Après avoir réalisé l’Envolée sauvage , un diptyque mettant en scène un enfant juif pendant la Seconde Guerre mondiale, vous choisissez deux sujets forts pour Quand Souffle Le Vent : la mine et les Gitans…
Laurent Galandon : Un fil rouge relie l’ensemble de mes histoires, publiées ou en cours de réalisation. Il s’agit de drames humains où des personnes sont confrontées à des situations difficiles et discriminatoires. Le point de départ de Quand Souffle le Vent était plutôt les gens du voyage. J’ai réfléchi au contexte dans lequel j’ancrerais l’histoire. Il m’a semblé judicieux de les confronter à des mineurs. Ils évoluent dans un monde opposés au leur. Les mineurs sont attachés à leur sédentarité, les Gitans sont libres comme le vent.
D’où vient votre attachement à raconter ces situations ?
LG : Je suis profondément agacé par l’injustice. J’ai du mal à rester calme face à cela ! Je retranscris mon énervement dans mes histoires.
Cyril Bonin, pourquoi avoir travaillé avec Laurent Galandon. C’est un scénariste qui bénéficie d’une renommée bien moindre que Frank Giroud, avec lequel vous veniez de réaliser un album de Quintett…
CB : Laurent m’a envoyé ce scénario qui m’a tout de suite séduit grâce à son sujet : la communauté tzigane va à contre-courant de notre société, qui devient de plus en plus matérialiste. Les gens du voyage véhiculent d’autres valeurs et on un attachement à la liberté. Dans sa manière d’écrire, Laurent met l’accent sur les personnages, sur les sentiments et leurs psychologies. Son travail n’est pas très éloigné de celui de Frank Giroud. L’histoire de Quand Souffle le Vent reflète une telle humanité, une telle chaleur, que je n’ai pas pu résister à l’envie de la dessiner.
Vous travaillez au pinceau ?
CB : Oui. Je suis dans une recherche pour trouver un équilibre graphique. Quand Souffle le Vent s’inscrit dans cette voie. Les deux derniers tomes de Fog étaient trop chargés en détail. J’essaie actuellement d’épurer mon dessin pour arriver à un équilibre. Le sujet des mineurs et des Tsiganes, cependant, me demandait d’avoir un encrage un peu plus rude pour correspondre à la dureté de l’univers décrit. Nous sortions des salons feutrés Victorien de Fog. C’est pour cette raison que mon trait est plus épais, plus acéré.
Cette histoire raconte une histoire d’amour, mais mis à part cela, il n’y a pas beaucoup de joyeuseté dans l’album…
CB : Effectivement. J’aime les univers chargés, la grisaille, la pluie et la neige. Paradoxalement, cette histoire est sans doute la plus lumineuse et la plus colorée que j’ai réalisée. J’ai ressenti cette chaleur humaine en réalisant l’album. J’ai eu envie de la partager à travers mes dessins et mes couleurs.
Vous êtes-vous documenté pour connaître et comprendre la vie des mineurs au début du XXe siècle ?
LG : J’ai lu beaucoup de livres sur les Tziganes : des romans, des essais, des ouvrages un peu ésotériques sur la magie tzigane, etc. Un peu moins sur les mineurs. Nous jouons plus sur les archétypes. J’ai réalisé quelques recherches iconographiques pour Cyril. Nous avions un film de référence : Germinal, l’adaptation du roman de Émile Zola réalisée par Claude Berri.
Cyril Bonin, votre grand-père était mineur. Vous êtes-vous servi des souvenirs qu’il vous racontait ?
CB : Pas tellement ! Il n’en parlait pas beaucoup. Ce livre a été l’occasion de me replonger dans mon histoire familiale. Je ne la connaissais pas très bien. J’ai appris que mon grand-père avait été mineur de fond, puis, suite a un éboulement, il a eu un bras abimé. Il a perdu deux doigts. Il s’est, ensuite occupé de la préparation des lampes pour les autres mineurs. Il est mort à 70 ans d’un cancer de la gorge. Il fumait beaucoup, et le charbon n’a sans doute rien arrangé ! Cet album a été manière de lui rendre un hommage.
Votre représentation des Tsiganes n’est-elle pas parfois un peu folklorique. S’habillaient-ils comme cela ?
CB : Je me suis beaucoup documenté sur l’évolution et l’histoire des Tsiganes. Nous abordons cette communauté dans un récit se déroulant au début du XXe siècle. L’imagerie qui me venait la plus naturellement était celle des Gitans du Moyen-âge : une Esméralda dansant avec un tambourin. Ou encore la représentation des Gitans des films d’Emir Kusturica. J’ai du faire abstraction de ces références car les Tziganes du début de siècle ne correspondaient pas à ces références. J’ai été aidé par ma compagne, qui s’occupe d’une association qui promeut la culture tzigane. Elle a fait plusieurs études sur l’histoire des costumes de cette communauté. Elle m’a donné quelques conseils.
Laurent Galandon. Votre écriture est plutôt épurée…
LG : Effectivement. Il n’y a pas beaucoup de dialogue dans ce récit tout comme dans L’Envolée sauvage. J’essaie de les réduire au maximum afin de faire passer une majorité de sentiment au travers les images. Le sujet de Quand souffle le vent s’y prête bien. Nous parlons des Tziganes et des mineurs. Ce sont des communautés peu bavardes, qui fonctionnent de manière instinctive et accordent beaucoup d’importance aux regards et aux sensations tactiles. La séquence où Antoine, le jeune mineur, se rend la première fois dans le camp tzigane, et où la musique prend le dessus, est sans doute la plus dialoguée de l’album !
L’Envolée sauvage a été salué par la critique. N’est-ce pas difficile pour un jeune scénariste d’embrayer sur un autre scénario après un tel accueil ?
LG : Non, pas du tout ! Quand Souffle le Vent a été écrit avant L’Envolée sauvage . Le succès de ce diptyque était assez inattendu pour deux jeunes auteurs sortis de nulle part. Mais notre succès reste assez modeste : nous n’avons vendu que quinze mille livres !
Quels sont vos projets respectifs ?
CB : Nous retravaillerons probablement ensemble. Mais pour l’instant, j’ai plus envie d’écrire moi-même mes histoires. Je travaille sur deux projets. L’un pour les éditions Dargaud : une comédie policière en deux albums se déroulant en 1910. Le ton sera plus léger que Quand souffle le vent, et le dessin plus caricatural. Parallèlement, je travaille sur l’adaptation d’un roman de Marcel Aimé qui paraîtra chez Futuropolis.
Et vous Laurent Galandon ?
LG : Avec le dessinateur de L’Envolée sauvage, Arno Monin, nous publions en mai le premier tome de L’Enfant maudit. Une histoire qui est dans la continuité de notre premier récit, même si on n’y retrouve pas les mêmes personnages. En juin, paraîtra le premier volume de Tahya El-Djazaïr. Un diptyque sur la guerre d’Algérie. J’aborderai le destin de Français qui ont rejoint le FLN pour se battre pour l’indépendance de l’Algérie.
À la fin de l’année, je signerai Shahidas. Une histoire consacrée aux femmes kamikazes. Et puis, plus tard, un diptyque sur le génocide des Arméniens, Le Cahier à Fleurs, qui sera dessiné par Viviane Nicaise. J’ai également un autre projet intitulé Les Innocents coupables qui abordera les colonies pénitencières agricoles au début du XXe siècle.
(par Nicolas Anspach)
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Une interview avec Monin pour L’Envolée sauvage :
"Nous avons maintenant plus de crédibilité dans le milieu grâce au succès du livre" (Mars 2008)
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Photo des auteurs : (c) Nicolas Anspach