La douleur du deuil, surtout quand il s’agit de la perte d’un enfant, est l’une des plus difficiles à transcrire, que ce soit par la bande dessinée ou toute autre forme artistique. Nous nous souvenons du magnifique film de l’Italien Nanni Moretti, La Chambre du fils, Palme d’Or à Cannes en 2001. Nous retrouvons dans Paysage après la bataille d’Éric Lambé et Philippe de Pierpont la même pudeur, la même tristesse lancinante, le même désespoir – mais dans un style graphique évidemment très différent. Ce titre évoque aussi le Polonais Andrzej Wajda et son film de 1970, et il est vrai que l’ouvrage s’approche d’une certaine forme de cinéma dans sa façon d’appréhender l’espace et les sentiments.
Nous rencontrons Fany dans un musée. Elle est comme happée par un immense tableau représentant une scène de bataille. Le chaos des corps démembrés et des chevaux hennissant à Waterloo est à la mesure de son cataclysme intime. Elle est dévastée par le décès accidentel de sa fille. Nous n’apprendrons cet événement que plus loin, et d’abord par petites touches saisissantes.
Nous suivons ensuite Fany dans son refuge, un camping situé dans une morne et plate campagne, aussi désolée qu’elle-même. Dans ce décor qui n’a rien pour l’aider à ne pas sombrer, elle fait la rencontre des quelques habitants du lieu. Tandis que l’hiver s’installe, elle se lie – plus ou moins – avec le gardien esseulé, Pierrot, le couple de retraités, Gina et Jean, et Jean-Louis, un ancien boxeur effrayant et désespéré. Timidement, ces personnages échangent quelques mots, puis apprennent à se connaître, voire à se livrer.
L’ouvrage du dessinateur Éric Lambé et du scénariste Philippe de Pierpont – c’est le quatrième qu’ils réalisent ensemble – est empreint d’une profonde mélancolie, comme celle que nous pouvons entendre dans Blackbird des Beatles (1968) et qui marque le début du cheminement moral de Fany. Mais cette profonde mélancolie est décrite sans pathos.
Alors que le livre fait plus de 400 pages, les auteurs ont employé une économie de moyens. Économie du trait d’abord : certaines cases sont d’un minimalisme qui s’approche de l’abstraction. Aucun élément inutile ne vient distraire de l’essentiel. Économie des couleurs également : une bichromie aux tons sépia (lavis et brou de noix !) n’empêche pas quelques fulgurances. Économie de paroles enfin : de nombreux passages sont muets, les sentiments n’ayant ici nul besoin d’être explicités. Mais la parole s’avère finalement libératrice et salutaire.
Le travail sur la forme permet dans ce livre de suggérer les émotions, sans jamais les souligner lourdement. À l’horizontalité du paysage s’oppose la verticalité des arbres. À la noirceur du moral de Fany s’oppose la blancheur de la neige qui envahit peu à peu les pages. Aux détails réalistes s’opposent des passages oniriques à la fois freudiens et cauchemardesques. La répétition des motifs minéraux et organiques sème le trouble et rappelle la douleur morale accablante qui écrase cette mère comme orpheline de son enfant.
Comment vivre, ou au moins survivre, après une épreuve dont il semble impossible de se remettre ? Les auteurs ne proposent aucune solution. Ce n’est pas leur propos. Ils suggèrent simplement qu’il peut être possible de continuer avec cette déchirure, même s’il faut admettre que certaines choses ne seront plus jamais comme avant.
Une partie des dessins originaux d’Éric Lambé sera exposée en décembre à la Galerie Martel, parmi d’autres de ses travaux. Ce sera l’occasion de se replonger dans ce travail d’une grande finesse et d’une subtile poésie, où la difficulté du sujet ne verse jamais dans le pessimisme gratuit.
(par Frédéric HOJLO)
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Paysage après la bataille - Par Éric Lambé et Philippe de Pierpont - Actes Sud / Frémok - 17 x 24 cm - 420 pages en quadrichromie - couverture cartonnée - parution le 19 octobre 2016 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.
Exposition à la Galerie Martel du 9 décembre 2016 au 26 janvier 2017.
Vernissage le jeudi 8 décembre à partir de 18 h 30.
Dédicace le samedi 10 décembre à partir de 15 h.
17, rue Martel - 75010 Paris
14 h 30 - 19 h du mardi au samedi
contact@galeriemartel.fr / 01 42 46 35 09
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