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Bianco & Dalena : "On peut parler de choses graves, tout en divertissant."

Par Nicolas Anspach Charles-Louis Detournay le 31 août 2009                      Lien  
Le second tome d'Ernest & Rebecca vient de sortir. Histoire atypique d'une petite fille qui s'entiche de son microbe pour oublier la déchirure de ses parents. L'occasion de rencontrer leurs auteurs, dont le scénariste avait aussi signé l'étonnant Billy Brouillard.

Bianco & Dalena : "On peut parler de choses graves, tout en divertissant."Comment est née l’idée de raconter l’itinéraire d’une famille décomposée dont la petite fille se lie d’amitié avec son microbe ?

Bianco : À la base, je voulais moi-même dessiner l’histoire d’une petite fille et de ses microbes, en l’adaptant en strips. Mais, je désirais ardemment travailler avec l’un de mes meilleurs amis, Olivier Dutto, l’auteur des Petits Diables chez Soleil. Il m’a aidé à planter l’univers tel que nous le connaissons aujourd’hui, et nous cherchions alors un dessinateur qui allait donne une vision jolie et mignonne de l’histoire. Via Barbara Canepa, j’ai donc pris contact avec Antonello Dalena, un ancien du studio Disney en Italie. C’est donc ce mélange doux-amer qui est intéressant : un scénario qui peut parler de choses graves tout en divertissant, avec un joli univers tout mignon, un dessin bien rond, accessible au grand public, et des couleurs très Disney !

N’était ce pas une manière de dire que l’univers des enfants n’est pas toujours rose qu’on pourrait le croire ?

Bianco : Tout à fait. Il ne faut pas prendre les enfants pour des imbéciles. C’était aussi un moyen de s’adresser aux parents pour en faire un vecteur familial. Ce que je regrette dans la BD franco-belge, c’est que certaines séries ou récits demeurent en surface, malgré le travail de grands auteurs tels que Cauvin (que j’adore) : ils n’osent pas toujours aborder le fond du problème. A contrario, on peut aussi lire la BD intimiste comme celle de l’Association, mais qui demeure souvent très lourde et presque inaccessible pour le grand public. Pourquoi ne pas faire les deux ? Une série amusante, où les enfants peuvent se reconnaître, et tout en trouvant parfois des solutions à leurs problèmes. Des parents nous ont ainsi expliqué que cette BD leur avait été utile pour parler notamment du divorce …

Recherches
(c) Dalena, Bianco & Le Lombard

Était-ce un objectif premier que de traiter ainsi la séparation ?

Bianco : Oui, au début, je désirais plus aborder le thème du divorce, que celui de la maladie. Mais, je craignais de demeurer dans le pathétique. Effectivement, vu ma culture franco-belge, je redoutais de finir toujours sur un gag ‘peau de banane’ sans parvenir à relever le tout. Les Américains, tel Watterson avec Calvin & Hobbes, ont détourné le problème en enlevant la chute, tout en conservant l’esprit de la narration. J’ai essayé de m’en inspirer : transcender la chute, marrante ou pas, pour maintenir le but premier : l’évocation d’une tranche de vie. Les lecteurs ont assimilé ce principe, car malgré ce qu’on peut croire, ils ne sont pas si bêtes que cela.(Rires)

Danela : En fait, il n’est pas capable de faire rire, c’est surtout cela le problème ! (Rires).

En parlant d’esprit franco-belge, vous employez tout de même une des ficelles classiques du scénario : un duo, tel celui de Cubitus et Sénéchal, …

Bianco : Je ressens surtout l’influence de Watterson. Dans les histoires humoristiques, il y a généralement un faire-valoir qui vient mettre en relief le personnage principal. Curieusement, j’ai l’impression que Rebecca est plus intéressante qu’Ernest. Dans le deuxième tome qui vient de sortir, nous avons développé les autres personnages, la grande sœur et les parents, qui permettent d’enrichir l’univers de notre duo.

(c) Dalena, Bianco & Le Lombard

Vous parliez de réactions de vos lecteurs, on peut se douter que le thème de vos histoires doivent vous valoir quelques lettres assez touchantes ?

Bianco : On en a reçu quelques unes, dont celle d’un père de famille en plein divorce. Il avait donné l’album à son enfant, en espérant que cela puisse l’aider. J’ai aussi reçu deux ou trois lettres de jeunes dépressifs : Ils étaient heureux qu’on évoque dans la bande dessinée, des adolescents ayant des angoisses par rapport à la mort. Pour eux, le fait d’en parler dédramatise la situation. Le sexe, le divorce et la mort sont des sujets très tabous. Dans les années 1980, on a ouvert le débat sur le divorce. Mais pour le reste, il y a encore bien du travail à entreprendre.

Antonello Dalena, en janvier dernier à Angoulême
(c) Nicolas Anspach

Pour revenir à votre méthode de travail commune, comment fonctionne votre duo ?

Bianco : Antonello préfère recevoir un scénario écrit et faire son découpage. Le souci, c’est que je suis assez directif.
Danela : Je lui dis alors : « Mais laisse-moi un peu m’exprimer ! ».
Bianco : En réalité, j’ai besoin de faire un story-board assez précis pour concevoir le récit. Et donc, il est obligé de s’en inspirer, ce qui n’est pas très gratifiant pour lui, même s’il y amène sa patte et des idées.

Vous pourriez cacher le story-board, de ne pas le lui envoyer…

Bianco : C’est effectivement ainsi que nous allons procéder pour le troisième tome. Nous voulions travailler l’expérimenter sur le second album, mais comme nous étions forts en retard, nous avons dû reproduire le même schéma.

Comment cette série a-t-elle atterri au Lombard ? Vous êtes plutôt un « auteur Soleil » !

Bianco : J’avais envie de travailler avec d’autres personnes. Et comme Antonello avait signé Sybil, la fée cartable avec Michel Rodrigue au Lombard et s’y sentait bien, notre choix s’est naturellement porté vers eux.

Danela, qu’est-ce qui vous a plu dans Sybil, la fée cartable ?

Danela : J’adore les ambiances Fantasy que me crée Michel [Rodrigue]. Je prends cela un peu comme un jeu, car il me laisse plus d’espace pour y apporter ma part de fantastique, et c’est très agréable d’avoir cet univers-là dans une série qui se passe pourtant dans notre quotidien.

Lancer deux séries en même temps, c’est tout de même une gageure !

Danela : Chaque série va connaître un album par an. Il faut savoir qu’en Italie, on fait un album par mois, pour les journaux qui sortent en kiosque. Pour moi, cela ne pose donc pas de problème au niveau de la rapidité. J’essaye surtout que les deux séries aient chacune leur référence et leur code graphique, ce qui n’est pas toujours évident car je travaille aussi avec la même coloriste ! Il faut envisager des personnages de types différents, pour diversifier les deux séries afin d’éviter qu’elles ne se parasitent. Heureusement, sur la Fée Cartable, c’est une autre personne qui s’occupe des encrages. Un héritage de Disney, où tout est compartimenté : un premier fait le story-board, un autre le crayonné, le suivant réalise les encrages, etc.

Vous travaillez encore pour Disney ?

Danela : Oui. J’ai fait de petits travaux pour Witch, et réalisé le livre de Wall-e, ainsi que différentes illustrations. Cela me plaît de collaborer encore un peu avec eux, mais j’essaie de me concentrer sur mes albums du Lombard.

Bianco, en tant que dessinateur et scénariste, vous avez également signé le poétique Billy Brouillard, qui a connu un très beau succès. Comment est-ce que Barbara Canepa a accueilli ce projet ?

Bianco : J’ai eu de la chance : je voulais faire des livres pour la jeunesse, comme ceux édités au Seuil. Entendant cela, Jean Wacquet, Mourrad Boudjellal et Barbara Canepa m’ont donné carte blanche : je pouvais faire ce que je voulais, en prenant le temps qu’il faudrait. Qu’est ce que vous voulez répondre à cela ? Mourrad m’a dit qu’il allait me trouver un espace. Là-dessus, Barbara est arrivée avec sa collection Métamorphoses, tout se goupillait vraiment bien !

Comme avec Ernest & Rebecca, c’est le domaine de l’enfance que vous y abordez. Mais l’album ne leur est pas uniquement adressé ?

Bianco : J’essaie de me relier à mes souvenirs lorsque j’écris. Même si je crois bien ressentir les enfants, je ne suis pas certain que c’est à eux que je m’adresse avec Billy Brouillard. Pour Ernest et Rebecca, je m’adresse autant aux enfants, qu’aux parents. Mais concernant Billy, j’ai avant tout essayé de me faire plaisir, tout en pensant le destiner aux adultes. Curieusement et malgré quelques images plus dures, comme celle de la petite fille avec des couteaux dans les yeux, j’ai des lecteurs de douze ans qui nt complètement dans le monde de Billy. C’est sans doute dû au dessin peu réaliste, car le sang ne sort pas des blessures. En réalité, j’emploie des codes auxquelles ils sont habitués dans les séries télévisées comme Bob L’Éponge ou les Simpson. Bien sûr, les bibliothécaires peuvent parfois être choqués en voyant le dessin brut, mais en lisant l’album, ils changent souvent d’avis. De leur côté, les adultes accompagnent la lecture, car généralement, ce sont les trentenaires qui le lisent à leurs gamins.

Y a-t-il une inspiration autobiographique, avec ce petit garçon qui s’enferme dans le grenier avec ses livres ?

Bianco : Oui, c’était moi petit, solitaire. Quand ma sœur est arrivée, il y a eu un rapport un peu bizarre avec elle. C’est totalement autobiographique.

Après ce succès, un spin-off de Billy Brouillard est-il prévu ?

Bianco : Oui. Je voulais effectivement réaliser un livre central avec des poèmes et une part d’encyclopédie, ainsi que cet album est paru, et d’un autre côté, plein de petits livres satellites qui s’y rattacheraient. Nous sortirons en novembre un coffret regroupant trois petits livres intitulés « Les comptines Malfaisantes ». On raconte même que c’est le diable en personne qui les aurait rédigées.

Vous aimeriez continuer cette exploration ?

Bianco : Bien entendu. Ce qui a été publié est à la base du reste. Par exemple, je voudrais reprendre la scène en ombre chinoise, pour en développer le thème dans un autre livre. J’aime tenter diverses expériences, et changer d’univers. C’est qui me motive.

Quels sont vos projets respectifs ?

Bianco : Comme nous l’avons annoncé, j’ai écris le scénario d’Eco, un autre livre de la collection Métamorphoses. Il devait sortir en mai, mais le dessinateur a pris un peu de retard. Il faut reconnaître que cela représente un boulot de fou, car c’est un livre richement illustré, au contenu dense, traitant du passage d’une petite fille à l’adolescence. Il s’agira d’ailleurs plus d’un roman illustré qu’une bande dessinée à proprement parler. Un album donc très décalé, dans l’esprit de Tim Burton.

La balade d’Eco , la fillette au coeur tendre...

Concernant cette collection Métamorphoses, quelles sont vos relations éditoriales avec Barbara Canepa ?

Bianco : Notre liberté d’auteur est totale. Elle nous propose juste des matériaux ou des concepts qui sortent de la moyenne. Elle a également quelques idées assez drôles, comme de demander à chaque artiste de créer une affiche promotionnelle lors de la sortie de l’album précédent. Un autre aspect intéressant, c’est que la collection est perçue comme un ensemble, chaque album étant une pierre de l’édifice. C’est un gros avantage, notamment dans le cas des éditeurs américains qui sont intéressés par l’achat des droits. C’est à cette unité de l’ensemble, ce lien entre les projets que tient particulièrement Barbara.

Preuve de cette réussite, Billy Brouillard, le premier album de cette collection s’est très bien vendu pour un contenu et une forme aussi résolument étranges !

C’est vrai que l’album était assez cher (22 €) par rapport à un concept standard, ce qui ne devait pas le rendre facile à vendre. Mourrad en avait tiré 8000, ne pensant sans doute jamais vendre tout cela, et pourtant, cette première édition s’est écoulée en une grosse semaine, ce qui m’a bien entendu fait fort plaisir. Quelques soucis techniques ont retardé la réimpression, mais tout est maintenant en ordre et on approche les quinze mille exemplaires, un tirage exceptionnel vu le type de livre !

Quels sont vos autres projets à part ça ?

Bianco : Le troisième tome d’Ernest & Rebecca bien sûr, si Antonello avance. (rires) On aimerait le sortir assez rapidement pour donner toute ses chances à la série. A la fin du deuxième tome, elle rencontre enfin Sam le repoussant, un microbe assez méchant, représentant le mec de sa mère. En avant-goût, je peux aussi vous confier que ce prochain opus se déroulera chez ses grands-parents à la campagne, tout un programme en perspective !

(par Nicolas Anspach)

(par Charles-Louis Detournay)

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