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Bitch Planet, un comics certifié "non-conforme" !

Par Aurélien Pigeat le 18 mai 2016                      Lien  
Voilà l'un des événements comics de l'année. Et pour cause: enfin un titre {mainstream} dans lequel les hommes s'en prennent plein la figure. Il était temps!
Bitch Planet, un comics certifié "non-conforme" !
Kamau Kogo sait mater les mateurs
Bitch Planet T1 © 2015 Milkfed Criminal Masterminds, Inc. All rights reserved

Imaginez un monde où les hommes occupent toutes les instances de pouvoir, où la société commande aux femmes de tout faire pour satisfaire les moindres désirs de ces messieurs, où des normes, physiques, morales et comportementales décident de votre avenir et de votre intégration à la communauté. Imaginez seulement...

Comment ? Nous vivons dans un tel monde ? En effet, vous avez raison. Mais si notre monde recouvre tout cela d’un vernis d’acceptabilité, celui de Bitch Planet a depuis longtemps fait craqueler ces artifices cosmétiques pour révéler sous son vrai jour un tel modèle politique et sociétal. Là-bas, tout cela est ouvert, assumé et même revendiqué. Et les femmes vont devoir reconquérir droits, place et identité par la manière forte.

Un plan pour sortir de Bitch Planet. Obsersez l’arrière-plan...
Bitch Planet T1 © 2015 Milkfed Criminal Masterminds, Inc. All rights reserved

Un futur indéterminé donc, strictement patriarchal. Où les femmes déclarées "non-conformes", pour un X et surtout l’absence d’un Y, sont envoyées dans une prison en orbite pour y être rééduquées, à "Bitch Planet", de son petit nom. C’est là qu’atterrit Kamau Kogo, et avec elle la résistance va s’organiser, la révolution débuter.

Voilà ainsi un comics plutôt mainstream a priori - univers de science-fiction et huis clos carcéral bourré d’action - et en même temps résolument engagé et percutant. D’abord grâce à une galerie de personnages qui renouvellent le personnel habituel de ce genre d’aventures : des femmes, noires, blanches ou asiatiques, lesbiennes ou hétéros, grosses, baraquées ou fluettes, qui existent réellement, au-delà des stéréotypes, et vivent leur histoire devant nous.

Par son propos ensuite, social et politique. On a ici la mise en œuvre - au sens propre comme au figuré - d’un discours de lutte contre des inégalités caractéristiques de nos sociétés et qui confinent le plus souvent aux plus cruelles injustices. Et au premier rang de ces combats le féminisme bien évidemment, abordé selon une perspective intersectionnelle.

Nouvelles détenues en route pour Bitch Planet
Bitch Planet T1 © 2015 Milkfed Criminal Masterminds, Inc. All rights reserved
Penelope, héroïne du chapitre 3
Bitch Planet T1 © 2015 Milkfed Criminal Masterminds, Inc. All rights reserved

Mais point de logorrhées pontifiantes : tout est en acte, au sein de la trame narrative et des événements racontés. On atteint ainsi une efficacité du récit maximale et on se laisse emporter par l’énergie de ces personnages, saisir par les drames vécus. C’est fort, souvent cruel et révoltant, et on en redemande avec l’espoir de voir ces filles enfin triompher et se libérer.

Pour autant, on est pour l’heure beaucoup dans l’attente. C’est que l’histoire avance encore assez lentement dans ce premier volume, qui prend le temps de l’exposition et s’attarde sur certains personnages et situations secondaires. Le scénario de Kelly Sue DeConnick progresse de manière dispersée, parfois étoilée, sans toutefois perdre le lecteur, produisant même quelques jolis effets de télescopage de plusieurs fils narratifs, comme dans le prologue de l’ouvrage.

Exemple de fausse pub ponctuant le volume
Bitch Planet T1 © 2015 Milkfed Criminal Masterminds, Inc. All rights reserved

Côté dessin, cela pourra sembler un peu pauvre, ou raide, à certains. Il nous semble nous que le trait adopté par Valentine De Landro se prête de manière très pertinente au propos. Une représentation lisse et idéalisée de ces personnages féminins, jetés en prison parce que "non-conformes" précisément, aurait constitué une forme de contresens par rapport au projet développé. Il fallait un trait et une mise en scène qui résistent, qui évitent l’écueil de cette imagerie féminine glamour si léchée, en fin de compte déployée depuis une perspective masculine.

Au final, tout ceci installe une ambiance qui rappelle directement les films d’exploitation, ces séries B projetées dans les grindhouses. Et plus particulièrement le cinéma de genre de type blaxploitation, dont nous sommes peu familiers mais qui a irrigué la culture pop américaine, et dont l’écho se laisse entendre dans les derniers succès de Quentin Tarantino.

Bref, un comics plein, original et qui bénéficie qui plus est d’une édition de grande qualité accompagnée de nombreux bonus dont une couverture inédite et de fausses pubs entre les chapitres. Surtout, on doit à Pia-Victoria Jacqmart un entretien avec les auteurs et un copieux et passionnant dossier sur le féminisme. À l’issue de cette lecture vous serez informé, voire équipé, et Oncle François n’aura qu’à bien se tenir !

Du travail autour du logo de titre, sur double-page, à chaque chapitre
Bitch Planet T1 © 2015 Milkfed Criminal Masterminds, Inc. All rights reserved

(par Aurélien Pigeat)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Bitch Planet T1 : "Extraordinary Machine". Par Kelly Sue DeConnick (scénario) et Valentine De Landro (dessin). Cris Peter (couleur), Clayton Cowles (lettrage) ; et sur la chapitre 3 : Robert Wilson IV (dessin) et Matt Holligsworth (couleur et couverture du chapitre). Traduction Éloïse de la Maison. Dossier d’accompagnement Pia-Victoria Jacqmart. Edition originale : Image Comics. Sortie le 4 mai 2016. 176 pages. 16,95 euros.

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