Nouvelle série venant dignement enrichir la collection WTF ?! d’Akata, Bathtub Brothers débute comme un récit de catastrophe au principe rapidement détourné. Si l’ère est bien à la réflexion autour de la collapsologie, ce champ de questionnements offre un terreau fertile à de nombreux fantasmes narratifs. Et ici, l’effondrement du monde tel que nous le connaissons se produit par le biais d’une inquiétude toute japonaise : la submersion.
En une nuit, le Japon se voit littéralement noyé. La montée des eaux surprend les habitants, qui trouvent refuge où ils peuvent et surtout dans ce qu’ils peuvent. C’est ainsi qu’Haruo, lycéen de 17 ans, se retrouve dans la baignoire familiale avec son grand frère qu’il déteste, Natsuo, véritable hikikomori version otaku, reclus dans sa chambre depuis des années.
Sur ce canevas, qui pourrait presque (presque, dit-on), glisser vers la fable écologique et politique, vers les implications du survivalisme voire vers le huis clos familial et psychologique, Toshifumi Sakurai verse au contraire avec bonheur dans la satire la plus grotesque et décapante possible. Pour un résultat hilarant pour peu qu’on ne s’effarouche d’un humour souvent sous la ceinture.
Car son héros n’a rien de glorieux. Puceau qui avait entrepris, la veille de la catastrophe, de perdre sa virginité en faisant boire le laideron de sa classe, Haruo avait flanché au dernier moment et subi les sarcasmes de son frère honni. De son côté, Natsu, tout en calvitie et crinière grasse, t-shirt sale et bidon à l’air, affiche une misanthropie sans états d’âme qui le conduit à repousser à l’eau tous les naufragés qui tentent de se joindre à eux.
Le grand n’importe quoi, déjà fermement installé sur ces bases solides, prend en fait son essor au fil des événements de ce premier volume. Entre retrouvailles improbables, situations cruelles, faune maritime acharnée et même la rencontre avec les rescapés d’un zoo, Toshifumi Sakurai s’en donne à cœur-joie.
Rien d’étonnant à cela pour ceux qui connaissent le mangaka. Toshifumi (Bargain) Sakurai nous avait déjà régalés dans ses précédentes productions. Qu’il fut juste dessinateur dans La Virginité passé 30 ans, avec un dessin insufflant une vérité criante derrière la caricature des personnages, qu’il adapte librement et en même temps soigneusement un chef-d’œuvre littéraire dans La Métamorphose, d’après Kafka, ou qu’il assume complètement ses récits débridés comme dans Ladyboy Vs Yakuzas.
Ses personnages, des bimbos aux pères bedonnants, s’avèrent immédiatement reconnaissables, leur expressivité à travers les mimiques des visages demeure frappante tandis qu’excès et grotesque des situations se révèlent toujours admirablement dosés.
Pure réussite dans son registre de détente humoristique et déjantée, Bathtub Brothers s’offre donc comme un titre sinon incontournable du moins à découvrir impérativement.
(par Aurélien Pigeat)
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Bathtub Brothers T1. Par Toshifumi Sakurai. Traduction Aurélien Estager. Akata, collection "WTF ?!". Sortie le 15 octobre 2020. 8,05 euros.