion théorique n’est pas fort étayée, mais j’aimerais la creuser...

Vous nous disiez que le Grand Prix d’Angoulême vous donnait la frite. Est-ce que cette reconnaissance a eu une répercussion sur votre travail pour « Fais péter les basses, bruno ! » ?

(Rires). J’avais cette contrainte en plus sur mes épaules ! Je me suis dit : « Putain, avec le travail qui m’attend pour le prochain festival d’Angoulême, j’ai intérêt à mettre les bouchées doubles, sinon, je ne finirai jamais ce livre ! ». Ce prix m’a forcé à travailler. J’étais déjà en retard dans la réalisation de l’album et j’ai passé six mois à dessiner pour le boucler. Mais ceci dit, j’ai été heureux de recevoir ce Grand Prix. Celui qui prétend que recevoir le Grand Prix d’Angoulême l’emmerde, c’est soit un imbécile, soit un fieffé menteur ! Cette récompense m’a conforté dans les choix que j’ai faits pour mes livres. Au-delà de ma personne, c’est aussi une manière de mettre en avant les sujets, les champs et les genres que j’ai explorés ! J’en tire une certaine fierté !

Généralement, les choix de l’Académie des Grands Prix ont toujours été décriés. Il y a toujours une bonne raison pour que l’auteur sélectionné n’ait pas le « profil idéal ». Je n’ai pas entendu un avis contraire au choix de l’Académie lorsque vous avez été choisi parmi les professionnels

Oui. Cela m’a aussi étonné ! La seule manière de jauger de la pertinence de mes propositions d’histoire pour un éditeur, c’est de voir quel est mon lectorat. Combien de lecteurs vont être séduits par mes histoires ? C’est un secret de polichinelle : je ne suis jamais un gros vendeur. Mes livres ne sont pas des best-sellers. Tout le monde le sait ! Le bon accueil de mon Grand Prix m’a interloqué ! Mais peut-être ai-je une unanimité parmi les gens du métier, mais pas par le public ! Fais Péter les Basses, Bruno ! se vend très bien. Mais il y a sans doute une relation de cause à effet. J’espère que ce Grand Prix va entraîner une dynamique et que les auteurs qui vont dans la même direction que moi, auront plus de visibilité et de reconnaissance. Une gratitude symbolique, mais aussi celle du porte-monnaie.

Lors de l’exposition qui sera consacrée à votre travail durant le prochain Festival de la BD d’Angoulême, allez-vous mettre à l’avant plan d’autres auteurs ?<br<
Oui. Il y aura un espace qui accueillera des planches de cinq auteurs dont j’apprécie particulièrement le travail. Je leur ai demandé de me confier une séquence de six planches pour les intégrer à l’exposition. Il y aura Étienne Davodeau, Manu Larcenet, Jean-Christophe Chauzy, Christian Lax et enfin Igort. J’ai apprécié les Cahiers ukrainiens d’Igort. Chauzy parle si bien avec un ton humoristique de la banlieue. Je ne ferai pas l’injure de rappeler pourquoi j’aime le travail de Davodeau. J’ai demandé à Manu Larcenet de pouvoir exposer quelques planches de son Combat Ordinaire. Blast a tout pour devenir un chef d’œuvre, mais la dimension sociale et sociologique de ce récit n’est pas encore évidente. Christian Lax a superbement mis en scène un sport populaire, un outil de souffrance du corps.

La "génération Pépé Le Moko"
Extrait de "Fais péter les basses, Bruno !".

Vous confiez depuis des années que vous désiriez plancher sur une saga de l’immigration italienne. « Bella Ciao » sera, dites-vous, la grande œuvre de votre vie !

Je n’arrête pas de repousser cette saga ! Je vais sans doute réaliser un autre livre avant. J’y vais à reculons car cette histoire s’articulera sur plusieurs volumes et un nombre impressionnant de pages. La question de l’immigration est en filigrane de mon travail jusqu’à présent. Que cela soit L’Autoroute du soleil, L’Enragé ou même Quéquette blues. Cette thématique sera le sujet principal de Bella Ciao. J’aimerais y montrer à quel point l’immigration italienne a bien fonctionné sur le modèle français et qu’elle peut servir de modèle sur celle d’aujourd’hui. Bella Ciao sera une saga familiale, se déroulant sur trois générations. Une famille d’immigrés italiens va totalement se dissoudre dans la société française.

Vous avez dit que vous risquiez de mourir en la réalisant tant elle aura de pages…

(Rires). C’est pour cette raison que je tarde à m’y mettre. J’aime trop la vie (Rires). Mais il va falloir que j’y aille car mes amis commencent à me chambrer ! Depuis le temps que j’en parle !

Baru, début octobre 2010 au Festival "Quai des Bulles" de Saint-Malo
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Des interviews :
- "Ce Grand Prix à Angoulême, ça me donne la frite !" (Janvier 2010)
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- "Les Français ont oublié que des crises comparables se sont déjà déroulées précédemment (Mai 2006)

Des chroniques d’albums :
- Fais péter les basses, Bruno !
- Pauvres Zhéros
- L’Enragé T2 & T1
- Noir
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- "Angoulême 2010 : Le palmarès scelle la réconciliation des anciens et des modernes (Janvier 2010)


Illustrations (c) Baru, Futuropolis
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