Lénaïc Vilain se nourrit fréquemment de son vécu pour créer ses albums, ce qu’il faisait déjà dans RAS, tiré de son expérience de gardien de nuit. Son quotidien l’a toujours inspiré, comme pour Ainsi soient-ils, et il récidive en consacrant un album au voyage qu’il fit avec sa compagne en Iran.
Ce récit de leur voyage est agrémenté de nombreuses scènes humoristiques, à la manière d’un Guy Delisle, pas toujours hilarantes mais parfois bien vues (comme l’illustration des différentes manières de traverser une rue malgré la circulation).
Ils découvrent ce pays finalement peu connu des Occidentaux, s’étonnant par exemple de la curiosité des Iraniens qui viennent se prendre en photographie avec eux car, les voyages à l’étranger leur étant globalement impossible, voir des étrangers est pour eux un moyen de voyager… Cela donne d’ailleurs l’impression aux Occidentaux d’être de véritables « stars » dans les rues iraniennes. Les voitures vous klaxonnent, juste pour vous saluer, l’immense majorité des gens vous disent également bonjour quand ils vous croisent, sans pour autant essayer de vous vendre ou vous demander quoi que ce soit.
Leur curiosité concerne des questions politiques (peine de mort, homosexualité, etc.), mais aussi des détails très prosaïques : ainsi sa femme n’arrive pas à faire tenir son hijab, qui ne cesse de glisser sur ses épaules, et ne comprend pas comment font les Iraniennes sur qui il reste impeccable, avant de comprendre que l’astuce consiste en un peigne cousu dans le tissu...
L’auteur ne manque pas de relever les paradoxes innombrables dans cette société, comme par exemple la question des réseaux sociaux : Facebook ou Twitter sont interdits et leur accès est théoriquement censuré, mais de fait, cet interdit est largement contourné et le président et l’ayatollah communiquent eux-mêmes par ce biais…
Bien sûr, cela est parfois un peu rapide sur quelques analyses et sur certains aspects. L’extraordinaire (et parfois excessive) hospitalité et gentillesse des Iraniens n’est ainsi que peu abordée, mais de nombreux éléments caractéristiques de la culture iranienne se retrouvent bien dans cet album très intéressant.
Pêle-mêle : le fait que le principal danger en Iran, ce soit la circulation automobile ; l’existence d’une « bière islamique » ; le fait que les Iraniens mangent très rarement hors de chez eux, et que l’on trouve donc très peu de lieux de convivialité publics, les restaurants restant généralement relégués en sous-sol de bâtiments ; la faible diversité de la cuisine iranienne ; l’importance pour les riches Iraniennes de se refaire le nez et de montrer ostensiblement leur pansement, car pouvoir se payer cette opération est un marqueur social ; l’existence de contrats de mariage à durée déterminée, car toute relation sexuelle hors mariage est condamnée ; l’aspect chaleureux et accueillant des mosquées, véritable lieu de vie où il fait bon dormir au frais l’été et au chaud l’hiver (car oui, il fait plus que froid en Iran l’hiver, sachant qu’une bonne partie du pays est à 2000 mètres d’altitude).
On est loin de la beauté des carnets de voyage de Jacques Ferrandez, mais ces derniers relevaient plus du récit illustré que de la bande dessinée, et cet album en noir et blanc ne peut pas non plus rendre la richesse des couleurs et des atmosphères iraniennes, mais le dessin est assez expressif et efficace.
En l’absence totale de guides francophones (À l’exception du Guide culturel de l’Iran, de Patrick Ringgenberg), cette bande dessinée pourra servir aux Français à préparer leur voyage et à mieux appréhender la magnifique (et complexe) réalité qui les attend !
(par Tristan MARTINE)
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