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Benjamin Flao : « Il y a une forme de musique dans le simple fait de mettre un trait noir au milieu d’une page blanche »

Par Morgan Di Salvia le 20 novembre 2009                      Lien  
Le diptyque {Mauvais garçons} vient de paraître chez {Futuropolis}. Le dessinateur Benjamin Flao s’est inséré dans une intense histoire d’amitié et de musique qu’avait vécue son scénariste Christophe Dabitch. Cet étonnant voyageur nous explique comment il est arrivé à la bande dessinée, et dans quel état d'esprit il a réalisé cette histoire rythmée par le flamenco.

Les amateurs de carnets de voyage vous ont découvert avec vos carnets en Sibérie et en Erythrée. Il y a deux ans, vous avez débuté en bande dessinée avec La Ligne de fuite. Aujourd’hui, vous sentez vous plus dessinateur voyageur ou dessinateur de bande dessinée ?

Je voyage moins. Je suis plus sédentaire de par ma situation familiale : je suis papa depuis peu. Cette paternité correspond au moment où je me suis mis à faire de la BD. Mais, je reste très attaché à cette idée de carnets : j’ai l’impression d’être tout le temps en train d’observer les choses autour de moi. J’aime ce côté contemplatif des choses ; la partie narrative étant quelque chose que je découvre, que j’apprends en ce moment. A terme, j’aimerais pouvoir faire un hybride entre les deux.

Donc, aujourd’hui vous êtes plutôt…

Un dessinateur de bande dessinée puisque c’est ce que m’a occupé ces dernières années. Et puis, quand je voyagerai à nouveau, ça changera !

Benjamin Flao : « Il y a une forme de musique dans le simple fait de mettre un trait noir au milieu d'une page blanche »
Mauvais garçons
© Flao - Dabitch - Futuropolis

Comme dans Rébétiko de David Prudhomme, vous devez affronter la difficulté majeure d’une bande dessinée musicale : l’absence de son. Quel a été votre angle d’attaque pour rendre les sensations de la musique ?

C’est un vieux fantasme, une vieille frustration de dessinateur, de ne pas pouvoir communiquer par le son. Du coup c’est forcément quelque chose qui travaille ! Quand j’ai lu le scénario de Christophe Dabitch, le défi à relever m’a plu. D’autant que le récit était une histoire très personnelle pour Christophe. C’est une histoire d’amitié qu’il a vécue avec Manuel et Benito. J’ai eu un peu de mal à trouver ma place dans ce trio. J’ai eu l’impression d’être un peu un intrus. Toute la partie musicale, du coup, a été pour moi une façon de m’accaparer quelque chose de personnel.

Les personnages de Manuel et Benito sont inspirés d’amis de Christophe Dabitch
© Flao - Dabitch - Futuropolis

Vous avez pris un chemin très différent de celui de David avec Rébétiko… Il reste dans un gaufrier, alors que vous n’hésitez pas à faire exploser les cases…

Oui, bon. C’est le hasard qui fait que nos livres sortent en même temps chez le même éditeur. On ne s’est pas consulté. J’ai travaillé de façon instinctive. Quand j’ai essayé de retranscrire cette émotion musicale, c’est cette forme qui est venue. On parle d’explosion, mais il faut souligner que nous restons tout de même dans une narration assez stricte. L’écriture de Christophe pour me décrire les scènes musicales était scénarisée, c’est à dire : « entrée du guitariste, entrée du premier chant, deuxième chant, etc. ». Nous sommes restés dans quelque chose de narratif et de séquentiel. On ne peut pas parler de véritable explosion, il y a quand même une narration. J’ai essayé de mélanger, mais ça s’est surtout fait instinctivement.

Est-ce que vous avez écouté de la musique en dessinant ces albums ?

Oui, j’ai écouté beaucoup de flamenco, mais à certains moments le silence est important, justement pour mettre la musique en relief. Ecouter la page, savoir ce que le silence propose et comment on peut arriver à faire sortir la musique. Après c’est très relatif, on parle de sensations, mais on reste toujours dans quelque chose de muet. J’ai beaucoup pensé à Paul Klee et à Kandinsky qui ont travaillé sur la musique à partir de l’image. Leurs approches m’intéressaient beaucoup. J’ai essayé des choses, et j’espère à avoir frôlé quelque chose d’un petit peu musical… Mais je ne crois pas être arrivé à faire quelque chose de véritablement musical.

On doit comprendre un peu d’amertume ?

Non, c’est juste que c’est quelque chose d’impossible, et tant mieux ! C’est un fantasme et ça le restera toujours. La musique restera toujours la musique et le dessin toujours le dessin. Je crois qu’il y a une forme de musique dans le simple fait de mettre un trait noir au milieu d’une page blanche. C’est une percée dans une plage silencieuse. On y met un bruit, juste ça c’est musical.

Alors toute la bande dessinée est musicale…

Exactement, si on la prend sous cet angle !

Qu’est-ce qui vous a mis sur la piste du flamenco ?

C’est l’idée de Christophe. Il voulait raconter l’histoire de ses amis musiciens et il me l’a proposé.

Vous aviez un intérêt pour cette musique ?

Pas spécialement. Je pense que Christophe connaissait mon amour pour la musique tsigane. Sans doute que la posture un peu far west qu’ont les "flamenquistes" a dû jouer également car je lui avais déjà parlé de mon envie de faire un western un jour. J’avais aimé travailler avec lui sur La Ligne de fuite, et j’étais curieux de voir ce qu’il allait faire dans un récit qui n’était pas historique, ce qui était sa marque de fabrique jusqu’ici. J’étais très flatté qu’il me propose de dessiner une histoire si personnelle.

Une posture "far west" qui a inspiré le dessinateur
© Flao - Dabitch - Futuropolis

Votre première bande dessinée parlait d’un poète. Celle-ci de deux musiciens et danseurs. Ca n’est pas le fruit du hasard ?

Et bien, il faudrait plutôt poser la question à Christophe. C’est lui qui aime jouer avec les mots et est sensible à tout ça. Je ne suis qu’un exécutant de ses histoires.

Mais ce sont tout de même des univers qui vous attirent ?

Oui, mais il y a beaucoup d’autres choses qui m’attirent.
Christophe et moi, nous nous sommes rencontrés lors du festival Etonnants voyageurs. A l’époque, il réalisait un carnet de voyage en Serbie avec David Prudhomme, ainsi qu’une revue, aujourd’hui disparue, qui s’appelait La Lunette. Il en était le rédacteur en chef. C’était un peu la revue XXI avant la lettre, et avec beaucoup moins de moyens ! J’ai collaboré à La Lunette, et un jour Christophe m’a proposé le scénario de La Ligne de fuite. Ca a noué quelque chose de fort entre nous.

Parlons des tons que vous utilisez dans Mauvais garçons. On est toujours dans des sépias, des lavis qu’on croirait fait au café. Quelle est votre méthode ?

Oui, c’est vrai que le café c’est un bon procédé. Mais en fait, j’avoue qu’une partie de l’impression finale n’est pas de ma volonté. Les planches originales ne ressemblent pas vraiment à ça. Dans les albums, on est vraiment dans de la bichromie. Moi, j’avais proposé quelque chose où le trait était véritablement gris foncé ou noir. A l’impression tout est devenu sépia, marron, même la ligne. C’est un accident d’interprétation. Je n’ai pas été là pendant l’étape finale, j’étais en train d’avoir un enfant. Des choix ont été faits sans moi. J’ai été un peu surpris au début, décontenancé. Aujourd’hui, j’ai de bons retours des lecteurs. C’est tout ce qui compte. Même s’il m’a fallu un peu de temps pour digérer le fait que la planche que j’avais rendue à mon éditeur n’était pas la même que celle qui était imprimée dans l’album !

Un extrait de "Mauvais garçons"
© Flao - Dabitch - Futuropolis

Finalement c’était un accident heureux ?

Oui. Ce qui m’importait c’est que le lecteur ressente les mêmes choses que moi quand j’ai découvert le scénario. Les premiers retours que j’ai vont dans ce sens.

Pourquoi avoir choisi de séparer l’histoire en 2 volumes et pas comme un long récit ?

Au départ c’était un long récit. C’est un problème technique de pagination et de coût qui nous a empêché de le faire paraître d’un bloc. Je trouve ça dommage. Heureusement, il n’aura fallu attendre qu’un mois entre les deux parties. Le temps nous dira si c’était un bon choix.

Benjamin Flao à Bruxelles
en novembre 2009

Pour conclure, j’ai une petite question traditionnelle : quel est le livre qui vous a donné envie de faire ce métier ?

Je crois que c’est arrivé très tôt. Enfant. D’abord l’illustrateur Pierre Joubert. Il faisait partie de ma famille, par alliance. Je me suis très tôt retrouvé avec des images de lui sous les yeux. Il faisait des couvertures de romans d’aventure. Puis, c’est Franquin. Gaston Lagaffe. C’est la première fois où j’ai commencé à recopier les dessins de quelqu’un. Après, il y en a eu des tonnes d’autres !

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photos © M. Di Salvia

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