Benjamin von Eckartsberg & Thomas von Kummant : « Gung Ho est une société d’adolescents qui vivent des événements hors normes »

Comment avez-vous débuté Gung Ho alors que vous aviez entamé l’adaptation de La Chronique des Immortels ?

Thomas Van Kummant : Nous avions effectivement commencé La Chronique des Immortels pour un éditeur allemand, mais vous savez sans doute que l’Allemagne est un petit marché pour la bande dessinée, qui rapporte peu. Après que le premier livre fut sorti, il fallut attendre pour le second, car j’ai dû continuer à réaliser des travaux complémentaires pour pouvoir subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille.

Benjamin von Eckartsberg : L’éditeur nous a donné une avance sur droit, qui nous permettait de tenir deux mois. Il s’attendait à ce que nous puissions réaliser dans un délai aussi court le travail d’un an, voire de deux ans...

Mais l’arrivée de Paquet a changé la donne ? En mieux pour vous ?

Benjamin von Eckartsberg : Oui, Pierre Paquet a donc acquis les droits de la série, et nous étions enthousiastes. Mais c’était compliqué pour lui d’attendre aussi longtemps entre chaque tome. Il a donc finalement réalisé une joint-venture avec l’éditeur allemand, afin que chacun puisse remettre un peu d’argent et nous permettre de finir le livre.

Malgré le succès, vous avez tout de même choisi de développer Gung Ho en parallèle ?

Benjamin von Eckartsberg : Thomas était content d’adapter la série de romans de La Chronique des Immortels en bande dessinée, mais il ressentait également le besoin de développer son propre univers.

Thomas Van Kummant : Après la sortie de notre bande dessinée de la Chronique, nous avons reçu beaucoup de propositions d’adaptations en jeu vidéo ou en films. Mais à chaque fois, nous devions rendre à César ce qui était à César. Tout en pensant que nous ne rajeunissons pas, j’ai estimé qu’il serait intéressant de réaliser une bande dessinée qui nous appartiennent à 100%.

Mais cela vous imposait de faire un choix et d’abandonner La Chronique des Immortels ?

Chaiko, le nouveau dessinateur de "La Chronique des Immortels"

Photo : CL Detournay

Thomas Van Kummant : Une extrémité à laquelle nous ne pouvions non plus nous résoudre. C’est pour cela que nous avons cherché longtemps un nouveau dessinateur pour prendre la suite de cette série. Et finalement, nous l’avons trouvé en Chine : c’estt Chaiko. Nous voulions surtout respecter les lecteurs qui aiment beaucoup cette série, et prendre en compte la longue attente qu’ils ont eu à subir entre les différents épisodes.

Benjamin von Eckartsberg : Nous sommes très satisfaits du travail de Chaiko, car il ne tente pas de reproduire ce que faisait Thomas, mais prend beaucoup de temps à travailler les détails et l’atmosphère de la série, même s’il travaille assez vite ! Grâce à Chaiko, nous avons donc pu nous concentrer sur Gung Ho.

Quels étaient alors vos désirs en lançant une nouvelle série ?

Benjamin von Eckartsberg : J’avais eu cette idée entre les deux premiers tomes de la Chronique des Immortels. Parfois, vous travaillez un scénario en vous demandant ce que se passerait si telle chose arrivait. Et parfois, une idée d’univers prend forme, comme si elle faisait écho à une réalité, quelque chose qui était toujours au fond de vous.

C’est ainsi que j’ai développé Gung Ho. Le déclic s’est produit alors que je feuilletais une revue d’illustrations avec beaucoup de voitures. Cela n’était pas vraiment le style que j’appréciais, mais tout d’un coup, le détail d’un dessin s’est imposé à moi : une petite colline envahie d’herbes jaunes, avec des feux de signalisation, et près desquels était assise une jeune femme.

Et cela a éveillé des rêves que j’avais conçus avec des adolescents vivant dans un monde post-apocalyptique, et utilisant des fusils car ils évoluaient dans un lieu en dehors de la sécurité de la maison. Gung Ho s’est ainsi imposé à moi.

Vous partiez donc d’une situation assez simple, mais potentiellement riche...

Benjamin von Eckartsberg : Le cadre de Gung Ho permet de développer bien des tensions : des conflits entre les adolescents isolés, entre différents groupes d’adolescents, entre les adolescents et les adultes, entre les humains et le monde extérieur. C’est surtout intéressant de pouvoir travailler sur une société à part entière, et pouvoir jouer avec celle-ci.

Thomas, quelle fut votre première réaction lorsque Benjamin vous a parlé de cette idée de base ?

Thomas Van Kummant : Nous étions en dédicace à Amiens, et j’ai immédiatement été conquis par ce projet. Nous étions tellement excités que nous imaginions placer des lieux d’Amiens comme cadre de la série. Ma propre fille étant justement dans cette âge parfois complexe, je côtoyais cet éveil de l’adolescence et comprenais encore mieux comment le mettre en scène !

Benjamin von Eckartsberg : J’ai surtout essayé de me souvenir de mes rêves d’adolescents, quand on a l’ambition de prendre de grandes responsabilités pour briller devant la fille qui vous attire, tandis qu’en revanche, on vous considère comme un élément mineur : j’ai justement voulu travailler ce paradoxe et la frustration qu’elle engendre. Et bien entendu, j’ai voulu présenter les meilleurs héros qui soient : ceux qui ne voulaient pas le devenir, mais qui y sont poussés par les conditions de la vie.