Benoît Fripiat quelle est votre lecture de l’évolution de Spirou ?
Benoît Fripiat : C’est quand même un personnage très particulier. Non seulement, il appartient à Dupuis mais c’est aussi le personnage-phare de notre maison d’édition, à l’instar de Tintin pour les éditions du Lombard et Casterman. Dans l’histoire de la BD franco-belge, on constate qu’il y a quelques personnages comme ceux-ci qui résument tout l’état d’esprit d’un éditeur. En un peu plus de 75 ans d’existence, le personnage et son univers ont évolué, ce qui est un peu normal lorsque l’on voit la ribambelle d’auteurs talentueux qui se sont succédé, que ce soit Jijé, Franquin ou encore Tome & Janry, ce qui a à chaque fois donné un coup de boost formidable à la série, aussi bien scénaristiquement que graphiquement.
Et même en terme de message, la série à beaucoup évolué car, de 1938 à nos jours, les mentalités ont changé. Quant à la collection de one-shots, elle a aussi permis à d’autres auteurs de s’emparer du personnage, non pour le parodier ou s’en moquer mais vraiment pour lui donner une nouvelle existence. Ce n’est pas un hommage, c’est plutôt une nouvelle lecture :" si j’avais fait Spirou, j’aurais raconté tel genre d’histoire". Spirou, c’est une histoire longue, riche qui perdurera car encore aujourd’hui, il y a des auteurs de talent qui prennent le relais et ce qu’ils font est très excitant.
Initialement, Yoann & Velhmann avaient signé pour trois albums. Aujourd’hui, une quatrième BD du tandem intitulée "Le Groom de Sniper Alley" est annoncée pour novembre. On en conclut que vous êtes satisfait de leur travail, qu’ils sont reconduits dans un nouveau contrat. C’est bien cela ?
Oui, nous sommes très contents du boulot qu’ils ont fait et nous trouvions normal de reconduire l’équipe Yoann & Velhmann. Je pense aussi, en tant qu’éditeur, qu’il est plus compliqué de reprendre une série que de faire un one-shot. Dans un album unique, vous donnez tout d’un coup et puis c’est terminé. Tandis que là, en reprenant une série, on intègre une famille et on s’inscrit dans la succession d’un Franquin et des autres. C’est quelque chose de très compliqué et cela demande du temps car il faut trouver ses marques. Maintenant, Yoann et Velhmann les ont vraiment trouvées. On sait ce qu’ils veulent faire, c’est de l’aventure humoristique au 21ème siècle. Le but aussi est de ne pas seulement parler aux nostalgiques mais surtout, toucher la jeunesse d’aujourd’hui.
Justement, parlons-en. Nous nous rappelons d’une séance de dédicaces dans une librairie bruxelloise à l’occasion de la publication d’Alerte aux Zorkons durant laquelle les auteurs avaient plaisanté sur le fait que les personnes qui attendaient dans la file d’attente pour cette BD jeunesse étaient uniquement des adultes de 40 à 60 ans... Par ailleurs, on se souvient que le duo de Morvan & Munuera avait été très critiqué pour avoir un peu trop modernisé la série-mère. Comme avant eux La Machine qui rêve, le dernier album de Tome & Janry dans cette collection. Finalement, quelle est la meilleure recette selon vous pour contenter tous les publics de Spirou & Fantasio ?
C’est très difficile de répondre à cette question... C’est vrai qu’à chaque sortie, on est attendu au tournant par des gens qui ont connu Spirou dans leur enfance et qui attendent des nouveaux auteurs qu’ils s’inscrivent dans la ligne droite de ce que Franquin avait fait. Cette BD est une série d’aventure humoristique mettant en scène un personnage qui est habillé en groom. Fabien Velhmann a trouvé un running gag qui expliquerait à chaque fois pourquoi Spirou a mis cette tenue. D’un côté, il faut respecter une certaine tradition mais, dans le même temps, il faut proposer une histoire moderne, qui soit en phase avec le monde d’aujourd’hui et où l’humour a toute sa place. Le passé de Spirou fait sa force mais c’est aussi sa faiblesse, car comment faire aimer aux jeunes d’aujourd’hui un personnage qui s’habille quotidiennement en groom et qui porte un calot ridicule ? C’est compliqué mais c’est ce genre de défi qui nous permet d’apprécier la créativité d’un scénariste. Il est très difficile de proposer des histoires d’aventures humoristiques. On connaît les anciennes qui sont devenu des classiques mais c’est moins évident d’identifier les nouvelles.
Revenons un instant sur la série de one-shots. Nous savons que Frank Pé et Zidrou préparent un album. Émile Bravo a aussi annoncé dans nos pages qu’il travaillait à la suite du Journal d’un ingénu. Quels sont les autres albums prévus dans cette collection ?
Il y a beaucoup d’auteurs qui souhaiteraient faire un Spirou. Il y a des discussions mais tout n’aboutit pas toujours... Dans les projets signés, il y a Marc Hardy et Zidrou. Vous avez cité la BD de Frank Pé avec Zidrou ainsi que le deuxième d’Émile Bravo. Il y a aussi un Lebeault-Filippi qui est signé.
Parmi tous les one-shots, quel est l’album qui a le plus touché l’enfant qui est en vous ?
Je ne peux pas répondre à cette question (rires). Ce serait comme me demander lequel de mes enfants je préfère... Ce que je peux dire c’est que j’aime l’éclectisme qui caractérise cette collection. Certains pensent que je devrais aller plus loin en intégrant d’autres styles graphiques et d’autres types de narration mais je trouve que les albums qui ont été publiés jusqu’à aujourd’hui ont toute leur place. Certains auteurs ont le droit de faire plusieurs albums, ce qui représente une petite entorse au cahier des charges. M’enfin bon, quand il y a des pressions de toutes sortes, on ne peut pas, par exemple, se mettre dans la peau du seul type qui refusera à Émile Bravo de faire un deuxième bouquin alors que le premier a cartonné tant au niveau critique que public (rires).
Voir en ligne : Le site de Spirou
(par Christian MISSIA DIO)
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En médaillon : Benoît Fripiat
Crédits photos : Christian Missia Dio
Le site des éditions Dupuis :
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