Pour les non-connaisseurs, rappelons qu’à l’origine, la bande dessinée Watchmen fut publiée chez DC Comics de 1986 à 1987. Créée par le scénariste Alan Moore, dessinée par Dave Gibbons, et colorisée par John Higgins, ce monument est considéré aujourd’hui par beaucoup comme le meilleur comic book jamais écrit.
Dans un univers alternatif, le monde est au bord de la Troisième Guerre mondiale, opposant les États-Unis (qui ont gagné la Guerre du Vietnam), et le bloc de l’Est.
Le Comédien, un ancien justicier expéditif ayant combattu pour le gouvernement, meurt balancé d’un immeuble. Le taciturne Rorschach mène l’enquête. Sociopathe adepte de méthodes radicales, il est persuadé que le coupable est un ancien membre des Watchmen, leur groupe de vigilants aujourd’hui dissous, comprenant également le Hibou, le Spectre Soyeux, Ozymandias, et le Dr. Manhattan, doté de pouvoirs immenses.
Inutile de dire que cette série, dont l’action se déroule avant l’œuvre originelle, et centrée sur les origines des justiciers, était attendue au tournant. Après quatre numéros, cette parution est en effet loin de démériter. Certes, nous ne sommes pas de la précision chirurgicale du découpage et des textes du scénariste anglais Alan Moore, mais ce nouvel éclairage sur ces personnages emblématiques est très pertinent.
Pour l’occasion, DC Comics a confié ces aventures à la crème des comics : nous y retrouvons entre autres Joe Michael Straczynski, Darwyn Cooke, Joe et Andy Kubert, Brian Azzarello, Adam Hughes, Amanda Conner, et J. G. Jones.
Chaque série contenue dans cette publication possède sa propre tonalité. Ainsi, les mémoires d’Hollis Mason, le premier hibou, guide le lecteur au fil des pages ses déroulant dans les années 1940 consacrées aux Minutemen, le premier groupe de vigilants auquel ont participé le Comédien ou Sally Jupiter, le premier Spectre Soyeux et mère de Laurie, le second Spectre appartenant aux Watchmen.
Au fil des pages sans concession de la biographies de Mason, la série se penchant sur les Minutemen est glauque à souhait, insiste sur les vices de ses membres, et prend pour toile de fond la prostitution enfantine. Nous retrouvons aussi Sally Jupiter dans la série consacrée à sa fille, en pleine période hippie. Changement de ton radical, avant que le désir de justice ne rappelle Laurie vers son destin.
Que ce soit au cours d’échanges touchants entre le premier Hibou et son héritier Dan Dreiberg où il y est question de transmission, à travers la description d’une ville suintant la monstruosité dans la série consacrée à Rorschach, ou dans les pages lumineuses et glaçantes de l’ascension d’Ozymandias, chaque série met en valeur les autres et constitue une rupture de ton idéale pour compléter le puzzle formé par ces justiciers d’un monde alternatif.
Le découpage constitue parfois un excellent exercice de style, notamment celui de la série consacrée au Dr. Manhattan dans le numéro 4. La composition des pages y est orchestrée de manière quantique, divisée en deux réalités autour d’un axe central, et suit les interrogations de ce qui fut autrefois le docteur Jon Osterman, transformé en entité bleue alors qu’il voulait récupérer une montre dans un laboratoire. L’épisode s’achève sur cette phrase : "Ce n’est pas la montre, mais le temps qui est cassé".
La réussite de Before Watchmen doit beaucoup également aux dessins, épousant au plus près le caractère, l’époque, et le ton associé à chaque personnage. Mention spéciale au style rétro de Darwin Cooke sur Les Minutemen, aux rendus underground et surchargés de Lee Bermejo pour Rorschach, et aux compositions très élégantes et mathématiques de Jae Lee pour Ozymandias.
Pour l’anecdote, le dessinateur Joe Kubert est malheureusement décédé pendant la réalisation de l’épisode du Hibou du tome 4. Il assurait l’encrage et fut remplacé au pied levé par, excusez du peu, Bill Sienkiewicz !
Les collectionneurs auront noté que chaque numéro est édité en deux versions A et B, une couverture en crayonné ornant les éditions B. Et pour être complet, sachez que quelques pages du Corsaire Sanglant viennent boucler chaque numéro, dans l’esprit de la fameuse BD de pirates Les Contes du Vaisseau Noir, que lisait un personnage secondaire dans le Watchmen originel. La boucle est bouclée.
(par Thomas Berthelon)
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