Voici plusieurs années que nous distinguons l’auteur italien Trif et son coloriste Andrea Celestini qui revisitent ensemble les contes populaires en leur conférant une orientation résolument érotique.
Nous avons commenté sa réinterprétation du mythe de La Belle et la Bête, de même que sa relecture des contes des Mille et une nuits, nous n’avions pas encore eu l’occasion de nous pencher sur ses premières séries. La publication de l’intégrale des trois tomes de Blanche Neige nous donne l’occasion de rattraper notre retard.
Dans cette oeuvre, Trif tord à la fois le cou aux clichés figés par le film de Walt Disney, il nous propose dans le premier tome une Blanche Neige magnifique mais arrogante, un poil antipathique, non sans faire référence au long-métrage hollywoodien en dessinant la célèbre robe de la princesse, le temps de quelques pages... Mais elle ne s’en débarrasse rapidement dans la centaine de pages qui suivent, pour le plaisir des yeux des lecteurs.
Ici, Blanche-neige n’a rien d’une petite sainte. Trif donne également plus d’épaisseur à la reine marâtre, une femme fatale qui considère les hommes comme des jouets et qui n’a pour obsession sa beauté et sa jeunesse qu’elle désire éternelles. Aidée de son miroir magique, qui ne peut mentir, elle est prête à tous les stratagèmes aussi vicieux soient-ils. On comprend mieux ses motivations en apprenant qu’elle a été élevée dans la misère et ne doit son salut qu’à son corps sculptural. Néanmoins, un acte mal intentionné en entraînant un autre, c’est en tuant une sorcière pour garder le secret de sa beauté, qu’elle s’engage dans un mortel chemin sans retour.
Trif pimente habilement à son récit (pourtant déjà relevé en matière d’érotisme) en introduisant le personnage de Raiponce. La ravissante jeune femme aux longs cheveux d’or est enfermée par la reine marâtre, car sa chevelure magique parvient à lui redonner l’éclat de sa beauté. Raiponce est de plus gardée par les sept nains, les mêmes qui ont secrètement hébergé Blanche Neige. Et si les deux jeunes femmes attendent d’un prince charmant qu’il les délivre, elles déchantent rapidement en constatant que ce dernier, revenu après sept ans de guerre, est devenu un abominable sadique, obsédé, rusé et prêt à tous les stratagèmes pour arriver à ses fins...
En respectant et détournant à la fois la trame des contes que l’on connaît, Trif suscite amusement et intérêt. Il glisse également de l’humour et de la fantaisie dans ces 144 pages sans aucun temps mort, fortes d’une intrigue rondement menée. Les flashback sépia en particulier confèrent une densité psychologique complémentaire aux principaux protagonistes. Elle alimente l’intrigue et réserve quelques savoureux retournements de situations.
Le tout est porté par le magnifique dessin de Trif, clair dans sa ligne que dans ses expressions, et adéquat dans sa mise en page. À l’exception d’une double page dont la pliure cartonnée casse l’effet escompté, l’auteur réussit autant l’ambiance médiévale des contes, que celui du récit érotique. Le tout porté par les couleurs d’Andrea Celestini, au diapason du récit.
Quant à l’érotisme, il en est bien entendu bien question. Trif parvient magnifiquement à dégager de la sensualité, sans tomber dans la vulgarité. Même lorsqu’il évoque les relations sadomasochistes. La sexualité n’est toutefois pas débordante, et même lorsque le sadisme d’un prince la porte à son paroxysme, les leçons "humoristicoquines" données aux nains par Blanche Neige sur ce qu’est le corps d’une femme ou le rôle d’une princesse ramènent le récit à un juste équilibre.
Sensualité, humour, intrigues et habiles rebondissements, cette intégrale de Blanche Neige est un réussite du genre érotique actuel : celui qui ne se prend pas trop au sérieux, mais qu’on peut lire et relire avec un plaisir renouvelé !
(par Charles-Louis Detournay)
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Blanche Neige, L’intégrale - Par Trif & Celestini - Tabou
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